Toute cette vie s'exprime par de nombreux mouvements. Ils sont plus de style spontané et libre que fortement encadrés et disciplinés. Pas plus la tradition locale ou les possibilités de l'Église catholique que la mentalité des groupes très dispersés à travers les îles ne font envisager une organisation centralisée et trop structurée. Les mouvements chrétiens, qu'ils soient de jeunes ou d'adultes, sont d'abord au service de l'évangélisation pour la promotion d'hommes libres ; les activités éducatives ou sportives, l'encadrement sociologique sont au service de l'homme et de sa dignité. En effet les chrétiens en Polynésie ont une vive conscience que l'Église c'est eux ; ils sont de quelque manière les possesseurs de leur paroisse et le diacre ou le prêtre est au service de leur communauté. Par « I'amuiraa », l'Église est leur patrimoine dans les épreuves comme dans les réussites. Sur tous les plans, ils en sont les constructeurs avant d'en être les usagers.
L'attitude de Mgr Mazé qui a beaucoup travaillé pour les « œuvres de jeunesse » était beaucoup plus de faire faire dans la confiance que de s'imposer. Les demandes des deux Synodes de 1970 et 1973 concernaient seulement une concertation et une coordination pastorale au niveau du diocèse entre les divers mouvements et activités ; c'est une conception fédérative et pluraliste permettant à chaque personne et à chaque groupe de s'épanouir selon sa personnalité, .ses traditions et son projet éducatif. L'Église se refuse à proposer et encore moins à imposer une recette idéale. Elle favorise les « communautés de base », la responsabilité au niveau de la vie concrète dans une conception organique et pluraliste de l'unité. D'ailleurs, la dispersion géographique des îles, la diversité des groupes et la pluralité des cultures appellent une telle spontanéité libre. Une centralisation uniforme ne pourrait se faire sans une certaine contrainte violente de la jeunesse.
L'histoire récente montre trop la récupération de la générosité des jeunes et la manipulation politique ou religieuse de leur ardeur par les divers fascismes et pouvoirs totalitaires pour que l'Église catholique, qui a toujours beaucoup à en souffrir, ne soit pas fort réservée à cet égard. Tentation du pouvoir, puissance de l'argent ou orgueil des compétitions sont des dangers permanents pour tous les mouvements de jeunes qui se veulent éducateurs selon les valeurs de l'évangile. « L'essentiel est de participer et non de gagner », disait Coubertin en relançant les Jeux Olympiques modernes. On voit comment la politique, l'argent ou l'orgueil les ont dénaturés. Ces tentations ne sont pas illusoires en Polynésie où le sport compte beaucoup et reçoit énormément d'argent. Tout ce qui est entrepris l'est-il toujours au service des jeunes et de leur épanouissement ? Ce sont des questions graves ; il est en fait difficile de les aborder en public tellement les intérêts et les passions en jeu sont importants. C'est une question très sérieuse pour la Polynésie qui a plus de la moitié de sa population au-dessous de 20 ans[7].
Les deux Synodes avaient une importante commission du « Monde des Jeunes ». Pour répondre au vœu du premier Synode, « l'Association du Monde des Jeunes » (A.M.D.J.) est créée en février 1971. Son but premier est de coordonner les divers mouvements et d'animer la jeunesse. L'animateur pastoral en est le P. Léon Lemouzy aidé d'un bureau. Dans la pratique, l'animation de la jeunesse désœuvrée, trop souvent victime de l'alcool, de la drogue et insérée dans aucun groupe prend vite le pas sur la coordination. Progressivement l'A.M.D.J. devient une sorte de fédération diocésaine des groupes paroissiaux de jeunes. Ces groupes locaux fonctionnent de manière spontanée au niveau des quartiers, des vallées ou des petites îles. Ils sont très liés à la personnalité du cadre et de la petite équipe qui l'entoure. Chacun a son style, son projet particulier, ses possibilités. C'est un peu analogue aux anciens « patronages » dans la France d'avant 1939. Aussi l'A.M.D.J. - avec les hauts et les bas de n'importe quel groupe de jeunes à reprendre tous les deux ou trois ans - devient le mouvement de base pour la jeunesse populaire du diocèse. Il se vit au niveau des paroisses et des quartiers avec tous les aléas des variations incessantes des jeunes. C'est un accompagnement patient dans un esprit communautaire et par des projets ponctuels. Ce mouvement atteint environ un millier d'adolescents et de jeunes dans les quartiers populaires. D'une certaine manière c'est assez proche de la Fédération Sportive et Culturelle de France (F.S.C.F.) qui accepte de parrainer l'A.M.D.J., spécialement pour la formation des cadres et l'initiation à diverses techniques éducatives[8].
