Tahiti 1834-1984 - Chap. I

 

PREMIÈRE PARTIE

TERRES MINUSCULES, MER IMMENSE, HOMMES DISPERSÉS

 

 [pp.33-107]

 


 

Chapitre 1

Semis d’îles colorées sur le Grand Océan

[pp.35-48]

 

Océanie

L'Océanie[1], cinquième continent nommé ainsi depuis 1812, est le mariage original de l'immensité des mers et de la petitesse des terres qui éparpille les hommes sur le tiers du globe terrestre. L'Océan Pacifique qui l'unifie, représente la moitié des mers : 180 millions de km; il s'étale sur 14 000 km du Nord au Sud et 20 000 km d'Est en Ouest. Le Pacifique Nord, bordé des continents actifs et peuplés d'Amérique du Nord et d'Asie, est pratiquement vide, hormis Hawaii. Le Pacifique Centre et Sud, ouvert sur l'Antarctique, est une zone d'insularité extrême ; les terres et les îles sont surtout concentrées dans le secteur ouest. Nouvelle-Zélande, Australie, Nouvelle-Guinée, Indonésie, constituent les ensembles terrestres les plus importants. On compte seulement vingt-deux îles comprises entre 38 000 et 1 000 km2 de superficie. Innombrables sont les petites terres et îlots dispersés, comme les Marshall pulvérisées en 1 460 îles pour une surface de 2 732 km!

Ces îles océaniennes présentent des caractères communs. Climatiquement elles sont dans la zone tropicale où soufflent les alizés et parfois les cyclones dévastateurs, comme « Nano » qui a ravagé dix-sept îles en janvier 1983 et « Orama », « Reva », « Veena », « William » ont saccagé les autres ! Géographiquement, hormis quelques isolées tels l'île de Pâques ou Clipperton, elles sont groupées en archipels orientés Sud-Est.Nord-Ouest. Géologiquement, elles représentent des dorsales océaniques, cicatrices anciennes ou appareils volcaniques actuels venant de l'activité des plaques terrestres. Les volcans émergés constituent les « îles hautes » ; les volcans éteints et immergés forment le socle des constructions coraliennes donnant les « îles basses ».

L'isolement des îles océaniennes, à plusieurs milliers de kilomètres de tout continent, leur caractère géologique récent - (fin du Tertiaire et du Quaternaire) -, l'homogénéité du climat tropical ont donné naissance à une flore et une faune terrestres très endémiques et habituellement pauvres en espèces, contrairement à la grande diversité de la vie marine, surtout dans les îles coralliennes ; mais variété des espèces ne signifie malheureusement pas richesse halieutique. L'essentiel de la végétation et du peuplement animal actuels est le fruit des groupes humains successifs.

Longtemps objet de vives controverses, le berceau du peuplement océanien initial est désormais fixé avec certitude par les diverses Sciences humaines dans le Sud-Est asiatique. Les premiers Océaniens apparaissent vers 4 000 ans avant J.-C. Les populations des îles de l'Océanie font partie de l'ensemble linguistique austronésien, déployé de Formose à Madagascar et jusqu'à l'île de Pâques. Ce peuplement s'est étalé sur une durée de cinq mille ans environ. Il a propagé les cultures vivrières et les élevages de la région indo-malaise, ainsi que les outillages et les poteries dont les vestiges archéologiques permettent d'en suivre les principales étapes. Le Musée de Tahiti et des Iles à Punaauia en présente de remarquables cartes et reconstitutions.

Il est toujours d'usage de répartir les populations des îles océaniennes en trois grands ensembles culturels : la Mélanésie au Sud-Ouest, la Micronésie au Nord-Ouest et la Polynésie au Centre et à l'Est. Mais, actuellement, on découvre que cette division commode et à base réelle, ne représente plus les frontières ethniques rigides ni les caractères humains précis et délimités que l'on imaginait au siècle dernier. Cependant l'observation met en évidence les caractères particuliers des Micronésiens, la grande diversité du monde mélanésien et l'unité profonde de l'ensemble polynésien, objet particulier de ce travail.


[1] Voir en particulier :

- Atlas de la Nouvelle-Calédonie et dépendances. O.R.S.T.O.M. 1981, Paris.
- Musée de Tahiti et des Iles :salles l, 2, 3.
- J. FAGÈS : Petit Atlas de la Polynésie française. Société des Océanistes, dossier 19. Paris 1979.
- P. HODÉE : La Mer et les Hommes. Collection Eveil 11, D.E.C. Nouméa 1979. 

