Albert Schweitzer (1875-1965)

Par Le 24/08/2015

« Je suis une vie qui veut vivre, au milieu de vies qui veulent vivre »…

Ces quelques mots, formulés il y a un siècle en 1915 par Albert SCHWEITZER, disparu, il y aura 50 ans le 4 septembre, résument l’éthique qu’il léguera au Monde, respecter toute forme de vie : humaine, végétale, animale. Une éthique qu’il voudra supra nationale et supra confessionnelle respectant les hommes sans distinction d’origine.

C’est à Kaysersberg (Haut-Rhin), dans une Alsace alors annexée à l’Allemagne suite à la guerre de 1870, que naquit Albert SCHWEITZER. Quelques mois plus tard sa famille déménagea pour Gunsbach dans la Vallée de Munster, vallée natale de sa mère où son père venait d’être nommé Pasteur.
Très jeune, il montra des dispositions pour la musique et tout particulièrement pour l’orgue, une passion qui le conduira à publier, en 1905, un ouvrage de référence : « Jean Sébastien BACH, le musicien poète » et lui permettra grâce à prés de 500 concerts donnés au cours de sa vie de financer son œuvre humanitaire.
Après le collège à Munster, puis le Lycée à Mulhouse, c’est tout naturellement qu’il entama, à Strasbourg, des études de Théologie et de Philosophie. C’est à la Pentecôte 1896, qu’il décida qu’à l’âge de 30 ans il consacrerait sa vie à une œuvre humanitaire.  Docteur en Théologie et en Philosophie puis Pasteur, il devint, en 1903, directeur du séminaire protestant de Strasbourg.
À l’automne 1904, la lecture d’une revue des Missions Protestantes de Paris le conduisit à poser sa candidature comme missionnaire pour le Moyen Congo, l’actuel Gabon. Plus que de pasteurs c’étaient de médecins dont les missions exprimaient le besoin, tant les conditions climatiques et sanitaires étaient difficiles sous l’Équateur.
Albert Schweitzer débuta en 1905 des études de médecine qui lui permirent d’obtenir sa thèse. En 1912, il épousa Hélène BRESSLAU, avec laquelle il avait noué une amitié depuis près d’une décennie. Engagée dans l’aide au plus démunis, elle n’hésita pas à suivre une formation d’infirmière pour accompagner son futur mari dans son projet de départ pour l’Afrique.
Tous deux quittèrent l’Alsace le 26 mars 1913 et arrivèrent à Lambaréné le 16 avril. Situé au bord du fleuve Ogooué, au cœur de la forêt vierge sur le site de la mission, à quelques encablures de l’Equateur, le premier hôpital que fonda celui que les gabonais appelleront bientôt le « Grand Docteur », devient rapidement le seul lieu où pouvaient être dispensés des soins médicaux et réalisées des interventions chirurgicales.
Malheureusement le chaos de la Grande Guerre, l’antithèse de l’action d’Albert SCHWEITZER à Lambaréné, va conduire à la mise en résidence surveillée de ce citoyen allemand dans une colonie française,  puis à son expulsion de la colonie et à son internement comme prisonnier civil à Garaison dans les Pyrénées puis à St Rémy de Provence.
C’est dans son village de Gunsbach qu’il vivra la fin du 1er conflit mondial. Marqué par ce conflit dont il considère qu’il matérialise le déclin de notre civilisation, il n’eut de cesse que de se donner les moyens de revenir à Lambaréné. Concert d’orgues, conférences, publication de son ouvrage « À l’orée de la Forêt Vierge », lui permirent de  collecter les fonds nécessaire à son retour. En 1919, la naissance de sa fille Rhena vient éclairer ce retour en Europe.
Plus que jamais il veut se battre pour rendre vivante son éthique du respect de la Vie, convaincu qu’elle est une réponse aux maux de la société et que seule elle permettra à l’homme de vivre tout en respectant son environnement.
En 1924, il repart pour Lambaréné sans son épouse, qui ayant contracté la tuberculose pendant son internement, ne pouvait plus supporter le climat équatorial. Un jeune médecin de la faculté de médecine de Strasbourg l’accompagne, une jeune infirmière le rejoint, ainsi sont posé les bases d’une longue chaîne de femmes et d’hommes qui aujourd’hui encore se perpétue. Il alternera jusqu’à sa mort, séjours en Europe et aux États Unis pour faire connaitre son œuvre et collecter des fonds et séjours au Gabon pour donner corps à son œuvre et soulager la douleur.