Le Scoutisme est lancé en 1947. Ce mouvement, fondé par Baden Powel en juillet 1907, est bien connu de tous. On se doute qu'il a connu bien des changements depuis 35 ans. Tahiti entre les années 1950 et 1983, tout en gardant son âme, a subi de profondes métamorphoses. Le mouvement dépend en grande partie, comme beaucoup d'activités sportives et éducatives en Polynésie, des « cadres verts » métropolitains ; ce sont habituellement des enseignants. Les frères de Ploërmel jouent un rôle actif dans l'encadrement du scoutisme, comme actuellement Fr. Jean-Pierre Boissière et Fr. Henri Alanou, avec des responsables locaux comme Léone Révault. En 1983, le scoutisme compte autour de 60 cadres et il touche 400 enfants et adolescents. Les parents y prennent une part active ainsi que quelques prêtres qui les accompagnent.
Le Mouvement Eucharistique des Jeunes (M.E.J.) est lancé par deux sœurs de Saint-Joseph de Cluny : sœur Marthe Hellard à la Mission et sœur Louise Guiavarc'h à Sainte-Thérèse. Malgré divers essais d'extension aux paroisses, le M.E.J. reste essentiellement un mouvement d'animation des enfants et des jeunes en milieu scolaire ; il y joue un rôle très important. Rapidement, en particulier par divers jeunes frères de Ploërmel faisant leur service comme volontaire à l'aide technique dans les écoles (V.A.T.), le M.E.J. se développe et se fortifie. Il est présent dans l'ensemble des écoles catholiques. Il organise diverses sessions, des récollections et des camps. Divers professeurs laïcs y participent et y ont un rôle actif, comme Dominique Soupé. Sous la responsabilité du frère Alain Celton, le M.E.J. anime actuellement autour de 700 jeunes et compte 120 cadres.
À côté de ces mouvements apostoliques qui sont structurés autour de leur projet et organisés à travers leur pédagogie propre, on ne peut négliger des groupes plus spontanés liés aux activités paroissiales ou aux mouvements d'adultes. Les groupes de chants (« pupu himene ») jouent un rôle considérable pour regrouper les jeunes en vue de tètes ou de célébrations régulières. Par les longs temps de répétition, les exigences de la qualité musicale, l'intériorisation des contenus liturgiques, ces groupes motivent et rassemblent les jeunes dans le service de la communauté. Avec le développement général du renouveau liturgique et spirituel, ces jeunes se mettent en route dans l'approfondissement de la foi et son témoignage par divers services ; tel ce groupe de jeunes de Faaa, animé par des adultes du Renouveau et le chanteur Gabilou, qui a passé, à Noël, plusieurs heures à visiter les prisonniers de Nuutania ; ces services ponctuels correspondent bien à la psychologie polynésienne.
De même les récollections mensuelles de la « Légion de Marie » attirent de nombreux jeunes qui veulent découvrir les divers aspects chrétiens de la famille, de la sexualité, de l'amour tels que Jésus-Christ nous les propose. Ces rencontres constituent comme des sortes de groupes d'acheminement où les jeunes, souvent pris par l'alcool, la drogue et la débauche, se sentent accueillis, respectés, aimés. Ils y rencontrent des adultes qui ont vécu les mêmes tentations, sont passés par les mêmes épreuves qu'eux. Le témoignage simple et prenant des foyers convertis, l'exemple de la lutte quotidienne de ces adultes pour s'en sortir est un des aspects les plus évangéliques de la pastorale en Polynésie. Il y a de l'or chrétien dans les poubelles de la société tahitienne. Les jeunes découvrent par l'expérience que Jésus est bien vivant dans l'Église et qu'il continue toujours de « venir chercher et sauver ce qui était perdu, appeler les pécheurs pour qu'ils se convertissent » (Lc 5,32).