Polynésie

L'espace ethnique polynésien[2] représente un vaste triangle de 8 000 km de côté dont les trois pointes sont Hawaii, l'île de Pâques et la Nouvelle-Zélande ; cette zone centrale du Pacifique comprend en plus le Royaume de Tonga, les Samoa occidentales et les Samoa américaines, Tuvalu, Tokelau, les îles de la Ligne, Pitcairn, Niue, les îles Cook et les deux Territoires français de Wallis-Futuna et de la Polynésie française. L'archipel des Fidji et celui des Loyauté, l'île d'Ouvéa particulièrement, occupent une position intermédiaire entre la Polynésie et la Mélanésie. C'est Charles de Brosses qui est l'inventeur du vocable « Polynésie » - (îles nombreuses) - en 1756. Son « Histoire des navigations aux Terres australes » lui donnait une extension géographique plus grande que le sens actuel qui a été défini par Dumont d'Urville en 1831 ; la Polynésie géographique actuelle correspond à ce que les anciens auteurs nommaient Polynésie orientale ou Océanie orientale.

L'ensemble polynésien présente une unité certaine. D'abord la dépendance maritime, dans ce triangle où les îles ne représentent qu'un millième de la surface totale, conditionne fortement la vie quotidienne des habitants. L'étroite familiarité des Polynésiens avec l'océan en fait des pêcheurs et des marins experts ; le monde entreprenant des Polynésiens a développé à la perfection la construction et l'usage de l'embarcation étonnante qu'est la pirogue sous toutes ses formes. Les grandes distances à franchir, la régularité du climat tropical dans ces petites îles - hormis pour les Maoris de Nouvelle-Zélande -, l'homogénéité de la végétation et des cultures, la similitude des styles de vie et des régimes alimentaires donnent une cohésion intime entre ces Océaniens. Mais, comme l'écrit l'O.R.S.T.O.M., « l'unité de la Polynésie est d'abord celle de la langue - (le “reo maohi”). Le “triangle polynésien” constitue, aux variantes dialectales près, un domaine linguistique unique. L'organisation socio-politique était généralement fondée sur des principes lriérarchiques : chefferie héréditaire, stratification des statuts sociaux, pouvoir politico-religieux, organisation de type féodal dans certains archipels. Les entités politiques et sociales pouvaient être importantes, en nombre d'individus comme en étendue de territoire, et tendaient à la formation d'hégémonies (cas de l'empire maritime tongien notarnment) ». (Atlas de N.-Calédonie, présentation d'ensemble.)

En 1980, la Commission du Pacifique Sud estimait la population polynésienne à 470 000 habitants, auxquels il faut ajouter les Maoris d'Hawaii (50 000) et de Nouvelle-Zélande (260 000) et les Polynésiens de Nouvelle-Calédonie (20 000) ; les Polynésiens seraient ainsi environ 800 000.

La situation politique de ces îles est fort variée. Les Polynésiens d'Hawaii constituent 5% de la population du 50è État des États-Unis d'Amérique. Les Maoris de Nouvelle-Zélande, dont beaucoup sont originaires des îles Cook, de Niue ou de Tuvalu, représentent environ 10% de la population de cet État à majorité blanche. Les îles Cook ont le statut d'État associé à la Nouvelle-Zélande, ainsi que Tokelau et Niue selon des modalités propres. La Monarchie des Samoa occidentales et le Royaume de Tonga sont des États indépendants, membres du Commonwealth ainsi que Tuvalu. Les Samoa américaines et les îles de la Ligne sont des dépendances des États-Unis. Pitcairn est colonie britannique à statut interne particulier, et l'île de Pâques est une dépendance du Chili. Wallis-Futuna et la Polynésie française sont des Territoires d'Outre-Mer de la République Française, les premières depuis 1959, la seconde depuis 1946 avec statut d'autonomie interne en date du 12 juillet 1977.

Au point de vue de la langue de communication internationale, hors les 160 000 habitants des deux Territoires français, les autres Polynésiens sont de langue anglaise. Il faut souligner que, dans une Océanie où il y a à peine 1% de francophones, les 20% de Polynésiens français constituent une exception remarquée. Il convient de noter aussi le point de vue de l'appartenance religieuse, si prégnante dans toutes les îles océaniennes ; les diverses Confessions protestantes y représentent 75% de la population et l'Église catholique le quart. Mais la Polynésie possède les trois seuls archipels catholiques à plus de 90% : les Gambier, Wallis-Futuna et les îles Marquises ; la Polynésie française est de religion catholique à plus d'un tiers de sa population.

Après ces notations rapides, la cadrant dans son environnement polynésien et océanien, nous pouvons aborder aux rivages de la Polynésie française.


[2] En plus des précédents : J.B. NEYRET : Les Pirogues océaniennes. Musée de la Marine, Paris 1977.

