Église catholique et suicide
Conférence de Mgr Hubert COPPENRATH lors de la « Conférence mondiale sur le suicide » – 12 juin 2014
Tahiti, Bora Bora et plus largement le « Continent Bleu » du Pacifique sont souvent considérés comme des paradis dans l’imaginaire des Occidentaux. Cette image d’Eden dans l’inconscient collectif a été créée dans les écrits des premiers explorateurs européens (Cook, Bougainville, … ) qui ont découvert une population accueillante dans des îles sublimes. Ce mythe, plus tard renforcé par les écrivains voyageurs (Segalen , Stevenson … ), masque le paradoxe que le suicide est une des principales causes de mortalité dans la région du Pacifique , ainsi que dans certains pays d’Asie du Sud-Est ( d’où les Polynésiens ont migré durant le dernier millénaire). L’Association internationale pour la prévention du suicide (IASP), en collaboration avec l’association SOS Suicide et le Bureau régional de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), a tenue sa 6ème conférence régionale Asie-Pacifique à Tahiti. Voici l’intervention que Mgr Hubert COPPENRATH, archevêque-émérite de Papeete a donnée lors de cette conférence.
Introduction
Je voudrais présenter brièvement la position de l’Église catholique sur le suicide, mais j’aimerais vous faire part de ce qui interpelle actuellement notre Église locale.
Pour la foi catholique, la vie est un don de Dieu. C’est un don que nous devons recevoir avec reconnaissance car Dieu veut que, malgré les épreuves et les souffrances, nous soyons heureux. Cette vie terrestre est aussi la porte de la vie éternelle dans laquelle nous serons avec Dieu, partageant sa plénitude et son bonheur.
Le catéchisme de l’Église Catholique écrit : « Chacun est responsable de sa vie devant Dieu qui nous l’a donnée. C’est lui qui en reste le souverain Maître. Nous sommes tenus de la recevoir avec reconnaissance et de la préserver pour son honneur et le salut de nos âmes » (N° 2280)
Le suicide apparaît donc comme une offense particulièrement grave envers Dieu car c’est un acte de désespoir, de mépris du don de Dieu et qui manifeste que nous considérons notre volonté comme supérieure à la sienne.
Aussi le code de droit canonique de 1917, au canon 2040, interdisait de donner la sépulture religieuse à un suicidé et de célébrer pour lui une messe de suffrage. L’Église espérait ainsi attirer l’attention sur la gravité de cet acte et lutter contre des idées philosophiques favorables au suicide. En effet, le suicide était revendiqué par certains comme une réponse à l’absurdité de la vie, ou comme une décision de départ quand on estimait avoir terminé sa mission, ou encore comme un refus de la déchéance physique et intellectuelle inhérente au vieillissement.
Mais une meilleure connaissance de la psychologie humaine a montré que le suicide philosophique est rare et que, dans la majorité des cas, le suicide était à mettre en rapport avec de états dépressifs graves, avec une souffrance physique insupportable, des angoisses insurmontables. Aussi graduellement l’attitude pastorale a changé et sur ce point le code de 1917 était de moins en moins appliqué. Le code de 1983 ne fait plus mention du suicide parmi les raisons de refuser les funérailles religieuses.
Attitude pastorale actuelle
Comme nous le savons notre époque a vu un développement considérable du suicide et en particulier du suicide des jeunes. La Polynésie n’est malheureusement pas épargnée par ce phénomène. Lorsque l’on essaye d’analyser les raisons pour lesquelles des jeunes se sont donnés la mort, ou ont tenté de se la donner, l’on est consterné de constater que ce sont souvent des motifs assez légers : déception amoureuse, dispute avec les parents, frustrations insignifiantes … et l’on doit conclure à un extrême fragilité, une incapacité à faire face aux frustrations. C’est certainement à mettre en rapport avec le recours à la drogue, à l’alcool pour échapper à la réalité. Beaucoup de jeunes n’aiment pas la vie, ils en parlent avec beaucoup de pessimisme. La plupart des adolescents, même dans les familles catholiques, avouent avoir parfois songé à se donner la mort. Dans des moments de colère ou de déception, il n’est pas rare qu’ils se fassent des scarifications sur les bras, comme s’ils jouaient à se donner la mort.
Beaucoup d’adultes viennent rencontrer le prêtre pour lui confier leurs soucis, leurs souffrances et beaucoup affirment que ce qui leur permet de tenir, c’est leur foi dans laquelle ils trouvent une force qui leur permet de surmonter les grandes épreuves qu’ils affrontent. C’est justement la raison pour laquelle ils viennent trouver le prêtre : ils cherchent auprès de lui encore plus de foi et encore plus d’espérance
Mais beaucoup de jeunes ne semblent pas trouver dans leur foi l’appui qui leur permettrait de ne pas se laisser abattre, leur foi ne semble pas les aider faute d’être assez profonde et mûre. D’autres jeunes ne parlent pas de suicides, ils sont déjà fortifiés par leur foi, parce qu’ils ont accédé à une foi personnelle et ont dépassé la foi reçue passivement.
Causes de cette situation
Dans ma jeunesse, à Tahiti, je n’ai jamais entendu parler de suicides de jeunes. C’est donc un phénomène qui est apparu peu à peu et qui est certainement à mettre en rapport avec une crise de la société. La crise économique n’est qu’un aspect d’une crise plus vaste et qui touche en particulier la famille. Beaucoup de jeunes appartiennent à des familles recomposées où tout ne se passe pas toujours bien ; certains vivent chez leurs grands parents. Les parents manquent d’autorité et contrôlent mal leurs enfants : de jeunes enfants vagabondent la nuit, de très jeunes mineurs imposent aux parents la présence d’une copine ou d’un copain en faisant un chantage au suicide. Il faut remarquer que la loi s’est employée à diminuer l’autorité parentale puisque les mineurs peuvent prendre des décisions importantes à l’insu de leurs parents, par exemple prendre des contraceptifs ou pratiquer une interruption de la grossesse.
