Bulletin religieux de l’Archidiocèse de Rouen du 19 mars 1932 p.230-239
Oraison funèbre de son Excellence Mgr Athanase HERMEL
Évêque titulaire de Casium
Vicaire Apostolique de Tahiti
prononcée
par son Excellence Monseigneur l’Archevêque de Rouen
dans la Chapelle de la Compassion
le 11 mars 1932
In mari viæ tuæ… Transvexisti per aquam nimiam.
La mer fut ton chemin… Tu l'as traversée dans son immensité.
(Répons de la férie de ce jour, tiré du ps. LXXVI, 20, et de la Sagesse X. 18).
Mes bien chers frères,
Combien touchante cette cérémonie qui s'accomplit dans cette chapelle de la Compassion, par l'intimité même qui nous facilite l'évocation de nos pieux souvenirs ! Pour célébrer Son Excellence Monseigneur Athanase Hermel, Évêque de Casium, vicaire apostolique de Tahiti, Nous aurions pu choisir de plus Vastes églises. Le sentiment de l'amitié qu'il professait pour l'aumônier de ce couvent Nous a seul inspiré cette élection, tant Nous étions convaincu qu'il l'aurait ratifiée hautement. Ainsi l'avez-vous compris, mon Révérend Père, vous qui, frère de celui que nous pleurons, connaissiez si bien les délicatesses de son cœur.
La liturgie de ce jour Nous a fourni le texte de cette oraison funèbre. Il Nous a paru qu'il convenait à celui qui, né à Fécamp d'une famille de grands marins, a passé plus de la moitié de sa vie sur l'océan Pacifique. Il fut pour son apostolat missionnaire un infatigable navigateur.
André Hermel naquit le 26 avril 1873, entre les deux collines dont les longs bras abritent l'étroite entrée au port. Quiconque s'en échappe considère par tradition que le monde lui appartient. Les pêcheurs de Fécamp jettent leurs filets dans les mers du Groenland et de Terre-Neuve, ses marins des longs-courriers accostent aux rivages de tous les continents.
Son milieu et surtout son foyer familial profondément chrétiens enveloppèrent André Hermel d'une atmosphère de foi. Écoutez plutôt : Son frère aîné entra dans notre clergé de Rouen ; le cadet alla chez les Trappistes. Lui-même devait adopter les Pères des Sacrés-Cœurs de Picpus ; un autre frère devint capitaine au long-cours. Vous êtes le dernier de cette belle lignée, Père Jean Hermel, dont nous sommes heureux d'entendre la puissante parole dans la chaire de notre cathédrale pendant cette station de Carême, en vrai et très éloquent fils de saint Dominique.
Aussi, quand le jeune André Hermel, élève de rhétorique, fatigué par des maux de tête tenaces, passa quelques mois dans sa paroisse de Saint-Étienne, pour se reposer chez lui, il apparut à tous comme un clerc né, un bon clerc, destiné par le passé et le présent de son foyer, par sa piété et son goût des choses divines, à la vocation sacerdotale, tant il montrait de zèle à servir à l'autel et à multiplier ses prières, avec ferveur.
Pour raconter sa vie, Nous la ramènerons à deux points. Pendant la première moitié de son existence, il se prépara, au séminaire, au noviciat, dans l'enseignement et le ministère, à la sublime mission que le Seigneur lui réservait et répondit fidèlement à la grâce.
Dans la seconde, il fut le parfait Évêque missionnaire, là-bas, sur l'immense Océan Pacifique, aux antipodes de notre Normandie. In mari viæ tuæ transvexisti per aquam nimiam.
I
En octobre 1884. André Hermel entrait au Petit Séminaire du Mont-aux-Malades. Il avait onze ans. Il vécut de longues années dans cette vaste demeure de l'étude, de la discipline et de la prière, arrachée par la persécution religieuse à Notre diocèse qui en pleure toujours la perte. Berceau de tant de générations saintes, elle y accueillit dans un cadre favorable la jeunesse chrétienne pour qui, laborieusement, jusqu'à la veille de la spoliation, elle fut édifiée, embellie par Nos prédécesseurs et les supérieurs auxquels ils la confièrent ; mais le peuple oublie vite les fautes qui déshonorent certaines pages de notre histoire politique et nos douloureux dépouillements.