Polynésie française

Situé au Centre-Est du « triangle polynésien », le Territoire actuel de la Polynésie française[3] s'étale entre les 7è et 28è latitude Sud et les 131è et 156è de longitude Ouest. Il recouvre une superficie de 4 000 000 km2 qui entraîne, avec l'application des 200 miles, une zone économique de 5 500 000 km2, soit dix fois la Métropole.

Il est constitué de 108 îles principales, regroupées en cinq archipels : les îles Australes, la Société, les Tuamotu, les Gambier, les Marquises ; quatre sont composées d'îles hautes, les 84 îles Tuamotu étant des îles basses coralliennes. Hormis les îles Marquises qui plongent directement dans la mer sans récifni lagon, les îles hautes des autres archipels sont ourlées, plus ou moins régulièrement, d'un récif corallien, blanchi par la houle du large ; les passes, face aux rivières, ouvrent sur des lagons dont certains constituent de bons ports naturels. Les divers archipels sont alignés S.W-N.E, selon l'axe général de la structure géologique du Pacifique ; sous ce rapport, les Tuamotu-Gambier ne constituent qu'une seule dorsale volcanique, de même que ces îles sont réunies dans la même unité administrative.

La superposition des cartes de la Polynésie française et de l'Europe ou de l'Amérique du Nord permet de mieux réaliser la dispersion extrême des îles et de mesurer l'ampleur des problèmes pratiques à résoudre par les divers responsables. Par rapport à l'Europe, Tahiti étant positionné à Paris, les Marquises seraient autour d'Oslo en Norvège, les Gambier à Bucarest en Roumanie et Rapa du côté de la Sicile. Par rapport aux États-Unis et au Canada, Rapa étant du côté de la Nouvelle-Orléans et les Gambier sur la côte atlantique de la Caroline, les Marquises seraient dans la région de la baie James au Nord de l'Ontario, Tahiti au centre du Nebraska et les Iles-sous-le-Vent dans les contreforts des Montagnes Rocheuses. Pas mal de comportements ou de réactions surprenants pour les continentaux s'expliquent par l'énormité des distances et des difficultés d'un pareil désert d'eau. Tahiti est à 1 400 km des Marquises et 1 800 km des Gambier. La Nouvelle-Zélande se trouve à 4 000 km, la Nouvelle-Calédonie à 5 000 km, l'Australie à 6 000 km et, de plus, le lendemain en raison de la « dateline » à franchir au niveau de Wallis-Futuna. Du même côté du 180è méridien qui constitue la ligne internationale de changement de jour, on trouve Hawaii à 4 500 km, le Mexique et la Californie à 6 500 km, le Chili à 8 000 km. On conçoit qu'on ne peut s'immerger en Polynésie sans gérer l'espace-temps d'une façon particulière ; on est « ailleurs » et on y devient « autre ».

Dans ce vaste secteur maritime, la surface totale des îles ne représente qu'à peine 1/1 000, soit 4 000 km2 - (taille de la Corse du Sud, du Haut-Rhin ou du Tarn-et-Garonne) -, dont seulement 3 265 km2 sont habités par 150 000 personnes, résidant pour les 3/4 sur la seule île de Tahiti.

La répartition ethnique de cette population est très délicate à analyser tant est développé le métissage : les « demis ». De plus, l'insertion socio-économique joue un rôle important dans le style de vie des familles. Tahiti est le lieu de rencontre de quatre modèles de société et de quatre cultures : le modèle maohi par la sensibilité, le style de vie et le folklore traditionnel, le modèle français par l'administration et l'école, le modèle américain par la technologie, le tourisme et les média et le modèle chinois par l'activité économique. De fait, et officiellement depuis 1980, la Polynésie française est bilingue : français et tahitien, même si le « reo maohi » recouvre d'autres parlers : marquisien, mangarévien, paumotu ; de plus il ne faut pas oublier l'usage fréquent de l'anglais et du chinois hakka. Depuis 1963 avec l'implantation du Centre d'Expérimentation du Pacifique à Moruroa et Fangataufa, le Territoire vit une mutation accélérée et brutale qui sera explicitée dans la dernière partie de ce livre. L'évolution de la population sera décrite dans le chapitre IV.

À l'exception des îles plus méridionales des Gambier et des Australes qui sont plus fraîches, le climat général de la Polynésie française est un climat tropical chaud et humide, assez uniforme tout au long de l'année. Les variations sont modestes entre la saison chaude et pluvieuse de novembre à avril et la saison fraîche et sèche de mai à octobre ; l'hygrométrie moyenne est de 75 % et la température oscille entre 20° et 32°, autour de 27° à Papeete. En raison de la dispersion géographique et du relief très accidenté des îles hautes, les micro-climats sont très divers d'un endroit à l'autre. La quantité annuelle de pluie varie de 1 à 14 mètres selon les lieux à Tahiti. Le régime des vents est différent sur la côte Est exposée « au vent » et la côte Ouest « sous le vent ». La latitude assez proche de l'équateur entraîne des variations diurnes faibles, de l'ordre d'une heure le matin et le soir, entre les solstices ; de plus, selon la règle générale dans la zone intertropicale, aube et crépuscule sont réduits à un quart d'heure ou vingt minutes.

