1982 - Partager, toujours partager

Lettre Pastorale

Partager, toujours partager…

 

Au clergé, aux religieux, aux katekita, aux fidèles de l’Archidiocèse de Papeete

Ce « numéro spécial » du Semeur Tahitien est essentiellement consacré à la LETTRE  PASTORALE que Monseigneur Michel COPPENRATH adresse à tout le diocèse. Cette LETTRE est un acte d’Eglise : depuis bientôt deux ans, tout le Conseil Pastoral désir que les consciences chrétiennes en Polynésie soient éclairées et confortées principalement sur les questions sociales actuelles. Plusieurs personnes se sentent hésitantes, voire quelque peu déconcertées, elles sont à la recherche d’un chemin sûr dans le vécu quotidien de leur Foi aujourd’hui. Elles sont en quête de lumière.

Ces dernières années, la situation s’est modifiée très souvent, restant dans une mouvance continue. Il fallait prendre un bon recul pour la saisir avec suffisamment d’exactitude. Ce temps d’observation derecherche, de concertation était nécessaire pour déterminer le thème et en préciser la forme. Plus la succession des évènements s’accélérait, plus il apparaissait utile d’élever le regard, d’étendre la réflexion évangélique. Evangéliser aujourd’hui,pour nous, c’est saisir la société dans le contexte local de la Polynésie et répondre à ses appels perçus.

La clôture de l’année franciscaine célébrant le 800 è anniversaire de la naissance de Saint François d’Assise a été une invitation à lier la réflexion chrétienne aux évènements de notre monde. François a revivifié l’Eglise du Moyen-Age dans une société, elle aussi en mutation, en faisant appel à l’absolu de Dieu et à l’intégralité de l’Evangile. Pour préparer cette évangélisation de notre société, une voie sûre et efficace apparaît, celle du partage que l’Evangile engage à concrétiser dans la vie.

Pourquoi une lettre pastorale ?

Avec la fête de St François d’Assise le 4 octobre, s’achève cette année le 8è centenaire de sa naissance. 1982 a vu le début à Tahiti de la vie monastique franciscaine sous la règle de Ste Claire. D’autres raisons m’ont conduit à vous parler de St François en ouvrant cette lettre pastorale. C’est que François marque en Italie et au XIIIè siècle un retour à l’évangile au sein même d’une société au changement : la parole de Dieu vécue par François et ses compagnons l’a finalement soutenue et transformée. A travers des données économiques et politiques nouvelles dans lesquelles St François a été au début de sa vie impliqué et où les tentations des plaisirs étaient violentes comme de nos jours. Il a rejoint et soutenu avec ses compagnons une aspiration très profonde de son temps à une vie fraternelle.

Ne sommes-nous pas nous aussi en 1982 dans une société en changement et les aspirations de nos frères ne nous conduisent-ils pas finalement au partage ? Et, le secret ou éclatant espoir des hommes n’est-il pas qu’il s’opère dans la Paix ?

Aux amis et parents qui reviennent en Polynésie après de longues années vous posez la question : « Qu’est-ce que tu trouves qui a changé au pays ? » L’énumération des changements reste souvent longue et superficielle ; Notre question d’aujourd’hui c’est «  qui est-ce qui est en train de changer dans le cœur des hommes ? ».

La terre est de plus en plus petite au regard d’une population de plus en plus nombreuse. Les écarts entre démunis et nantis s’élargissent. Produire davantage ne semble plus du tout l’unique solution. Vivre ensemble c’est partager. L’évangile de Jésus-Christ prend racine là où le cœur s’ouvre au partage. L’ouverture au partage ne s’opère pas par enchantement !des murs se lèvent, des mains se ferment, des dialogues tournent courts, des guerres se succèdent et se prolongent ; la faim s’incruste dans les corps décharnés de millions de nos frères ; au développement humain on préfère encore le progrès matériel. Le désir de partager des uns engendre chez d’autres la peur de perdre.

L’Evangile peut en tout cas nous aider à trouver les signes actuels d’un réel partage et nous entraîner tous sans crainte vers un plus grand partage.

Regardons côté mer, regardons côté montagne !dans l’Eglise d’abord, dans la Société ensuite.

