Présentation générale

PRESENTATION GENERALE DU SYNODE DIOCÉSAIN DE 1970

R.P. Paul HODÉE, Tahiti 1834-1984, Bar-le-Duc 1983, p.418-423


La session plénière du premier Synode catholique en Polynésie s'est déroulée du lundi 27 juillet au samedi 1er août 1970 dans la grande salle de la paroisse Sainte-Thérèse de Papeete, l'O.P.E.L. L'assemblée des 250 délégués synodaux, dont 70 % de laïcs, était présidée par Mgr Paul Mazé, assisté de Mgr Michel Coppenrath, archevêque-coadjuteur et administrateur apostolique du diocèse. Des représentants de l'Église Évangélique de Polynésie française, conduits par leur Président, le Pasteur Samuel Raapoto, ont participé aux cérémonies d'ouverture et de clôture. Les travaux de l'assemblée étaient animés par le P. Xavier Baronnet, jésuite du Centre de Recherche et d'Action sociales ; Mgr Michel l'avait chargé de la préparation et du déroulement de ce premier Synode diocésain qui constituait une grande aventure spirituelle et pastorale pour tous. Pour la première fois, selon l'enseignement du Concile récent et pour mieux vivre en conformité avec l'Évangile, les catholiques en Polynésie mettaient en commun leur vie chrétienne dans la situation actuelle d'un Territoire en profonde mutation.

Ce premier Synode diocésain est l'aboutissement de plusieurs rencontres et d'une maturation de plus de deux années. En mars 1968, le chanoine Boulard, responsable de la « Pastorale Diocésaine d'Ensemble » en France, annonce à Mgr Mazé, dont il garde un excellent souvenir depuis le Concile, que les évêques du Cambodge et du Laos le demandent pour faire un travail de sociologie religieuse. Il se propose de rentrer à Paris par Tahiti ; il lui offre ses services à l'occasion de cette escale de plusieurs jours. Le P. Boulard renouvelle en avril son offre à Mgr Coppenrath qui vient d'être nommé archevêque-coadjuteur et administrateur apostolique de Papeete. L'accord est conclu dès le mois de mai. Mgr Michel, qui connaît déjà le P. Boulard, lui demande de proposer « le choix d'une méthode sociologique adaptée à des îles dispersées et à des missionnaires peu nombreux, de former ceux-ci à la méthode retenue et à son interprétation ». Dès le mois de septembre 1968, le chanoine Boulard assure la retraite diocésaine et une session où il lance l'enquête de sociologie religieuse sur la pratique de la foi et les familles catholiques. Le P. Boulard prévoit de revenir à la fin de 1969 pour tirer les conclusions de cette enquête et dégager des orientations pour une réflexion pastorale adaptée à la situation découverte. Mgr Michel pensait avoir le temps de dépouiller les milliers de fiches récoltées. Devant l'impossibilité de mettre les résultats sur ordinateur pour des raisons de discrétion et suite au manque de temps, il se décide à faire appel au P. Baronnet, jésuite « nomade de l'Action Populaire » dans les pays francophones et qui était déjà passé à Tahiti en 1965. Le père et son provincial étant d'accord, le P. Xavier se met au service du diocèse de Papeete du 10 octobre 1969 au 30 avril 1971. Devant l'intérêt et l'ampleur des questions soulevées par l'enquête dont le chanoine Boulard vient tirer les enseignements en décembre 1969, Mgr Coppenrath décide de convoquer un Synode « pour associer tout le diocèse à la recherche ».

Avec la maîtrise, l'organisation et la ténacité qu'on lui connaît, le P. Baronnet assure le secrétariat général du Synode. La préparation est méthodique pour aboutir à l'assemblée synodale convoquée en session du 27 juillet au 1er août. Le premier document, daté du 9 avril 1970, explicite les objectifs.