La flore et la faune autochtones sont pauvres en espèces. La végétation des atolls, très spécialement de l'ensemble des Tuamotu, est réduite et de caractère xérophyte, lié au sol calcaire et peu fertile de ces îles. Celle des îles hautes, à sol volcanique et bien arrosé, prend souvent un aspect exubérant ; certaines hautes vallées humides constituent un refuge assez impénétrable pour les restes de la dense végétation primitive, à base de bambous, purau, pandanus, mape, fei ... L'essentiel de la flore polynésienne actuelle a été introduit par les premiers Polynésiens (cocotier, arbre à pain...) et par les Européens. En plus des essais multiples tentés par des marins, en particulier les pharmaciens, et que cite C. Cuzent en 1860, il convient de souligner l'action particulière de Mgr Tepano Jaussen (1845-1891) et de Harrisson Willard Smith (1920-1947) qui ont acclimaté à Tahiti des centaines d'espèces nouvelles, tant utilitaires qu'ornementales : mangues-mission, pamplemousses roses, orchidées multicolores, hibiscus et bougainvillées... sont aussi familiers que le célèbre Tiaré Tahiti originel.

La faune terrestre initiale est fort indigente. La totalité des mammifères et presque tous les autres animaux ont été importés. L'heureuse conséquence en est l'absence de tout animal dangereux, hormis le « Cent-pieds », gros scolopendre à piqûre douloureuse. Il n'en est pas de même de la faune marine à l'abondance incomparable : coraux, coquillages, poissons, crustacés peuplent le littoral d'une grande variété de formes et de couleurs.

Aussi est-il aisé d'imaginer que, en dehors de tout apport extérieur surtout développé depuis 1963, la subsistance locale est à base de cocotier - arbre de vie par excellence - et d'arbre à pain, complétés par les taros, ignames, bananes... et de la pêche (de poissons et de coquillages). Dans l'ensemble des îles hautes, une telle économie de subsistance a permis la survie habituelle des populations polynésiennes. Il n'en a pas été de même sur les atolls des Tuamotu où la famine ne fut pas exceptionnelle en raison d'une eau douce rare et d'une végétation souvent rachitique. Cela explique sans doute en partie le nomadisme fréquent et très ancien des habitants des Tuamotu-Gambier en particulier, sans oublier l'atavisme marin des Polynésiens.


[3] P. O'REILLY - E. REITMAN : Bibliographie de Tahiti et de la Polynésie française. Société des Océanistes, n°14, Musée de l'Homme, Paris 1967.

Cet ouvrage dresse le répertoire complet des publications sur la Polynésie française, répertoire qui était mis à jour dans le Journal de la Société des Océanistes. En 1982, autour de 15 000 titres ! Tahiti et la Polynésie semblent des sources intarissables pour la recherche et l'imagination.

- G. KLING : Tahiti ... Guide bleu illustré. Hachette, Paris 1971. - Annexe 1 : cartes.
- Voir les annexes VIII et X : « Population et statistiques » et « L'Homme et le Travail en Polynésie française » pour avoir les données détaillées sur la population et les activités économiques.
- C. CUZENT: Tahiti de 1854 à 1858. Ch. Thèze. Rochefort 1860.
- J. FAGÈS : Petit Atlas de la Polynésie française. Société des Océanistes, dossier 19, Paris.

- Rapide survol des données géographiques

Pour terminer ce rapide survol des principales données géographiques de la Polynésie nécessaires à la compréhension de ce livre, voici une brève présentation des cinq archipels.

SociétéCet archipel est divisé en deux groupes : les Iles-du-Vent et les Iles-sous-le-Vent.

Les Iles-du-Ventcomprennent Tahiti (1 042 km2), Moorea (132 km2), Maiao (9,5 km2) avec, au Nord, l'atoll privé de Tetiaroa et, au Sud-Est, l'îlot de Mehetia accompagné de quelques volcans sous-marins, peu actifs et les seuls de la Polynésie française. Tahiti et Moorea sont deux îles jumelles séparées par un profond chenal de 25 km de largeur. Ce sont des appareils volcaniques anciens, élancés (Orohena a 2 241 m), déchiquetés par l'érosion, découpés par de nombreuses rivières, avec quelques plateaux pentus et cultivables et de faibles plaines littorales ou au débouché des rivières ; la plus vaste, la plaine d'Atimaono, a environ 15 km2. La montagne est inhabitée ; la population est concentrée sur l'étroite plaine côtière, principalement dans la zone urbaine de Papeete, la capitale, zone de 35 km de front de mer et de collines où vivent 80 000 des 150 000 habitants de la Polynésie de 1980. Les Iles-du-Vent regroupent 106 000 personnes.