Le « Rosaire Vivant » de même accueille les jeunes des divers quartiers. Dans la zone urbaine de Papeete, ces groupes se réunissent selon une certaine affinité dans de vraies communautés de base empêchant l'anonymat mortel des grandes cités. Ils constituent comme un réseau nerveux et un système circulatoire permettant des échanges à échelle humaine. En plus de l'entraide et des visites, nous avons signalé que certains groupes ont habituellement des responsabilités précises dans la vie paroissiale: entretien de l'église et des salles de réunions, débroussage de l'enclos paroissial, entretien des pelouses et des plantes, animation de telle ou telle cérémonie (messe, salut, adoration... ). Régulièrement il y a des réunions et des célébrations dans les quartiers où un coin de prière est aménagé dans telle ou telle maison: grotte, calvaire...
Ne revenons pas sur l'activité importante des groupes de Renouveau charismatique pour assurer le rassemblement et éveiller au service des autres.
Sans vouloir être complet, il convient en terminant cette évocation d'un peuple chrétien en mouvement, de signaler divers engagements demandés par les Synodes et la « Révision Apostolique » et actuellement en cours de réalisation. L'Association Familiale Catholique (A.F.C.) s'organise progressivement à l'échelle de chaque paroisse. De plus en plus de rencontres et d'actions au service des familles sont entreprises ; nous en avons déjà parlé. C'est une action constante et de longue haleine ; dans le monde actuel c'est une entreprise apostolique difficile mais essentielle aussi bien pour la société polynésienne que pour l'Église. Il est absolument inouï de constater qu'il existe des gens pour penser qu'une société humaine puisse vivre et prospérer avec des familles détruites.
De même les associations de parents d'élèves deviennent de plus en plus actives. Elles commencent à organiser des rencontres avec des thèmes de réflexion éducative. Les enseignants catholiques, très particulièrement au niveau du Premier Degré et surtout depuis la « Révision Apostolique » de 1978, participent de plus en plus à ce mouvement commun. L'action de formation et de soutien du Bureau Pédagogique, jointe à celle du centre de la catéchèse et aux divers groupes de prière, entraîne un mouvement en profondeur dans la direction de ce qui a été souhaité par le Synode de 1973. Les écoles catholiques sont de mieux en mieux, selon leur « caractère propre », des communautés éducatives, ouvertes aux parents et à la vie. Des progrès sont faits dans la proposition de la foi en Jésus-Christ et dans sa célébration. Les liens avec les mouvements de jeunes sont bien acceptés.
De nombreux chrétiens participent aux diverses activités territoriales, selon le souhait du Synode de 1973 sur le développement. L'Église catholique ne joue pas à la « société parfaite » autosuffisante ni au contre-pouvoir. Nous avons déjà signalé les bonnes relations entre l'Enseignement Territorial et la Mission dans les diverses îles, malgré les inévitables petits problèmes ponctuels. Des frères de Ploërmel participent activement aux organismes de jeunesse et de sports, comme Fr. Henri Guigo et Fr. Maxime Chiu. Diverses opérations d'entraide au niveau du Territoire, tel le célèbre « Noël pour tous » qui mobilise tant de monde, font appel au soutien des congrégations comme les sœurs de Cluny. Si la convivialité est fragile, il faut reconnaître qu'elle est réelle et que l'action sociale des catholiques à travers les divers mouvements et organisations travaille en ce sens.
[7] Les passages du P. DERSOIR de la F.S.C.F. en 1981 et 1982, de divers commissaires et aumôniers du scoutisme, de responsables d'autres mouvements permettent régulièrement d'approfondir ces questions.
[8] F.S.C.F. : Vers quel homme ?… Par quels chemins ? Paris 1982.