1852 - Mr Henry J.L. - catéchiste

Lettre de Mr Henry, catéchiste de la Congrégation des Sacrés-Cœurs
à Mgr Magloire DOUMER – 7 mai 1851

[Annales de la Propagation de la Foi – T. 24 – 1852 – pp. 307-309]

Ile d’Aukena, Archipel Gambier, 7 mai 1851

Monseigneur,

[…]

Pour finir cette relation, il me reste à mentionner l'établissement que le Supérieur de la Mission, le Père Cyprien, a fondé à Mangaréva. Je veux parler du couvent, c'est-à-dire d'un lieu où l'on professe volontairement et perpétuellement la chasteté, au milieu d'un peuple qui, avant l'introduction du Christianisme, ne connaissait aucun frein aux passions brutales, et sous l'influence d'un des climats les plus mous de la terre. C'est ce qui peut faire mieux comprendre quel changement profond et radical la religion a opéré dans les moeurs de ces insulaires.

Les navires qui approchent de Mangaréva, découvrent d'abord un énorme rocher volcanique taillé à pic, et presque vertical vers son sommet ; puis on voit cette montagne élargir sa base, et former un plateau légèrement incliné. C'est sur ce plateau qu'est bâti le couvent, caché par les plantations d'arbres à pain, d'orangers, et de cocotiers. Il contient environ soixante jeunes filles qui ont renoncé volontairement au mariage, pour embrasser un état plus parfait. Elles ne font pas de voeu cependant, et sont libres de retourner chez leurs parents, si elles veulent ; mais, chose admirable ! elles persistent presque toutes dans cette sainte détermination, et, depuis douze ans que cet établissement est fondé, de toutes les jeunes filles qui y sont entrées, cent environ sont mortes par suite d’une cruelle épidémie ; mais on n'en a vu que quelques-unes en sortir vivantes. Ce qui relève encore leur mérite, c'est que, en quittant leurs familles, elles ont renoncé à une vie presque oisive, pour une vie de travail continuel. Tous les moments de la journée qu'elles ne consacrent pas à la prière et à leur instruction, elles les emploient à filer, à coudre et à travailler la terre de leurs mains. Ce sont elles qui ont défriché ce plateau, qui ont planté ces arbres, et qui ont apporté les matériaux pour bâtir leur couvent. Les constructions qui composent cet établissement religieux, le mur d'enceinte, la chapelle, la salle de travail avec ses travaux de menuiserie, le vaste dortoir si bien parqueté en planches de toumey, avec ses soixante lits recouverts chacun d'une double natte finement tressée, la maison d'école pour les petites filles, tout cela n'exciterait aucune surprise en France, parce qu'on est habitué à voir de grandes maisons, bien bâties, bien meublées et bien tenues ; mais ici on éprouve un étonnement mêlé d'admiration, parce qu'on ne comprend pas comment avec de si faibles moyens on a pu obtenir de pareils résultats. Dans le couvent sont aussi renfermées toutes les petites filles de l'île qui, placées là loin de tout péril, se forment à la piété et à la vertu par les leçons et l'exemple de leurs aînées.

En descendant du couvent au bas de la montagne, on rencontre, à peu de distance, sur le même plateau, le cimetière de l'île entouré régulièrement de grands et beaux arbres qui forment des murs de verdure. Les tombes sont surmontées çà et là de croix ; et de pierres tumulaires, très bien taillées, et où l'on a gravé des inscriptions, tout comme en France. Les jeunes filles du couvent y ont une place distincte. Au haut du cimetière est bâtie une chapelle ornée d'une grande flèche, qu'on aperçoit de loin quand on est en mer. Du cimetière pour descendre au pied de la montagne, on suit un grand et beau chemin bien pavé, de la longueur de quinze cents mètres environ. […]

Je suis, avec le plus profoad respect,

Monseigneur,

Votre très-humble et très-obéissant serviteur,

J L HENRY.

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