Les Iles-sous-le-Vent sont constituées, comme îles principales, de Raiatea accompagnée de Tahaa dans le même lagon, de Huahine, Bora-Bora et Maupiti avec, très au large, les îlots de Motu iti, Mopelia, Scilly et Bellinghausen. Ce sont des îles hautes (500 à 1 000 m), de même nature et de même géographie découpée et escarpée que Tahiti et Moorea. Près de 20 000 personnes y vivaient en 1980. Elles sont à 300 km de Tahiti.

Les Iles-du- Vent furent découvertes par Wallis en 1767 et les Iles-sous-le-Vent par Cook en 1769.

GambierPetit archipel d'îles hautes (441 m) situées au niveau du Tropique Sud à 1 800 km au Sud-Est de Tahiti. Il comprend quatre îles : Mangareva, Aukena, Akamaru, Taravai, accompagnées de quelques îlots ; le tout est enclos dans un vaste et unique lagon à nacre célèbre. 550 personnes y vivent. Il fut découvert par Wilson en 1797.

TuamotuImmense archipel constitué de 84 îles basses coralliennes dont 41 sont habitées régulièrement, les autres servant de plantations de cocotiers. Elles s'étirent du 14e au 22e latitude Sud et du 134e au 148e longitude Ouest, de 300 à 1 600 km à l'Est de Tahiti. De taille variée, sans sol cultivable ni cours d'eau, ces atolls ont une surface émergée de 908 km2 sur lesquels vivent plus de 9 000 habitants. Depuis 1521, date où Magellan découvrit Puka-Puka, les divers atolls ont été aperçus peu à peu avec des fortunes diverses, comme les divers vocables donnés le montrent bien : « archipel dangereux », « îles du désappointement ». C'est toujours une zone de navigation périlleuse. L'atoll de Hao sert de base arrière au C.E.P. qui a comme sites d'expérimentation atomique Fangataufa (abandonné depuis 1974) et Moruroa, lieu des explosions souterraines.

MarquisesArchipel de dix îles hautes (850 à 1 230 m), très escarpées et découpées en profondes vallées difficiles d'accès. Elles n'ont pas de récif corallien. Situées à 1 500 km au Nord-Ouest de Tahiti entre les 7e et 10e latitude Sud, les îles Marquises constituent deux groupes distincts : groupe Nord avec Nuku-Hiva, Ua-Huka, Ua-Pou et groupe Sud avec Hiva-Oa, Tahuata, Fatuiva comme îles habitées. Ces six îles habitées ont près de 6 000 personnes sur 982 km2, Elles furent découvertes par Mendana en 1595 et Ingraham en 1791, le premier pour le groupe Sud et le second pour le groupe Nord.

AustralesGroupe de six îles étiré au Sud de Tahiti entre les 21e et 28e latitude Sud, de 560 à 1 500 km de Papeete. Ce sont des îles hautes, mais de faible altitude (100 à 300 m), sauf Rapa (700 m) qui, de plus, est dépourvue de lagon. Rimatara, Rurutu, Tubuai, Raivavae, Rapa constituent les cinq îles habitées, l'îlot Maria est inhabité. Elles regroupent plus de 5 000 personnes sur une surface de 141 km2. Cook découvrit Rurutu en 1769 et Tubuai en 1777. 

Communications

 

Tout ce qui précède permet de saisir que la grande question pratique de la vie sociale est la maîtrise de l'espace et du temps. L'éparpillement extrême des îles, la petitesse de ces terres isolées, la dispersion des hommes, l'éloignement des continents actifs et des Métropoles tant civiles que religieuses, autant de facteurs qui font des communications une réalité vitale en Polynésie comme dans toute l'Océanie.

Le monde est devenu un grand village ; l'instantanéité et la mondialisation de l'information est une caractéristique majeure de notre temps. Même dans les îles les plus éloignées, qui n'a pas désormais sa radio-cassette ! La Télévision se répand très vite dans les archipels par les vidéo-cassettes et les réémetteurs, locaux. Depuis Noël 1979, la Station spatiale de la Papenoo permet de recevoir, par satellite géo-stationnaire, les émissions venant de France en direct et d'y téléphoner instantanément en automatique.