Elève laborieux, intelligent, discipliné, André Hermel fit de solides études. L'un de ses maîtres qui le suivit pendant plusieurs années, M. le chanoine Jouen, rend volontiers témoignage à son brillant disciple. Son imagination et sa sensibilité l'inclinaient vers la poésie et les auteurs classiques. Il s'y complaisait avec, bonheur. Aimable camarade, il nouait déjà des amitiés solides, d'un cœur fidèle. Gai sans être bruyant, bon sans être expansif, il ne reculait pas à l'occasion devant des « tours » innocents avec une pointe de malice, mais il ne prenait jamais la tête des équipes bruyantes au jeu et se contentait de les suivre de son mieux.
Sa piété le portait au recueillement. Fidèle à la pratique des sacrements, il se plaisait aux cérémonies de la chapelle et cultivait volontiers la musique religieuse. En entendant les chants de la messe des morts si bien exécutés par les élèves de Notre Grand Séminaire, Nous songions tout à l'heure que du haut du ciel, il entendait, lui aussi, avec consolation, cette prière monter jusqu'aux pieds du trône du Seigneur.
En 1892, à 19 ans, André Hermel entra au Grand Séminaire de la rue Poisson, autre abri cher à de nombreuses générations cléricales, où Nous n'avons jamais pénétré, parce qu'il a été dérobé à Notre diocèse de Rouen. Il s'y appliqua, avec complaisance, à l'étude de la philosophie qu'il devait un jour professer.
Dans ses études ecclésiastiques, il apporta la même conscience, le même souci de s'instruire qu'au Petit Séminaire.
Pourtant d'autres préoccupations naissaient dans son âme. Appelé à l'état religieux, il cherchait sa voie. Prieur du tiers ordre dominicain au Grand Séminaire, il devait laisser ce choix des Frères Prêcheurs à son cadet. Pour lui, l'amour de la solitude, le goût des cérémonies ecclésiastiques et du chant sacré portèrent ses yeux vers les cloîtres bénédictins. Mais l'influence profonde des Directeurs du Grand Séminaire, les Pères des Sacrés-Cœurs de Picpus, leur piété, leur esprit surnaturel, leur culte de l'adoration perpétuelle l'amenèrent à leur Congrégation.
Fils des grands aventuriers, songeait-il déjà que ce chemin serait celui de la mer et des apostolats lointains par delà les océans ?
Le Cardinal Sourrieu hésita longtemps à concéder l'autorisation ardemment sollicitée. Il tenait à vérifier la solidité de cette vocation et sa pleine liberté. Quand en juillet 1895, il l’accorda, la joie ne fut pas pour l'abbé Hermel tout seul. On dit que les Pères du Séminaire firent une neuvaine de Magnificats en actions de grâces. Leur famille religieuse s'enrichissait d'un sujet de première valeur.
Il partit pour l'Espagne, où il fit son noviciat à Miranda de Ebro. Profès en 1896, il continua ses études au Scolasticat de Beire (Vieille Castille), sous le nom de P. Athanase, qu'il garda désormais, sans oublier son glorieux patron, saint André, qu'il invoqua fidèlement en souvenir de son baptême. En juillet 1897, il fut ordonné prêtre dans la vieille et magnifique cathédrale de Burgos. Il avait alors 24 ans.
Quittant l'Espagne, il suivit à Louvain les cours de philosophie de Monseigneur Mercier. Un an après, il revenait au Grand Séminaire comme professeur de philosophie.