« L'évolution considérable en tous domaines, économique, social, culturel, etc., qui s'est produite dans le Territoire depuis une dizaine d'années, et la nécessité d'y adapter notre pastorale à la lumière des enseignements du Concile, invitent à prolonger le travail important d'enquêtes socio-religieuses... et à l'étendre au plus grand nombre... »

Une première réunion au début d'avril en définit le thème : « Notre vocation de chrétien, aujourd'hui, en Polynésie »...

1. La vocation : « Tous appelés » !

Le langage courant réserve trop souvent le terme vocation aux seuls prêtres et religieux. Or tous les hommes sont appelés à devenir fils de Dieu ; nul que le baptême a agrégé à l'Église, que l'Esprit-Saint a confirmé, ne peut refuser d'entendre l'appel de Dieu à vivre et à annoncer l'Évangile... Nous sommes tous responsables d'une vie d'Église vraiment communautaire qui permette d'entendre l'appel de Dieu et d'y donner réponse... dans le concret des conditions de vie et des occasions de dévouement.

2. Une vocation commune : « Appelés ensemble ».

Même en Polynésie, isolé sur le plus lointain des atolls, nul n'est une île. La vocation, service d'Église, est toujours à recevoir au sein d'une communauté. La réponse n'est vraie que donnée et approfondie dans une prière, un dialogue, une recherche menés ensemble...

3. Une vocation manifestée par les « signes des temps » : « aujourd'hui, en Polynésie ».

La vocation n'est pas donnée une fois pour toutes... Elle demande que nous soyons attentifs, personnellement et ensemble, en Église, aux événements, aux faits de vie, aux problèmes qui se posent, à l'évolution économique, sociale, politique, culturelle, à tout ce qui se passe dans le Territoire et, dans une certaine mesure, dans le monde ; ce sont autant de « signes des temps », d'appels de Dieu dans le concret de l'existence...

Une note pratique accompagne la présentation doctrinale du thème qui est enracinée dans la Bible et le Concile. Dates, horaires, lieux, secrétariat sont précisés. Le P. Baronnet, aidé des PP. Laporte et Holozet et d'autres personnes selon les sujets et les circonstances, coordonne l'exécution du programme de recherche. Celui-ci comporte une analyse « des hommes aujourd'hui en Polynésie » : évolution, situation, perspectives, démographie, migrations, vie sociale, l'économie, la famille, l'éducation. Un second secteur étudie « nos vocations propres dans ce monde » pour annoncer et témoigner de l'Évangile en liens les uns avec les autres. Un troisième volet porte son attention sur « les appels concrets de Dieu, manifestés par les “signes des temps” dans l'aujourd'hui polynésien ».

Si tous les pères, frères et religieuses sont invités, les curés sont priés de déterminer « les laïcs les plus capables de tenir un rôle actif, à raison de un représentant pour 200 catholiques adultes ou nombre inférieur pour les petites paroisses. Il est très souhaitable que ces représentants soient mandatés par leur communauté ». Deux questions particulières se posent : la participation des îles éloignées de Tahiti et la traduction en tahitien.

On se doute bien qu'une telle entreprise qui mettait l'ensemble du Peuple de Dieu devant les exigences de l'Évangile, actualisées par le Concile, face aux mutations profondes de la Polynésie et aux nouveautés du témoignage des chrétiens, ne fut pas facile. Réunions, sessions, récollections se multiplient. Le 9 juillet voit la parution du 15e document préparatoire. Beaucoup ont du mal à saisir le sens d'un tel effort. « Ce souci de l'Église de Polynésie de participer, par le Synode, au grand effort de l'Église Universelle d'adaptation au monde moderne et de Renouveau ouvert par le Concile » est difficile (Doc. 10 du 10-6-70). Prédications, efforts de prière, rencontres d'information et de sensibilisation se multiplient ; les deux journaux diocésains, les émissions catholiques de la Radio et de la Télévision sont mobilisés.