Les « Jets » intercontinentaux, depuis l'ouverture de l'aéroport de Tahiti-Faaa le 5 mai 1961, font partie du paysage familier et déplacent beaucoup de monde pour couronner de fleurs ou de coquillages arrivants et partants. Quatre fois par semaine, les avions d'U.T.A. relient Papeete à Paris en vingt-deux heures, sans compter les lignes des autres compagnies ou les charters. Résidents et touristes, objets de consommation et surtout le courrier en profitent largement ; éloignement ne signifie plus isolement, d'autant que les gros cargos porte-conteneurs assurent la « voie de surface » par le Canal de Panama en trois ou quatre semaines de transit. La desserte inter-îles dans le Territoire est garantie par les compagnies « Air-Polynésie » et « Air-Tahiti » et quelques avions privés qui utilisent l'infrastructure de 44 aérodromes : 7 d'État, 24 du Territoire et 13 privés. De plus le trafic maritime entre les archipels bénéficie du service de 33 bateaux pour le cabotage et les services administratifs[4]. Cet ensemble de télécommunications, de dessertes maritimes et aériennes constitue un réseau indispensable pour le désenclavement des îles éloignées de Tahiti, pour les échanges des personnes, des marchandises, du courrier et des informations. C'est une infrastructure considérable et sans cesse perfectionnée, ainsi qu'une charge très lourde pour les divers budgets.

Mais, dans un pays qui a 53% de sa population âgée de moins de 20 ans, il est difficile de réaliser que toutes ces merveilles quotidiennes d'aujourd'hui n'existaient pas hier, un hier qui date seulement des années 1970 pour la plupart. De plus, hors divers bateaux modestes construits sur place, l'ensemble des moyens de communications est importé. C'est, pour la masse de la population, un usage et une imitation plus qu'une assimilation et une construction ; on le voit bien à la difficulté de l'entretien et de la durée des matériels : il faut que ça marche ou que ça casse, même si, grâce à la formation professionnelle, ce comportement est en voie de disparition.

Aussi, pour mieux comprendre ce que les anciens missionnaires ont pu vivre dans les îles et pour éviter des anachronismes aussi faciles que regrettables, voici quelques repères et témoignages.

En 1827 et 1834, arrivée des premiers missionnaires catholiques dans le Pacifique, régnait la marine à voile ; le cap Horn était le passage habituel pour venir d'Europe, le canal de Panama n'ayant été ouvert que le 15 août 1914 (débuts des travaux en 1881 par F. de Lesseps). Sœur Marie de la Croix Bourdon, des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, a reporté sur une grande carte la position quotidienne de l'« Hérault » qui transportait leur groupe de six religieuses de Toulon à Papeete durant sept mois et quatre jours du 25 octobre 1855 au 29 mai 1856 : Gibraltar le 2 novembre ; 1 au 21 décembre, louvoiement sous l'équateur ; 3 février à Rio de Janeiro ; 7 mars aux Malouines ; 16 mars, franchissement du Cap Horn ; 5 avril à Valparaiso ; 27 avril à Lima et 29 mai, arrivée à Papeete (AR. S.J.C.). Tous n'arrivaient pas, comme le « Marie-Joseph » qui a quitté Saint-Malo le 15 décembre 1842 et qui après avoir relâché à l'île de Sainte Catherine au Brésil, a disparu corps et biens en mars 1843 au large des Malouines avec Mgr E. Rouchouze, premier Vicaire apostolique de l'Océanie orientale, accompagné de 25 missionnaires : dix religieuses, sept prêtres, un sous-diacre et sept frères catéchistes. Les voyages de cette époque étaient objet de crainte justifiée et de prières ferventes. Ce n'est qu'à partir de 1863 que l'hélice se généralise sur les bateaux à vapeur et remplace progressivement les roues à aube pour les navires de commerce ; les navires de guerre en étaient pourvus depuis 1850. La généralisation, surtout après 1945, du moteur diesel, inventé en 1893, donnera son visage actuel au trafic maritime.

Si la radio a été inventée par Hertz en 1885 et la Radio française fondée en 1901 par Branly, c'est en 1949 que Radio-Tahiti a été lancée ; la télévision arrivera en 1965. La première liaison aérienne directe Paris-Bora-Bora par D.C.4 date de 1950 ; le trafic aérien ne prendra son ampleur qu'avec l'ouverture de la piste de Faaa et l'utilisation courante des « jets » à partir de 1961.

Ces quelques repères historiques situent l'accélération des progrès techniques dans le domaine des communications entre les hommes. Le courrier en est un élément primordial ; mais il est lui-même dépendant des moyens de transport. Si le cas, signalé dans l'avant-propos, des expulsions survenues aux Sandwich en 1831 et connues à Paris seulement en 1833, est exceptionnel, plusieurs mois à un an pour le courrier jusqu'à l'ouverture du canal de Panama ne semblait pas trop étonnant. Il s'y ajoute ensuite la distribution locale inter-îles ; en voici quelques témoignages.