Cette formation ascétique et intellectuelle en fit un directeur éclairé et un professeur entraînant. Il aimait ses élèves, les suivait avec intérêt, encourageait leurs efforts, les acclimatait à leur nouvelle vie si différente de celle du Petit Séminaire. Éveillant les intelligences, il formait, en même temps les âmes, afin que, profitant de la liberté relative de la règle, elles eussent de généreuses initiatives pour accroître leur culture et marcher vers la perfection. Nous en avons recueilli le témoignage des lèvres de ses disciples reconnaissants.
En septembre 1901, Waldeck-Rousseau, qui ne mesurait pas les extrémités auxquelles il préparait son parti et qui ne prévoyait pas les excès violents des persécutions combistes, de si douloureuse mémoire pour tous les cœurs français, avait décidé d'obliger les Évêques à confier leurs séminaires à des prêtres séculiers.
Les Picpuciens quittèrent ceux de Versailles et de Rouen et voilà le P. Athanase Hermel, avec son Supérieur, le P. Malige, qui a laissé si profond souvenir chez nous, installé à l'ombre de la chapelle Allemande de l'Immaculée-Conception du Havre. Prédicateur et directeur d'âmes apprécié, il n'y séjourna que quelques mois, au bout desquels le T. R. P. Bousquet, son Supérieur Général, l'appelait près de lui, à la maison Généralice de Paris, pour y continuer le même ministère. Au mois de décembre 1902, il reçut l'obédience qui fixa définitivement sa vie et l'attacha comme missionnaire à Tahiti et à ses archipels.
Les vues de Dieu sur cette âme d'élite éclatèrent dans cette décision inattendue. Il apparut que sa laborieuse préparation tendait à former en notre Père Athanase Hermel, un apôtre de l'Évangile dans les îles lointaines. In mari viæ tuæ… Transvexisti per aquam nimiam.
II
A peine parvenu à la maturité, puisqu'il n'avait pas encore trente ans, le Père Hermel arriva sur le véritable théâtre de son activité sacerdotale. Sicut avis transmigrans de nido suo, sic vir qui derelinquit locum suum (Sagesse). « Comme l'oiseau quittant son nid, ainsi l'homme qui abandonne son pays ». Il prend son essor vers l'inconnu. Dans ce sacrifice gît le premier mérite de la vie missionnaire, prélude de tous les autres. Le fils des hommes de la mer de Fécamp ne pouvait s'en émouvoir. Ce fut pourtant une méritoire séparation de tous ceux qu'il aimait.
À Papeete, capitale des îles Tahiti, Monseigneur Verdier, vicaire apostolique, avait 80 ans. Aussi quelque religieux de la maison mère s'aventura-t-il à dire que le voyageur emportait, sans le savoir, une crosse dans sa valise. À peine débarqué, le P. Hermel perfectionne sans tarder, sa connaissance de la langue anglaise : nous en verrons tout à l'heure la raison. Puis il s'attaque à la langue Canaque, qu'il tient à parler couramment et à posséder à fond. Le missionnaire forge ses armes. Vicaire à la Cathédrale de Papeete, puis curé, il se révèle au vieil Evêque comme un auxiliaire précieux, bientôt comme le bras droit qui lui devient nécessaire.
En effet, moins de trois ans après son arrivée, le Saint-Siège nomme le P. Athanase Hermel Evêque titulaire de Casium et coadjuteur du vicaire apostolique de Papeete. Il a 32 ans et il est le plus jeune évêque du monde. Il poursuivra sa tâche jusqu'à 59 ans et demi.
Il y avait dans l'histoire même de sa famille d'étonnantes prédestinations qui semblaient l'avoir marqué pour Tahiti. Son père, jeune enseigne de vaisseau, avait accompagné l'amiral Dupetit-Thouars dans une de ses expéditions océaniennes. Les îles de la Société avaient été déjà évangélisées par des missionnaires, les uns catholiques, les autres, protestants. Des conflits religieux surgirent et le drapeau tricolore dut apporter la paix en imposant à Tahiti un traité d'amitié avec la France, en 1838.