L'Église en Polynésie

Partager !un mot qui sans de plus en plus. Nous le chantons, nous prions :

« Partager ton pain, partager ta vie, partager tes joies, partager tes peines. Partager, toujours, partager. (R. Fau)

Au premier récit de la création dans la Genèse 1/28, Dieu ordonne à l’homme de «dominer la terre » après l’avoir fait produire. De même que régner c’est servir, « dominer » n’est-ce pas partager ? Le Créateur et Jésus Sauveur nous indiquent clairement que « l’exploitation de la nature ou des hommes, va à l’encontre de cette maîtrise » de la création dont nous parle la Bible.

La messe est devenue un partage de la Parole et du Corps du Christ. Des groupes de partage ne cessent de se constituer. La nouveauté du partage mais aussi l’acte authentiquement évangélique qu’il traduit, a trouvé très vite dans la langue tahitienne courante de nos amuiraa, des expressions équivalentes « ia tuhaahia matou i te ao a muri »1. Nous nous présentons au sacrifice de la messe « comme offrande éternelle » avec le Christ pour avoir part à sa gloire. Tous nos partages humains sur terre ont leur prolongation dans le Royaume. C’est la dimension verticale du partage.

Les groupes de partage évangélique ne manquent pas de prolonger l’écoute de  la parole d’échanges personnels ou «  tapihooraa manao »2. Le partage évoque très certainement aussi à Tahiti l’habitude d’inviter spontanément aux repas : « haere mai tamaa » ou d’offrir ce que l’on a à qui vient à passer3.

Dans notre société moderne où tout s’étiquette, s’achète et se vend, il est significatif que des jeunes comme des adultes cherchent et retrouvent le sens du partage.

QUELQUES  REPAIRES 

Mais tout cela n’est-il qu’uns question de vocabulaire nouveau ou de mode ? ou bien n’y a-t-il pas plutôt déjà quelques repaires d’un partage réel au plan spirituel et matériel ? Et si ce que nous constatons n’est pas suffisant, ne pouvons-nous pas aller plus loin ?


 

 

1) Prière Eucharistique III, prière à l’Esprit Saint – id. Prière Eucharistique II in fine « ia tuhaahia matou … » que nous ayons part… avec Marie, les Apôtres, tous saints dans la vie éternelle.

 

2) « tapihooraa manao » :  partage de vie, par l’échange d’idées, de réflexions.

 

3) « haere mai tamaa » : viens manger.

 

Les vocations

L’esprit de partager s’est exercé d’abord pour l’accompagnement des vocations. Le 1er octobre, il y aura deux nouvelles professions chez les Filles de Jésus Sauveur. Deux élèves à Suva viennent d’accéder aux ministères qui précèdent le diaconat. L’année prochaine, il y aura une ordination à la prêtrise et ces résultats encourageants viennent après le renouveau des katekita et l’instauration du diaconat permanent. Dans les paroisses ou les écoles, plus nombreux sont ceux qui veulent enseigner la catéchèse comme étant un service commun. En 1983 s’ouvrira l’école théologique où pourront étudier les candidats à la prêtrise et où les laïcs aussi trouveront un enseignement biblique et théologique pour approfondir et épanouir leur foi ; elle fonctionnera donc comme un grand séminaire parallèlement à celui de Suva et pourra devenir également une école de la Foi pour tous.

Le discernement, l’éclosion xxx la formation et l’aboutissement xxx de toutes les vocations nécessaires pour que l’Eglise reste Evangélisatrice dépendent de notre « accord à l’appel que nous avons reçu du Christ (Eph. 4, 1) selon une activité répartie à la mesure de chacun » (4/16) et d’une estime et d’un soutien mutuel de toutes les vocations St Paul en effet décrit magnifiquement dans le chapitre 4 de Ephésiens la croissance du corps tout entier de l’Eglise par les différentes missions, fonctions, ministères, confiés directement par le Christ sous l’action « d’un seul Dieu et Père de tous qui règne sur tous, et demeure en tous » (4/15). Déployons aussi ces vertus qui font la communion « en toute humilité et douceur avec patience, supportez-vous les uns les autres dans l’amour » (4/2). Il y a peut-être des navigateurs solitaires sur l’Océan Pacifique, il ne peut xxx en avoir dans notre Eglise où xxx croissance du Corps tout xxx dépend de tous. Qu’il n’y ait pas une amuiraa, pas un groupe de jeunes, pas une école, pas une communauté, qui n’inclue dans sa propre vie paroissiale les activités de son mouvement ou de son école, sa vie religieuse – le soutien matériel et spirituel des jeunes relevant des séminaires de Taravao ou de Punaauia ou des foyers vocationnels ou noviciats.