Toujours est-il que l’on remarque chez beaucoup de jeunes, mineurs ou majeurs, des personnalités déconstruites qui n‘agissent qu’en obéissant à des pulsions. Si la pulsion est de se donner la mort, ils n’y résistent pas. Cette fragilité est accentuée dans le cas d’une consommation prolongée de paka. Des jeunes qui pendant des années se sont habitués à fuir la réalité dans la drogue se trouvent totalement démunis devant les frustrations. Beaucoup n’ont pas le goût de vivre et trouvent peu d’intérêt à ce qu’ils vivent. Une de leurs expressions favorite est : « C’est nul ! ».
Un autre facteur aggravant réside dans les violences sexuelles subies par les jeunes, surtout les filles. Il est consternant de découvrir qu’une proportion importante de jeunes se sont vus imposer des relations sexuelles précoces et régulières par des membre de leurs familles : demi-frères, cousins, oncles, beau-père quand ce n’est pas leur propre père. Il faut aussi mentionner la violence physique répétée dont se plaignent beaucoup de jeunes. Ceux qui ont vécu ces violences en restent profondément marqués.
Que faire ?
Il y a certainement des actions à long terme comme la revalorisation de la famille. Dans notre diocèse, cette année, nous avons choisi comme thème « la famille » en liaison avec le thème du prochain synode. Mais en une seule année, on ne peut pas faire beaucoup plus qu’une prise de conscience.
Il y a aussi des actions immédiates. La première est d’apprendre aux jeunes à aimer la vie. Ils sont certainement influencés par le pessimisme des adultes en ces temps de crise économique. Eux-mêmes découvrent que malgré les études qu’ils ont faites, ils ne trouvent pas d’emploi et que leurs projets de trouver une bonne situation et de fonder une famille ne peuvent être réalisés.
Mais d’une manière générale, ils ne savent pas apprécier les bons moments de la vie et se focalisent plutôt sur les déceptions, les contraintes, la difficulté de vive avec les autres. Certes, beaucoup d’entre eux sont passionnés par le sport, par la danse tahitienne… mais cela ne remplit pas toute leur vie. La difficulté de vivre avec leur entourage les pousse à chercher des relations avec des gens qu’ils ne rencontrent pas physiquement, qui vivent au loin. Internet leur offre cette possibilité et ils sont déjà en quelque sorte entraînés dans le virtuel surtout qu’ils sont aussi des adeptes des jeux vidéo dans lesquels on meurt virtuellement.
Il est donc nécessaire de ramener les jeunes vers la vie réelle que l’on ne reçoit qu’une seule fois et dont il dépend beaucoup de nous qu’elle soit bonne ou mauvaise. Cette vie réelle, il faut l’aimer avec ses joies simples, ses difficultés qu’il faut apprendre à surmonter avec courage et détermination, il faut apprendre à souffrir en silence et à y trouver une certaine fierté.
Bien entendu, il faut savoir trouver dans sa foi une force. Pour ceux qui ont la foi, il n’y a pas de situations désespérées, il n’y a que des hommes qui ont perdu confiance. Dans la vie on traverses des tunnels, mais les tunnels ont toujours deux extrémités : l’entrée et la sortie.
Les jeunes ont besoin de se confier à des adultes en qui ils ont confiance, mais faut-il encore que les adultes soient disponibles car c’est lorsque les jeunes veulent parler qu’il faut les écouter. Or les adultes sont rarement libres. Ils pourraient peut être écouter demain, mais demain ou tout à l’heure, le jeune n’aura déjà plus envie de parler. Le diocèse de Papeete a fait venir une communauté nouvelle spécialisée dans l’évangélisation des jeunes par les jeunes. Cette communauté, qui porte le nom de Marie-Jeunesse, est composée de jeunes adultes et ils savent se rendre disponibles, aussi attirent-ils beaucoup de jeunes. Parmi les membres de Marie-Jeunesse, certains ont rencontré personnellement les difficultés que vivent les jeunes d’aujourd’hui et ils en sont sortis. À leur contact, beaucoup de jeunes ont fait un chemin très positif, retrouvant le goût de la vie et découvrant tout ce que peut leur apporter leur foi.
Ceci montre qu’il est important que les jeunes puissent s’ouvrir à de jeunes adultes de leurs difficultés et qu’ils rencontrent chez ces adultes écoute, compréhension, disponibilité. Les jeunes ont aussi besoin de modèles qui les attirent vers une vie sans drogue, sans alcool, ils ont besoin de fréquenter des camarades qui ne les tirent pas vers le bas.
Certes ce programme n’est pas facile à réaliser à grande échelle. Il faudra du temps pour qu’il y ait assez de leaders pour renverser la tendance. Il nous semble cependant que c’et la bonne direction.
Nous devons aussi reconnaître que notre Église locale n’a pas encore suffisamment pris la mesure de l’aggravation récente de cette plaie qu’est le suicide. J’espère que la réflexion qui va être menée cette année sur la famille et les informations que ce congrès consacré au suicide ne manquera pas de nous fournir vont faire avancer notre prise en charge de cette question.
© Copyright 2014 – Mgr Hubert COPPENRATH