« Il n'y a pas de courrier organisé aux Tuamotu-Gambier. Je pars pour trois mois visiter ces îles. La vie est onéreuse faute de communications régulières. »[5]

Dans ces conditions aléatoires, on comprend la formule quasi rituelle du début des lettres de cette époque : « Je profite de l'escale d'un bateau pour remettre ce courrier au capitaine. » C'était imprévisible et il fallait écrire à la hâte.

« Des lettres ont mis dix-huit mois à me parvenir... Voilà quinze mois que je n'ai pas vu un confrère... Le matériel photographique, pris à Paris en 1926, a mis vingt mois à me parvenir et est inutilisable parce qu'il est trempé par l'eau de mer, comme le reste. »[6]

« Je suis venu à Papeete après quatorze mois d'attente d'un confrère, craignant d'en attendre un pendant une année encore. O doublement chère confession qui me vaudra plus de 2 000 km de voyage et deux mois d'absence de ma vaste paroisse aquatique... À quand un hydravion ! »[7]

« Vos lettres ne mettent plus que trois mois. Tout s'améliore. »[8]

Aujourd'hui aussi, par voie de surface, courrier et colis mettent deux à trois mois, alors que par avion il suffit de deux jours.

Bien évidemment, dans un si vaste domaine maritime, le moyen primordial de communication est le bateau, même si, aujourd'hui, l'avion est d'un grand secours pour les personnes. La pirogue polynésienne ne correspondait pas aux nécessités de la navigation pour les Européens ; elle ne pouvait répondre aux besoins de la Mission. Dès 1838, Mgr Rouchouze voit clairement le problème. « La distance des lieux, la difficulté d'avoir des navires font que je ne puis, par moi-même, pourvoir à tout comme je le voudrais et comme il serait nécessaire... Le plus grand obstacle au progrès de l'Œuvre est le défaut de communications ; peu de navires veulent ou peuvent nous conduire. Je n'ai pas non plus assez d'ouvriers... Je n'ai pas non plus les fonds nécessaires... On vous aura sans doute parlé du projet d'acheter un navire pour le service de la Mission... Ce moyen présente des avantages et beaucoup de désagréments. Les missionnaires, ayant un navire, auront l'air de faire du commerce. À qui en confier le commandement ? Qui entrera dans les détails des dépenses et de l'entretien ? D'autre part, il est essentiel d'avoir les moyens sûrs de communiquer d'une île à l'autre. Si j'avais eu le moyen de sortir d'ici, il y a longtemps qu'on serait à l'île de Pâques ou aux Marquises. Aucun de nous ne connaît les ruses des commerçants et des marins. Je crains qu'en achetant un navire, on ne se mette dans des embarras inextricables qui finiront par nuire à la Mission. Il y aurait moins de difficultés à frêter un navire une fois par an, à condition qu'il visiterait les points qu'on voudrait dans l'Océanie. On aurait sans doute moins de liberté, mais aussi on ne courrait pas autant de chances. »[9]

Ce « projet de navire » fut la goëlette « Notre-Dame-de-Paix » - ex « Honolulu » - achetée à Valparaiso par le P. Maigret en commun avec les Maristes et revendue rapidement par Mgr Pompallier au grand dam de la Mission des Gambier. En 1861, les Mangaréviens construisent, sous l'initiative du P. Laval, le « Maria i te aopu » - (Notre-Dame-de-Paix) - dont le commandement sera assuré par D. Guilloux. Après huit années de services divers et bien des ennuis de tous ordres, il coula en avril 1869 à Rikitea[10]. Les interrogations de Mgr Rouchouze étaient bien réelles.

En 1868, Mgr Tepano Jaussen acheta une goëlette de 20 tonneaux pour le service des Tuamotu. Après avoir déposé le P. Vincent de Paul Terlijn à Reao en 1874, le « Vatikana » se brisa au retour vers Tahiti sur le récif de Motutunga[11].

Eugène Caillot décrit en ces termes la navigation à travers ces îles : « Pour aller aux Gambier, à Tubuai ou à Rapa, quelle affaire ! Il se passe plusieurs mois avant qu'un bateau s'y rende. Lorsqu'il s'agit de communiquer d'île en île ou seulement de vallée en vallée par mer, que de moyens défectueux - (la Société mise à part). Il faut recourir alors à de petites barques côtières montées par quatre indigènes et un patron. Pendant plus d'un mois, j'ai dû vivre en plein air sans abri contre la pluie ou le soleil. Que de longs jours et de longues nuits passées sur ces mers sans pouvoir quelquefois aborder à l'endroit désiré ! C'est une rude existence que mène le voyageur dans ces parages de l'Océan Pacifique. Et les débarquements ou embarquements aux Tuamotu et aux Marquises ! À chaque fois il faut risquer sa vie, car il n'y a pas la moindre jetée. On ne peut trouver rivages plus inhospitaliers : la mer se rue furieusement dans les petites baies et les lames se brisent avec une force inouïe sur les récifs menaçants : être noyé ou brisé. »[12] Les missionnaires ont vécu cela de longues années, voire une vie entière.