Le partage spirituel

Le partage spirituel est en cours de réalisation par les nombreuses recollections, sessions, retraites qui attirent de plus en plus de laïcs. Certains pensent encore que le renouveau spirituel est réservé à une catégorie de chrétiens. Mais la Légion de Marie, le renouveau charismatique ouvrent des journées de prières à ceux qui se sentent les plus pauvres des pauvres, littéralement affamés de la parole vivifiante du Christ et de sa grâce. Toute retraite, à condition qu’elle ne se fasse pas en retrait de la vie et de la pastorale du diocèse, peut devenir « foyer providentiel » d’un renouvellement  de la mission de la vie familiale, de l’engagement chrétien dans la vie publique. Que cette lettre soit un encouragement pour tous ceux et toutes celles qui donnent plus d’ampleur à l’esprit de partage à travers ces retraites.

Enseignement catholique

Dans le contexte actuel des débats sur l’enseignement privé, le Président de la Commission du Monde Scolaire et Universitaire de l’Episcopat français, s’est exprimé à Rome au Congrès du Comité Européen pour l’Enseignement catholique. « L’école non seulement par son climat général de « liberté et de charité (Concile du Vatican) mais aussi sa pédagogie peut favoriser l’éveil au sens des solidarités et des engagements ». C’est bien ce que l’enseignement catholique poursuit ici en voulant être une « communauté éducative » « qui tienne compte à la fois de la spécificité qui vient de l’Evangile et de sa vocation de service dans le cadre local… et qui réunit tous les partenaires, parents, parents, enseignants, organismes de gestion et de direction »4.

Certes il est plus facile pour des organismes qui ne produisent pas de biens matériels et consommables d’établir le partage, mais le partage peut aller beaucoup plus loin dans nos écoles, car l’émulation et la solidarité y remplacent la concurrence.

Une société ressemble à son école, et dans l’avenir celle-ci pourrait aider la société à être elle-même plus solidaire. Un point que nous aborderons à nouveau dans la seconde partie de cette lettre.


 

4 Mgr Honoré, DC 1982, pp.210 et 211

L'œcuménisme

L’œcuménisme est le champ privilégié du partage. Aucune vie chrétienne en Polynésie ne peut s’accommoder d’un partage qui n’ait sa dimension œcuménique. Le point de départ de ce partage c’est notre richesse commune rappelée par St Paul au chapitre 4 des Ephésiens… »il n’y a qu’un seul Corps, un seul Esprit de même que votre vocation vous a appelés à une seule espérance, un seul Seigneur, une seule Foi, un seul Baptême. Alors pourquoi avoir peur, pourquoi se lasser ? La prière du Christ pour l’Unité viendrait-elle à nous manquer ?

La Conférence des Eglises du Pacifique vient de supprimer, par mesure d’économie, les différents départements chargés de mettre en œuvre ses différents programmes. Elle est maintenant réduite à un secrétariat très modeste, mais son nouveau Secrétaire Général nous invite à intensifier au niveau national les efforts œcuméniques déployés jusqu’alors au niveau régional5.

Nous sommes à une heure de vérité : l’annulation d’une grande partie des subsides que recevait le P.C.C. peut-elle être un frein à un œcuménisme fondé d’abord sur la prière – la recherche biblique – et théologique ?


 

5 Lettre du nouveau Secrétaire Général de la Conférence des Eglises du Pacifique, Mr Baiteke NABETARI – Lettre du 9 septembre 1982.

 

Développement

Partager est une condition du développement. Autre réalisation pour un partage plus équitable entre Tahiti et les îles les plus lointaines : le Centre pour l’éducation au Développement établi à Mangareva depuis la fin de juin, grâce à une communauté de 4 frères du Sacré-Cœur. Ils sont là-bas pour aider les jeunes et leurs parents qui préfèrent rester sur leur archipel natal et le mettre en valeur. Toutes les îles de l’Est pourront sans doute un jour profiter de ce centre. Depuis le Synode de 1973, le projet n’avait pu être mis en application. Unissons-nous à la population de Mangareva présente à Tahiti pour soutenir comme l’a déjà fait le « Tomite Turu » des Tuamotu-Gambier, cette mission d’évangélisation-développement dont le succès dépend de tous6.

Cette opération a été précédée àMangareva, Napuka, Tubuai, et dans d’autres îles encore de l’envoi, sur les atolls et îles lointaines, de religieuses, diacres et laïcs. Pour compléter ce mouvement de solidarité, des prêtres en charge de paroisse à Tahiti ?se sont portés spontanément volontaires, pour prendre la responsabilité de certaines îles vers lesquelles ils iront régulièrement. 