Ce ne fut qu'une trêve : surgit la fameuse affaire Pritchard, qui souleva tant de colères en Angleterre et fit couler beaucoup d'encre. Le roi Louis Philippe la résolut sans conflits violents, et l'amiral Dupetit-Thouars établit le protectorat de la France sur les îles de la Société en 1842.
Un jour le jeune enseigne de vaisseau Hermel débarquant à Papeete, y fut accueilli avec enthousiasme comme un aimable officier de France, et, dans une fête de la cour, il dansa avec la reine Pomaré. Les indigènes s'en souvinrent opportunément lors du sacre de Monseigneur Hermel et le reçurent avec la plus entière confiance. En retour, le jeune missionnaire eut la consolation de convertir plus tard au catholicisme la dernière reine Pomaré.
Devenu capitaine au long-cours, le père du nouveau coadjuteur avait eu l'honneur d'amener à Papeete, le premier vicaire apostolique Picpussien, Monseigneur Maigret, ancien directeur et professeur au Grand Séminaire de Rouen. Monseigneur Hermel se trouvait donc bien sur une terre prédestinée pour le recevoir ; il en était à l'avance le citoyen, puisqu'il appartenait à une famille amie et hautement appréciée.
La série d'archipels qu'il eut à administrer tôt après la mort de Monseigneur Verdier, sous sa responsabilité personnelle, représentait un domaine très dispersé de 150 îles. Quelques-unes étaient très lointaines. Pour les atteindre toutes, il les avait partagées en cinq sections différentes. Chaque année il consacrait six mois environ à parcourir un de ces secteurs. La superficie totale de ces îles ne dépassait pourtant pas celle d'un département
français. La population n'atteignait pas 30 000 âmes parmi lesquelles 4 500 européens et un millier de chinois.
La plupart de ces petites îles se composent d'un cône volcanique. Elles font partie du Cercle de Feu du Pacifique. Des ceintures de corail les encerclent. D'autres ne sont formées que par les coraux accrochés aux bas-fonds les plus élevés et constituent des anneaux qui finissent par se fermer, des atolls, au milieu desquels se trouve un lagon. Elles se dressent de quelques pieds seulement au-dessus du niveau de la mer et parfois on ne les découvre qu'au moment même d'y aborder.
Pour évangéliser cette poussière d'îles répandue en de vastes espaces, Mgr Hermel frétait de petites goëlettes, ou de grandes barques pourvues d'un moteur à gazoline. Il n'y avait point de cabine, aucun confortable. Dès que la mer était un peu grosse, il devait s'étendre à fond de cale, pour ne pas être balayé par les vagues. Il débarquait du navire accroché péniblement aux atolls, puis, sur les épaules d'un indigène, il était transporté à travers le lagon.
Ces navigations le fatiguèrent d'autant plus qu'il devait rester à jeun pour célébrer la sainte messe en descendant à terre. Arrivé au milieu de ses ouailles, il confirmait, catéchisait, prêchait, baptisait, confessait, mariait, en un mot, administrait tous les sacrements, bien heureux encore s'il ne devait pas subir les controverses soulevées par ces pauvres gens que les protestants avaient troublés dans leur foi.
Que de périls il courut sur ces frêles embarcations dans l'immensité du Pacifique ! Que de tempêtes il essuya dans ces coques de noix !
Quand il rentrait dans son île de Tahiti, à Papeete, il s'installait dans un domaine rural, aux portes de la ville. C'était son Évêché. Il le régissait avec sagesse comme un fermier de son pays de Caux, pour y trouver son entretien et celui de ses prêtres.
Le climat de Tahiti est délicieux mais anémiant. Il ne monte guère au-dessus de 35°, mais ne descend que rarement au-dessous de 20° et jamais au-dessous de 15. Au pied de ses sommets volcaniques et au bord des grandes forêts arrosées par trois rivières, l'évêque reprenait dans l'activité plus calme de sa petite capitale des forces pour ses courses périlleuses et fatigantes.