En 1909, le P. Audran à Puka-Puka signale que la Mission n'a plus ni goëlette ni côtre pour visiter les îles[13]. C'est le P. Paul Mazé qui a relancé, en 1926 sous forme d'un côtre, les bateaux de la Mission. « Mon côtre, le “Saint-Pierre” - (7,80 m de long, 2,70 m de large, 1,20 m de tirant) -, est fort pour résister aux grains, léger pour monter sur le récif quand il n'y a pas de passe... Il peut contenir 30 personnes... Il a une bonne chaille de fer pour eilleurer le récif en le franchissant... Il est pratique pour les petites courses... Les autres Pères s'y mettent aussi. »

« Le voyage en côtre en décembre-janvier n'est pas à recommander ; à quoi bon lutter contre les éléments déchaînés : violence des courants, vagues, vent, éclairs... Une forte vague fit qu'avec deux matelots j'ai été projeté à la mer pour la 3e fois de ma vie missionnaire Paumotu. L'idée d'un danger personnel ne m'est pas venue; il fallait sauver le “Saint-Pierre”... »

« Mon petit côtre m'a déjà permis cinq tournées pastorales dans toutes les îles de mon secteur et même d'aller jusqu'à Mangareva et Hao... »

« Déjà huit ans de loyaux services du “Saint-Pierre” malgré les pronostics sombres des prophètes de malheur... Il est difficile de fréquenter les récifs Paumotu pendant des années sans y déchirer sa peau et y briser ses os. »[14]

Dès 1849, Mgr Tepano Jaussen signalait à la Propagation de la Foi à Lyon que « les missionnaires aux Paumotu ne peuvent communiquer que par canots et baleinières... La conformation des îles exige que chaque missionnaire ait la sienne ».[15]

Question lancinante que pose la géographie à tous ceux qui vivent en Polynésie que celle des communications. Si la variété et le développement des moyens techniques de notre époque en facilitent beaucoup la réponse, les distances restent les mêmes et les charges pour y faire face ne s'allègent pas. Mgr Le Cadre nous fournira le mot de la fin : « D'aucuns trouvent que les Marquises ont trop de missionnaires pour leur population restreinte. Je serai bien de leur avis s'ils me donnent le moyen pratique de grouper notre population en deux ou trois centres ou s'ils me procurent un petit navire bien conditionné, qui permettrait aux prêtres de se déplacer facilement et régulièrement. La vie chrétienne a besoin d'être entretenue et les mourants veulent se préparer au grand voyage. »[16]


[4] Moorea : 4 - Raiatea et I.S.L.V. : 3 – Australes : 1 – Marquises : 1 – Tuamotu : 14 – Divers : 10 (Service des Affaires Maritimes, Papeete, septembre 1982).
En 1982, les compagnies aériennes internationales desservant Papeete sont : Air-New-Zealand, Quantas, Lan Chile, Air Pacific.
[5] Mgr VERDIER au T.R.P. (14-2-1896). Ar. SS.CC. 58,3.
[6] P. MAZE au P. I. ALAZARD (29-10-1928) de Reao. Ar. SS.CC. 59, 1.
[7] P. MAZE au P. I. ALAZARD (14-9-1931). Ar. SS.CC. 59, 1.
[8] P. MAZE au P. I. ALAZARD (18-5-1932).
[9] Mgr E. Rouchouze, Aukena (19-8-1838) : Rapport au Supérieur général. Mgr Bonamie. Ar. SS.CC. - LAMO II, n°137.
[10] H. LAVAL : Mémoires. Océanistes n°15, pp.183 et 372.
[11] P. TERLIJN au P. Procureur, Papeete (3-2-1900). Ar. SS.CC. 73, 1.
[12] E. CAILLOT : Polynésiens orientaux, p.82, Paris 1909.
[13] H. AUDRAN au T.R.P. (15-8-1909), Puka-Puka. Ar. SS.CC. 61, 2.
[14] P. MAZE, lettres du 21-7-1927 ; 19-5-1931 ; 18-5-1932 ; 11-12-1934 au P. I. Alazard et au T.R.P., Reao, Ar. SS.CC. 59, 1.
[15] Rapport du 10-11-1849, Ar. SS.CC. 57,2.
[16] Mgr LE CADRE au T.R.P. Atuona (14-6-1937), Ar. SS.CC. 47,2.

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