 

6 « Tomite Turu » ou Comité d’aide des Gambier, est une section du Comité d’aide des Tuamotu qui avec le « Tomite Aratai » ou Comité Pastoral soutient spirituellement et matériellement les îles lointaines.

Lutte contre la faim

La question du développement nous permet d’aborder l’aspect matériel du partage. A l’occasion des récentes campagnes de Carême, voici ce que vous avez donné :

1979  Centre Accueil « Te Manu Pererau »         

Fraternité des Malades                                 1.076.829

1980   1/3 Bibliothèque Etudiants Sénégalais               596.302

2/3 Eglise en détresse                                  1.192.605

1981   Lutte Anti-Alcoolique – AA                             1.190.466

Secours aux aveugles                                      595.233

1982    Philippines (1 projets de développement)

Plus secours à Tonga cyclone                       3.542.045

 

           Pour donner un ordre de grandeur

1975    pour la fondation de Raimanutea –

handicapés, la collecte avait rapporté              956.224

- En 1978, le Produit National Brut se situait aux environs de $ US 5.000 par habitant, en Métropole autour de $ US 7.200. Il est équivalent de celui de Nouvelle-Zélande et la Grande- Bretagne, bien supérieur à celui des Fidji (1.200) et même des Samoa Américaines ($ US 3.500).

Il est normal que notre aide augmente pour favoriser le développement des autres – ou atténuer les souffrances dues aux calamités. Désormais le diocèse lui-même, comme beaucoup d’autres déjà dans le monde,affectera 1/100è de ses revenus bruts de chaque année à la lutte contre la faim. C’est le Comité de Campagne de Carême à l’intérieur du « Apooraa Aratai » (Conseil Pastoral) qui décidera de la destination de ces fonds. Ils s’ajouteront à ce que vous donnez déjà. Ce ne sera pas une part considérable puisqu’elle ne peut pas être prélevée sur les quêtes ou les dons qui ont déjà une affectation précise indiquée par les donateurs – Certains penseront « certaines paroisses sont en déficit – Il y a des projets qui ne peuvent encore voir le jour… pourquoi les priver de ce prélèvement ? » Mais le diocèse n’est pas une île et nous sommes solidaires de nos frères du Monde entier. En 1982 cela devient comme une obligation de partager non seulement chez soi, mais avec tous.

Construction des églises

Cela ne fera que renforcer chez nous-mêmes le sens du partage, notamment pour l’édification des églises à bâtir à Faaa, Mahina. Une paroisse seule ne peut plus supporter le poids de telles constructions. Alors pourquoi toutes les paroisses ne s’uniraient-elles pas pour financer les projets les plus urgents en cours ? Renonçons aussi à demander ou  accepter des subsides provenant de collectivités publiques pour des besoins purement cultuels, comme l’est une église. Certes les pouvoirs publics se doivent d’apporter leur contribution à ce qui est scolaire, social, éducatif et ce qui favorise le développement humain. Mais demandons à notre Foi seule de supporter tous nos besoins spirituels. Nous contribuerons à alléger les charges des finances publiques. Il va sans dire, par contre, que la réfection, l’entretien d’un édifice religieux, devenu propriété publique restent à la charge de cette collectivité. Faisons jouer à plein dans cette période d’austérité notre esprit civique.

Le monde et la Polynésie

Regardons maintenant côté montagne, c’est-à-dire le monde et notre Territoire. Des évènements de toute sorte, une situation économique mondiale difficile et incertaine sont à l’origine d’un nouveau climat social. C’est de la récente conférence des ministres de l’économie à Toronto le mois dernier que sont partis des appels pressants à l’austérité : c’est-à-dire à moins dépenser, à moins consommer, à économiser, puisque les dettes de certains pays insolvables et les créances irrécouvrables des autres nous rendent tous solidaires.

C’est un langage nouveau que nous entendons et il porte en lui-même un enseignement. L’histoire économique montre que les périodes de très grande prospérité ont vu se développer l’égoïsme démesuré des uns au détriment par exemple des prolétaires, ceux qui n’ont que leur travail pour vivre. La prolongation de cet égoïsme économique a engendré des désordres et des maux dont nous ne « sommes pas encore sortis. Beaucoup d’experts se demandent maintenant si un partage plus équitable des richesses, et du profit, outre qu’il amènerait une plus grande justice, ne provoquerait pas aussi une plus grande prospérité économique. La Terre respectueuse d’elle-même et tout d’un coup plus pauvre, au moins dans ses moyens, les hommes se sentent plus solidaires et prêts au partage. Ce climat s’instaurera-t-il ici ?