Combien de personnes ont été touchées lors de la préparation ? Pour réaliser l'enquête sur la vie des familles, chaque prêtre devait visiter toutes les maisons où il y avait au moins un catholique et remplir une fiche. Sur les 39 170 catholiques recensés en 1971 - dernier recensement où l'appartenance religieuse fut demandée officiellement – 26 013 personnes ont été contactées dont 21 567 catholiques, soit 55 % du chiffre donné par le recensement de 1971. N'oublions pas que plus de la moitié de la population a moins de 20 ans. Les catholiques touchés représentent 5 089 familles, 12 126 plus de 15 ans et 9 441 plus jeunes. Sur ces familles, 2 872 sont mariées religieusement, les autres sont en concubinage, en adultère ou en situation non précisée. Ces chiffres manifestent une des questions majeures de la Polynésie : la faiblesse des familles chrétiennes par rapport à la vie en couple.

Le 27 juillet ce sont 266 délégués qui participent au Synode présidé par Mgr Paul Mazé, archevêque de Papeete et Mgr Michel Coppenrath, son coadjuteur et administrateur du diocèse. Il y a 86 prêtres, religieux et religieuses (32 %) et 180 laïcs (68 %). La grande majorité réside sur l'île de Tahiti ; cependant 18 viennent des Iles-sous-le-Vent, des Australes et des Tuamotu-Gambier auxquels se sont adjoints 4 religieux du diocèse des Marquises. Le Délégué Apostolique de Wellington, Mgr Etteldorf avait envoyé tous ses encouragements et signalé que Rome était très intéressé par les travaux de ce premier Synode dans les îles du Pacifique.

La vaste assemblée est répartie en 7 commissions pour étudier les trois objectifs du Synode : changements en Polynésie, évangélisation de la vie des hommes, participation des chrétiens à l'apostolat. La première commission étudie « les exigences du développement et les principaux problèmes sociaux ». Elle comporte 34 membres : 24 laïcs et 10 religieux. Elle centre son attention sur l'alcoolisme (fléau majeur de la Polynésie), l'urbanisation, l'immigration, l'habitat et l'enfance inadaptée. Elle soumet à l'Assemblée la création d'un secrétariat social, l'éducation de la responsabilité personnelle, l'action contre l'alcoolisme et l'attention aux adolescents.

La seconde commission approfondit les questions de la famille. 40 participants la constituent : 29 laïcs et 11 religieux. Elle analyse les 4 principaux types de familles : maohi, demi, chinois, métropolitain. Le sacrement de mariage, la vie du couple, les rapports parents-enfants, les questions de l'adoption, l'autonomie financière des jeunes, l'éducation sexuelle sont approfondis par divers groupes de travail. Devant la gravité des thèmes abordés, la commission familiale propose à l'Assemblée la création d'un Organisme pour former les jeunes et préparer au mariage, soutenir les foyers constitués et les mouvements familiaux ; elle engage l'Église à entreprendre une action vigoureuse d'information et de formation sur les questions sexuelles et familiales ; elle demande la création de centres de formation professionnelle pour les 14-17 ans à l'abandon après la scolarisation obligatoire.

La troisième commission s'occupe du « monde des jeunes ». Elle regroupe 56 personnes : 42 laïcs et 14 religieux. La transformation rapide de la Polynésie pose de graves questions aux participants : la scolarisation accélérée et la masse des jeunes « qui n'arrivent pas », même au certificat d'études primaires ; la culture et les cultures en Polynésie ; les loisirs et l'instabilité des jeunes ; la sexualité, les relations avec les adultes : autorité, dialogue, argent. Devant tant de questions, à la fois permanentes et neuves, la commission demande au Synode de créer un « Comité Diocésain pour le monde des jeunes » ; son but serait d'épanouir, de coordonner, d'engager les jeunes et tous les responsables au service de la jeunesse dans l'Église. De plus il est souhaité une attention particulière aux jeunes qui sortent du Primaire sans aucun bagage et un assainissement des divers spectacles, fêtes. Enfin une nouvelle session du Synode est souhaitée pour élargir la représentation des jeunes et approfondir les questions posées par ce « monde des jeunes » si développé en Polynésie (52 % de moins de 20 ans en 1977).