Il ne retrouve rien de son premier hôpital sur le site de la Mission, il le reconstruit et envisage déjà une nouvelle implantation plus en amont sur un terrain où il pourra concrétiser son Éthique du « respect de la Vie ». Son village hôpital devient réalité en 1927. Chaque malade est accueilli dans le respect de sa culture et de ses traditions, les familles restent aux cotés du patient. L’hôpital pavillonnaire à l’architecture adaptée au climat équatorial va devenir une référence architecturale encore utilisée aujourd’hui, tout comme le système de traitement de l’eau et les jardins en culture biologique.
Connu pour ses écrits théologiques (« la mystique de l’apôtre Paul », « les secrets historiques de la vie de Jésus »…) Albert SCHWEITZER est maintenant connu pour son action humanitaire. C’est ainsi qu’en 1928 il reçu le Prix Goethe.
Il n’en poursuivit pas moins son inlassable action à Lambaréné, l’hôpital s’agrandit, la misère à soulager est toujours plus importante, d’autant plus que les médicaments disponibles ne permettent encore pas de traiter les pandémies que sont la lèpre et la maladie du sommeil.
Dés lors, nous pouvons dire qu’il est l’inventeur de la médecine humanitaire, car il a adapté et non pas transposé les pratiques médicales, car il s’inscrit dans la durée et enfin car il aborde le malade dans sa globalité, ne se limitant pas aux seuls soins médicaux, mais se souciant de son habitat et de son alimentation. Il forme les personnels soignant au sein de l’hôpital et dispose dés 1930 d’une équipe d’infirmiers gabonais. Nombreux sont les médecins qui se revendiquent aujourd’hui de l’héritage d’Albert SCHWEITZER.
Le second conflit mondial se profile déjà à l’horizon, plus que jamais, il a le souci de défendre la Vie. Il restera pendant 10 ans sans rentrer en Europe. Dans l’immédiate après guerre, cette Europe meurtrie et le monde dit civilisé réalise qu’au cœur de la forêt vierge un homme défend et met en œuvre la seule Éthique offrant aux Hommes une chance de salut.
C’est en 1953 qu’il reçoit au titre de 1952 le PRIX NOBEL DE LA PAIX. Il consacre la dotation de ce prix à la construction du Village Lumière où seront accueillis les trop nombreux lépreux qu’il doit prendre en charge.
La célébrité est au rendez vous, nombreux sont les visiteurs célèbres qui se rendent à Lambaréné, l’Abbé Pierre, André Malraux, la famille Rockefeller… Son ouvrage sur « les grands penseurs de l’Inde », démontre sa capacité à transcender les cultures.
En avril 1957, il lance sur Radio Oslo un appel contre l’arme atomique, conscient du danger qu’elle représente pour l’avenir de l’humanité.
Sur ce point comme sur beaucoup d’autres, ses positions ne seront pas toujours comprises et il aura tort d’avoir raison trop tôt. Cette même année il a la douleur de perdre son épouse Hélène, celle sans qui il n’aurait pas accompli son œuvre.
Loin de succomber aux honneurs, il poursuit son action à Lambaréné. Il effectuera son dernier voyage en Europe en 1959 et débutera son 14eme séjour à Lambaréné depuis 1913. En 1960, le Gabon devient indépendant, son premier Président Léon M’Ba le fait commandeur de l’ordre de l’Étoile Équatoriale. Il sera docteur Honoris Causa de nombreuses universités.
Il sera heureux de voir signer en 1963 l’accord interdisant les essais nucléaires dans l’atmosphère. En 1964 l’hôpital compte 560 lits, 6 médecins à temps plein et une centaine de bâtiments et pourtant il continue à construire.
Il s’éteint à Lambaréné le 4 septembre 1965 et est inhumé le lendemain dans le petit cimetière de l’hôpital au bord du fleuve Ogooué.
Aujourd’hui encore l’hôpital de Lambaréné et ses associations de soutien poursuivent son œuvre.

Damien MOUGIN.
Association Française des Amis d’Albert Schweitzer
AFAAS

1b, Quai St Thomas – BP 80022
67081 Strasbourg cedex

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Albert Schweitzer ou le respect de toute vie

Albert Schweitzer (1875–1965) est principalement connu pour son travail de médecin et ses missions humanitaires en Afrique. Prix Nobel de la paix en 1952, il est aussi à l’origine du concept d’éthique du respect de toute vie. Selon ce grand humaniste, l’éthique ne peut être élaborée que par l’individu. Là est la source du pouvoir individuel qui transforme la société. La foi en ce pouvoir est essentielle. En alliant la raison et le cœur, il s’agit, et d’autant plus aujourd’hui où toutes les vies sont bafouées, d’agir avec une égale compassion aux quatre coins du monde.