Depuis un certain nombre d’années des mesures sociales ont été prises qui ont permis peu à peu d’assurer la protection des salariés et de leurs familles – d’étendre jusqu’à l’ensemble de la population le régime des pensions et retraites. Le SMIG atteindra 51.000 CFP au mois d’octobre – soit une augmentation de 66,9 % en 2 ans puisque en janvier1980 le SMIG était à 34.130 CFP … Qui ne se réjouit de ces étapes ? Il reste le décalage entre les petits et les très hauts salaires. Laisser pousser les branches du dessous n’empêche pas les plus hautes de grimper à la verticale. Seul un émondage sérieux peut rétablir l’harmonie. Les fruits seront pour tous. Comme il s’agit par ailleurs d’un domaine hautement « symbolique quelque soit la catégorie sociale à laquelle on appartienne, la volonté de partager n’exclue pas les passions… d’où la prudence compréhensible des responsables ce qui ne doit pas pour autant annihiler leur audace.

Travail

La publication d’un nouveau Code du Travail pose à tous la question : quelle est la place des salariés dans la société ? Quelle est leur part de responsabilité dans la vie économique du pays ? Rappelons ce que le Pape Léon XIII dans « Rerum Novarum » a nettement admis dès 1892, le principe de la légitimité du droit de grève. Le Pape Jean-Paul II dans sa lettre encyclique sur le travail a dit que « le travail humain est la clé – et sans doute la clé essentielle de la question sociale et il rappelle aussi que le travail n’est pas une marchandise, qu’il ne faut pas le voir sous son seul aspect économique, l’apprécier en fonction du rendement. Le travail est l’expression de la dignité de l’homme et de sa coopération à la création. Le travailleur ne doit jamais perdre son autonomie et sa responsabilité en ce qu’il fait, en ce à quoi il collabore, comme la production. Le nouveau Code du Travail ne sera véritablement un progrès que si les principes de base en sont justes et reconnus par tous. Il pourra ensuite évoluer avec la société polynésienne et le développement général du Territoire. Pour le reste « obtenir tout, tout de suite » implique la victoire de l’un sur l’autre. La lutte et la conciliation font partie de la trame normale du progrès social. Ils ne peuvent se muer en « lutte des classes » que l’enseignement de l’Eglise n’a jamais accepté car injuste et opposé foncièrement à la fraternité. Si le nouveau Code n’est pas un enjeu, il sera le fruit et la source d’un réel partage constructif d’une société polynésienne qui désire s’adapter au monde moderne et s’éviter les troubles sociaux et économiques qui ailleurs ont fait tant de ravages.

Le polynésien devenu citadin est lié désormais à un travail régulier et sûr. Ce fait social attire aussi les jeunes des îles lointaines à Tahiti. C’est un des changements les plus considérables de ces 25 dernières années à Tahiti. Le chômage apparaît donc comme une calamité ici comme ailleurs. Cette demande de travail ne pourra être comblée dans les années à venir que si par l’initiative privée se multiplient de nouvelles entreprises, et par le soutien public, une prospection plus large et plus lointaine ouvre de nouveaux champs d’activité sur terre et l’océan. En même temps que les plus audacieux et les plus ingénieux multiplieront les emplois, un véritable climat de socialisation peut être instauré au sens que développe le Pape Jean-Paul II dans son encyclique sur le travail déjà cité : «  On ne peut parler de socialisation que si la subjectivité de la société est assurée, c’est-à-dire si chacun, du fait de son travail, à un titre plénier à se considérer en même temps comme copropriétaire du grand chantier de travail dans lequel il s’engage avec tous. Une des voies pour parvenir à cet objectif pourrait être d’associer le travail, dans la mesure du possible, à la propriété du capital, et de donner vie à une série de corps intermédiaires à finalités économiques, sociales et culturelles : ces corps jouiraient d’une autonomie effective vis-à-vis des pouvoirs publics ; ils poursuivraient leurs objectifs spécifiques en entretenant entre eux des rapports de loyale collaboration et en se soumettant aux exigences du bien commun, ils revêtiraient la forme et la substance d’une communauté vivante. Ainsi leurs membres respectifs seraient-ils considérés et traités comme des personnes et stimulés à prendre une part active à leur vie7.