Outre le ministère qu'il exerçait dans Papeete, il entretenait la culture de son esprit, grâces aux revues de France et aux livres de son excellente bibliothèque. À l'entendre parler de toutes les questions qui passionnaient l'opinion des lettrés et des théologiens de France, personne ne l'aurait cru un vicaire apostolique perdu dans des îles lointaines du Pacifique, parmi des populations souvent primitives.
Souvent des étrangers le visitaient. Les relations de Tahiti avec les terres lointaines sont assurées par deux lignes de navigation, l'une venant de San-Francisco, c'est-à-dire des Etats-Unis, l'autre de Auckland dans la Nouvelle-Zélande. Avec ceux de ces visiteurs et commerçants qui parlaient anglais, Monseigneur Hermel usait de leur langue, ce qui étendait son action apostolique et son influence. Longtemps il évangélisa un petit groupe d'îles purement anglaises qui furent détachées de son vicariat, il y a deux ans. Son autorité doctrinale s'affirmait dans ce milieu mélangé de quelques protestants par des Lettres Pastorales sur la Foi, le Catéchisme, la Presse, l'Église, le Pape, le Protestantisme, par des conférences à la Cathédrale, sur la doctrine, sur l'apologétique, ou sur des questions actuelles comme le Divorce de Paul Bourget, la théosophie, les livres qui causaient le plus de sensation parmi les colons.
Deux revues lui permettaient d'atteindre son peuple, comme nos bulletins paroissiaux mettent nos curés en communication avec leurs ouailles : le Semeur de Tahiti, qui publiait les nouvelles religieuses et traitait les questions du jour, puis une revue en canaque qui s'adressait aux autochtones. En union avec ses missionnaires, il avait mené à bonne fin le colossal travail de la traduction de la Bible dans la langue polynésienne et l'avait fait approuver par le Saint Siège. C'était la première publication de ce genre qui eût paru en Océanie.
À Papeete, il avait organisé deux institutions qui étaient sa fierté et sa consolation, une école de Frères de l'Instruction Chrétienne de Ploërmel pour les garçons et une école de Sœurs de Saint-Joseph de Cluny pour les filles. Dans les îles, il formait sans cesse de nouveaux catéchistes. Il organisait des confréries d'Enfants de Marie, des associations de Mères Chrétiennes, des sociétés d'hommes catholiques. Son culte pour la Très Sainte Vierge, qui tient tant au cœur des Fécampois, se manifestait par le développement de la dévotion mariale dans ses îles.
Sa puissance intellectuelle, bien loin de s'affaiblir, s'affermissait au contraire d'année en année, par la bonne ordonnance de sa vie. Levé tous les jours à quatre heures du matin, il faisait une longue oraison et célébrait la sainte messe avec dignité et profonde piété. Plusieurs heures, chaque jour, étaient consacrées à la lecture, à l'étude, à la correspondance et à la composition. Son jugement sûr ne se troublait jamais : il gardait tout son bon sens cauchois, au milieu des affaires les plus complexes.
Modeste, il avait horreur de la parade et de l'ostentation. S'il était ami du silence et de la solitude, il ne fuyait pourtant pas les relations. Sa bonté gagnait les cœurs, car il s'oubliait lui-même et rendait service avec un parfait désintéressement. Sa sensibilité profonde faisait le bonheur de ses amis, parce qu'elle leur garantissait un commerce sûr et fidèle. Il avait d'étonnantes délicatesses de procédés. Quand nous le retrouvions dans notre pays, nous constations avec bonheur que ses manières, au lieu de subir les atteintes de sa rude vie de coureur de mer, s'affinait encore avec les ans.
Vous étonnerai-je en vous affirmant qu'il servit sa patrie comme un grand français ? Il l'honorait par sa distinction et en tous ses actes il portait la marque de son génie national.
Sans doute son unique préoccupation fut de servir Dieu et l'Église, en Évêque et en Missionnaire, mais sans trahir le culte légitime qu'il professait pour son pays.