Le respect de toute vie, une notion universelle

Au début du XXe siècle, de lourdes menaces pèsent sur la vie (guerres mondiales, technologie nucléaire…). Dans ce contexte, Schweitzer cherche une formule à offrir qui montrerait l’importance de préserver l’humanité. Lors de l’un de ses voyages en Afrique, il réalise en observant un troupeau d’hippopotames que toute vie, quelle qu’elle soit, est sacrée. Émerge alors le concept, qui sera repris et développé par Théodore Monod, de révérence à la vie ou respect de toute vie. Il traduit ainsi la volonté de vivre en harmonie et en sympathie avec toutes les formes du vivant. Cette éthique de respect envers la Création dans son intégralité inclut pour la première fois les animaux, jusqu’ici exclus par la philosophie et la pensée occidentales. Les racines de la pensée non violente schweitzerienne sont aussi bien l’enseignement de Jésus que la pensée indienne. Il introduira même en Occident des textes jaïnistes célébrant l’ahimsa, non-violence chère à Gandhi. Cependant, c’est la lecture d’un texte chinois du XIe siècle, Kan Ying Pien (Le Livre des récompenses et des peines) qui l’inspire le plus. L’un de ses commandements dit : « Traitez humainement les animaux, ne malmenez pas les insectes, les plantes et les arbres. » C’est l’éthique globale à laquelle appelle Schweitzer, et qui englobe toutes les formes de vies, y compris celles qui pourraient sembler mineures.

Agir en conscience : la responsabilité à l’œuvre

Dans l’un de ses sermons, prononcé le 23 février 1919, Albert Schweitzer déclare : « Le préalable de toute éthique est donc que nous ayons une compréhension non seulement de ce que ressentent les hommes, mais encore de ce qu’éprouvent tous les êtres qui vivent autour de nous et que, de ce fait, nous nous sentions l’obligation de faire ce qui dépend de nous pour maintenir et développer partout la vie ». D’après lui, un acte n’est véritablement éthique que lorsqu’il est réfléchi, volontaire et de large portée. C’est ce que Théodore Monod appelait la « compassion active », donnant des exemples d’actions à réaliser pour venir en aide aux animaux. Dans le même esprit, Tolstoï avait ouvert une école pour les enfants des serfs afin que ces derniers puissent avoir accès à l’éducation comme les autres. Quant à Gandhi, il accueillait les « intouchables » dans son ashram pour qu’ils puissent vivre et travailler dans la dignité. Pour tous, respecter la vie, c’est donc se comporter de manière responsable et agir pour le bien et le développement des individus en veillant à ne négliger aucune forme de vie.

La liberté d’agir et le refus de se conformer

Schweitzer, tout comme Gandhi qui déplorait les systèmes qui « telles des statues de cire négligent les facteurs moraux », s’insurge contre une société « super-organisée » qui devrait nous dicter notre manière d’agir. Pour s’affranchir de cette société, il convient de s’informer afin de faire des choix en pleine conscience. La sincérité dans le combat implique de ne faire aucune concession, afin de se sentir libéré de la pression de la société. Ainsi, Schweitzer le dit, il est difficile d’être abolitionniste, de se battre pour les droits des plus petits sans être raillé et accusé de sensiblerie. On ne peut pourtant pas abandonner la foi et l’espérance dans l’avenir, lesquelles, pour Schweitzer, doivent conduire l’éthique. L’espoir de Schweitzer porte le respect de la vie comme une vérité qui paraîtra une évidence : « C’est le sort de toute vérité, avant d’avoir été reconnue comme telle, d’être tournée en ridicule. Jadis, le fait de croire que les hommes de couleur étaient des vrais hommes et devraient être traités humainement passait pour une folie. Or la folie est devenue vérité. Aujourd’hui on considère comme exagéré de prétendre qu’un des devoirs imposés par l’éthique rationnelle est de respecter ce qui vit, même sous ses formes inférieures. Mais un jour on s’étonnera qu’il ait fallu autant de temps à l’humanité pour admettre que les déprédations insouciantes causées à ce qui vit sont incompatibles avec l’éthique » (La Civilisation et l’éthique, Alsatia, 1923).

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