1908 - Groffier

Missions Catholiques de Lyon - 1888

Héros trop oubliés de notre épopée coloniale 

II — FRANÇOIS BAUDICHON.

 

Groffier valérien - 1908 – pp.395-396

 

Lorsque les premiers prêtres français abordèrent aux Marquises, elles étaient encore libres et sauvages, et pourtant bien des navigateurs y avaient fait relâche. Elles avaient été découvertes et baptisées Marquesas[1] par l'Espagnol Mendana (1595) ; elles avaient été visitées par l'Anglais Cook (1774), par l'Américain Ingraham (1791), par le Russe Krugenstern (1804) et par bien d'autres, et ni l'Espagne, ni l'Angleterre, ni l'Amérique, ni la Russie, n'en avaient pris possession ; nul État civilisé n'avait arboré son drapeau sur ces îles pittoresques, zébrées de montagnes basaltiques aux formes capricieusement tourmentées, merveilleusement fertiles, dotées d'un climat rafraîchi par l'entour d'un Océan immense... mais peuplées de sauvages terriblement bien endentés. Ces sauvages étaient cannibales. Ils se tatouaient le corps et le visage de bandes d'un bleu sombre, faisant étrangement ressortir le blanc de leurs yeux et l'émail poli de leurs canines redoutables. Ce dernier détail sans doute donnait à réfléchir et décourageait les acquéreurs.

Quoi qu'il en soit, pour cette raison ou pour d'autres, les onze Marquises étaient encore terres vacantes et sans maîtres, lorsqu'en 1842, l'amiral Dupetit-Thouars, appelé à Tahiti, où des Français maltraités réclamaient son intervention, rencontra sur son chemin la montagneuse Tahouata. Il y descendit et, le 1er mai, frappant de son épée le sol de Vaïtahou, proclama tout l'archipel marquisien terre française.

Les missionnaires des Sacrés-Cœurs n'avaient pas attendu cette solennelle annexion pour s'établir à Tahouata, à Ouapou et à Nouka-Hiva. Arrivés le 4 août 1838, ils étaient déjà parfaitement au courant des traditions, des usages et de la langue, et, pour les préliminaires de la prise de possession, leur concours avait été des plus utiles. François Baudichon, supérieur de la mission de Tahouata, avait servi d'interprète et décidé le roi Iotété et le grand chef Mahéono à apposer leur signature au bas du procès-verbal d'annexion. Ce fut encore lui qui aida l'amiral à planter le drapeau français sur les îles Ouapou et Nouka-Hiva, et qui, trois mois plus tard, se fit le pacifique médiateur entre la garnison française et les indigènes révoltés de Vaïtahou. Aussi, l'année suivante, recevait-il la croix de la Légion d'honneur.

En 1844, le Vicaire apostolique des missions marquisiennes et tahitiennes, l'évêque Étienne Rouchouze, ayant malheureusement trouvé la mort dans un naufrage, François Baudichon fut choisi pour le remplacer.

Peu de temps après son sacre, se produisit un fait que nous citerons pour montrer quelle influence il exerçait sur les sauvages peuplades de l'archipel. Les gens de Tahouata ayant chassé leur roi, dont ils étaient mécontents, le nommèrent à sa place, par acclamation. Il fit semblant de prendre la chose au sérieux et il profita de l'autorité qu'on venait de lui conférer pour établir de bons chefs à la tête de chaque tribu... Puis il abdiqua.

Le précoce épuisement de sa santé devait, d'ailleurs, le contraindre bientôt à renoncer à la vie active des missions. Revenu, en 1854, dans sa Touraine natale, il s'est éteint doucement, en août 1882, près du tombeau de saint Martin.



[1] En l'honneur de son protecteur le marquis de Mendoza, vice-roi du Pérou, qui l'avait envoyé dans ces parages.

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