Pendant la grande guerre de 1914-18, il fut mobilisé. Dans ces îles où s'exerçaient tant d'influences étrangères, il maintint la confiance en la victoire de la France. Son optimisme soutint le moral des habitants. Quand les navires allemands rôdaient dans le Pacifique autour de ces îles, il fut de ceux qui sauvèrent le territoire de l'invasion. Le Gouvernement reconnut son rôle patriotique par la décoration de Chevalier de la Légion d'honneur.
Grand Français, il se réjouissait quand ses voyages ad limina le ramenaient à Rome aux pieds du Souverain Pontife qu'il vénérait, dans les maisons de sa congrégation, où il goûtait la douceur de la fraternité spirituelle, en sa chère Normandie, où il retrouvait sa famille et ses nombreux amis d'enfance et de jeunesse.
À Fécamp et sur les plateaux de Caux, il oubliait un moment la beauté luxuriante de ses cultures tropicales pour admirer la fécondité de sa terre natale et la richesse de ses moissons.
Lors de son dernier voyage en Europe, chacun de ses amis s'apprêtait à jouir un peu longuement de sa présence. Quelques-uns même se berçaient de l'espoir de le voir prendre un repos que nécessitait une santé gravement atteinte.
Homme de Dieu, il prit d'autres soucis. En secret, il consulta un maître de la science, qui ne lui dissimula pas le mal qui le rongeait.
Alors rapidement il fit ses préparatifs de départ pour souffrir et mourir dans son diocèse. Nous espérions le posséder à nos fêtes magnifiques du Vè centenaire de la mort de sainte Jeanne d'Arc, mais déjà il voguait vers les profondeurs de son Pacifique, calme et abandonné sans réserve à la divine volonté.
Le voilà dans sa cathédrale et son Évêché de Papeete. Un voile s'étend sur son front, le grave souci de se préparer, dans la sérénité de son âme, au grand voyage de l'éternité.
En octobre 1931, il subit une intervention chirurgicale qui ne pouvait le sauver.
Le 5 décembre, dominant ses souffrances, il parut au milieu de son peuple et administra le sacrement de confirmation. La cathédrale était pleine et l'émotion vive. Chacun songeait que c'était peut-être son suprême office pontifical. Il parla d'une voix un peu éteinte et tous les yeux s'emplirent de larmes. Sa prédication, écrit le Semeur de Tahiti, ressemblait à la flamme d'un foyer qui s'éteint et qu'un puissant souffle ravive un moment.
Le 26 janvier 1932, il demanda et reçut les derniers sacrements. Cependant il eut encore la force de tenir jusqu'au 20 février où il rendit le dernier soupir, dans la 59° année de son âge, la 35° de son sacerdoce, la 27° de sa Consécration épiscopale. Justorum animæ in manu Dei sunt. (Sagesse III, I).
Aujourd'hui, dans la messe que chantait tout à l'heure mon Vicaire Général, Monsieur le Chanoine Bertin, la sainte liturgie nous racontait la résurrection de Lazare. Dans cet entretien sublime de Jésus avec Marthe et Marie, il n'est question que d'immortalité. Celui qui croit au divin Maître et se confie à Lui ne meurt pas, ou s'il meurt il revit. Celui qui, dans cet épisode émouvant, crie à son ami : Lazare, veni foras ! « Lazare, sors du tombeau ! » ne nous arrache pas tous à notre sépulcre, mais il convie tous ses fidèles serviteurs à prendre place dans son royaume. Il les invite au banquet de l'éternelle vie. Ainsi de Monseigneur Hermel, Évêque titulaire de Casium, Vicaire Apostolique de Tahiti que nous pleurons.
Son corps repose là-bas, dans sa Cathédrale, au milieu de l'Océan Pacifique et ses diocésains gardent ses restes avec vénération. Quant à son âme de bon serviteur de l'Église, elle vit là-haut dans le sein de Dieu qu'il a tant aimé et pour lequel il a vaillamment travaillé jusqu'au bout de son sillon. Etiamsi mortuus fuerit, vivet. Saluez-le. Il vit dans la gloire. Ainsi soit-il.