Les 26 participants de la 4e commission : 11 laïcs et 15 religieux traitent de « la vie de l'Église ». Ils constatent que le « renouveau liturgique semble plaire à l'ensemble du peuple chrétien ». La commission réfléchit sur les éléments qui « favorisent une participation plus active » de tous aux célébrations. On ne veut plus « assister mais participer » : équipes liturgiques, chants, lectures bien sonorisées... Les membres du groupe étudient dans le détail la vie, les structures, les moyens des paroisses : visites des familles, réunions de quartiers, conseil paroissial, catéchistes, mouvements et groupes. Le groupe propose au vote de l'Assemblée synodale l'organisation des Conseils paroissiaux, la création des équipes liturgiques, la reconnaissance des quartiers comme unités de base et la possibilité de la messe dominicale anticipée au samedi soir en zone urbaine.

La 5e commission s'occupe des « moyens de communication sociale » ; elle regroupe 15 participants : 5 laïcs et 10 religieux. Ceux-ci réfléchissent sur l'impact considérable des nouveaux médias audio-visuels qui complètent les deux journaux diocésains fondés en 1909 : « Semeur » et « Te Vea ». La diffusion rapide depuis 1960 des quotidiens, de la Radio en français et en tahitien, de la Télévision, du transistor, des bandes dessinées... pose des questions nouvelles pour l'évangélisation, même dans les îles les plus reculées. La Commission propose au Synode la « mise en place d'un centre catholique de documentation et d'information » dans un but surtout d'éducation des jeunes et des parents.

La 6e commission regroupe 25 personnes : 15 laïcs et 10 religieux pour approfondir « la formation des cadres » dans le diocèse. C'est surtout la question des « catéchistes » et des « animateurs » (jeunes, liturgie, groupes spirituels, culture, loisirs...) qui retient l'attention des participants. Le groupe insiste sur « la question vitale du Comité paroissial », D'où la proposition au Synode de créer un centre diocésain responsable de la formation des animateurs, une direction diocésaine de la catéchèse, un comité pour les colonies de vacances. De plus la Commission souhaite l'organisation régulière de récollections, retraites à tous les niveaux de la vie du diocèse.

La 7e commission, chargée d'analyser la difficile situation « des îles et du monde polynésien », voit la participation de 70 membres : 54 laïcs et 16 religieux. La migration accélérée des insulaires vers Tahiti, le fléau de l'alcoolisme en milieu maohi, la délinquance juvénile, la pastorale des îles qui n'ont pas de prêtre à demeure... autant de thèmes de grande actualité. Aussi la commission soumet au Synode une orientation fondamentale : « l'Église en Polynésie doit considérer comme l'une de ses tâches les plus importantes, l'étude et la mise en œuvre d'un programme de développement des archipels extérieurs. Il ne s'agit pas seulement de réclamer un effort des autorités publiques ; il faut surtout aider la population de ces îles à se faire les principaux acteurs de leur propre développernent. »

Le P. Xavier Baronnet restera encore neuf mois pour assurer la mise en place des décisions synodales, aider à la création des divers organismes demandés, assurer la coordination pastorale des efforts de « renouveau » attendu. La Commission permanente du Synode fonctionne alors comme Conseil Pastoral diocésain. Le Conseil presbytéral - qui s'identifie de fait au presbyterium vu le petit nombre des prêtres - est créé en 1970 ; cette même année, le P. Hubert fonde l'école des « katekita » et l'abbé Paul Cochard, premier prêtre « fidei donum » d'Angers arrive en novembre pour lancer le centre diocésain de catéchèse. En février 1971, l'Association du Monde des Jeunes (A.M.D.J.) est lancée ; le studio pour les émissions Radio, puis ensuite Télévision, est installé dans les caves de l'Evêché : c'est le Centre Tepano Jaussen. La créativité liturgique, en particulier en langue tahitienne, s'épanouit rapidement ; divers compositeurs locaux sont heureux d'apporter leur concours au renouveau liturgique. Ainsi, sans heurts majeurs grâce au Synode de 1970, le Peuple chrétien se met en route progressivement dans le monde de ce temps.

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