Cette voie en effet mène à la personnalisation du travail, et la société au lieu de rester totalement anonyme, retrouve son caractère de groupes de personnes apportant chacune ce qu’elle a.

Le Partage n’est pas le jeu ! L’initiative du Conseil de Gouvernement de règlementer les tombolas mettra fin à des abus. La multiplication des tombolas à gros capital éliminait finalement l’esprit d’entraide et de bienfaisance. L’industrie touristique reste la grande activité privée du Territoire. Elle peut encore procurer de nouveaux emplois. Son développement peut se réaliser sans tuer le capital de beauté, de paix, et de foi de la Polynésie. Le danger de voir s’installer un casino n’est jamais totalement éliminé. La rentabilité en est très contestable pour les finances publiques. Le contrôle des maisons de jeux échappe tôt ou tard à leurs fondateurs et à la puissance publique. En exploitant et institutionnalisant la passion du jeu au départ, le casino fait place peu à peu au »milieu » et la Polynésie doit en être absolument protégée. Le Casino, comme le jeu, berce ses adeptes d’illusions. Le Territoire y perdra sa mise à coup sûr.


 

7 Laborem exercens – D.C. 1981 – p.846

Violence et armement

Un fait divers absolument inattendu nous servira de transition pour aborder un autre sujet qui a occupé il y a 3 semaines la scène de l’actualité : une petite fille de 10 ans aurait mis le feu, par 2 fois sans trop de dégâts heureusement, à des magasins. Enfant frustrée par la misère de sa famille, elle passait son agressivité dans la pyromanie. Geste irréfléchi chez cet enfant et notons-le, illégitime absolument dès le départ. Cela fait comprendre malgré tout ce qu’est la violence à notre époque : la disproportion entre le dommage que l’on subit et le mal que l’on inflige. Ces débuts d’incendie auraient pu provoquer la mort de personnes. La grande question posée à la conscience des gouvernants n’est-elle pas : « comment anéantir la violence sans être soi-même violent ? » « Comment se prémunir contre la violence pour qu’elle n’éclate pas ? » La question est particulièrement grave en matière d’armement nucléaire. C’est une question que nous ne pouvons pas éviter du fait que nous contribuons à cet armement et de plus en plus, en Europe comme aux USA, dans l’opinion comme chez les gouvernants, la force atomique concentrée ou dispersée, en quelque partie du monde que ce soit, se présente comme une menace de moins en moins illusoire d’autodestruction de l’humanité par elle-même. La conscience chrétienne qui n’évite le mensonge qu’en respectant effectivement l’homme, ne peut plus admettre que cette menace existe et soit de plus en plus sérieuse. Déclarations et manifestations ont leur limite. Que ceux qui, au plan mondial détiennent la clef de la science, du pouvoir, soient capables de mettre en mouvement un nouvel ordre de désarmement progressif. Il aura pour effet de sauver l’humanité, ce qu’à coup sûr tout le monde veut, et de lui faire ensuite partager les bénéfices tirés de ce désarmement universel.

Conclusion

Voici donc abordés quelques points seulement qui émergent de l’actualité à quelques jours de la clôture de l’année franciscaine. Ils illustrent bien que la nature très différente, le thème choisi le « partage ». Il ne se réalisera pas par enchantement, même si les hommes de notre temps, sous certains aspects, montrent une inclination et des capacités pour cela.

Côté Eglise, les signes ensont : conversions, groupes de prières, célébrations, adorations commune et silencieuse, études bibliques, visites et animations des quartiers, multiplication des vocations, catéchèse des jeunes par leurs aînés, intensification de la vie paroissiale, exigences spirituelles dans les associations de jeunes, vie religieuse et familiale exemplaire.

Le partage de la parole et pain de vie dans la charité et fidélité aux enseignements des Apôtres fonde les communautés chrétiennes. Il n’en sera pas autrement ici.

Côté Territoire, beaucoup d’occasions de profond renouvellement nous sont offertes. La crainte s’est emparée cependant chez beaucoup d’avoir à partager au moment où les ressources diminuent et où les biens à acquérir pour vivre sont de plus en plus chers. La tentation redouble alors d’une fuite en avant vers les avantages matériels – mais le cœur de l’homme s’enrichit aussi quand il a moins. Toute socialisation limitée à une meilleure répartition ou gestion collective des biens ne serait finalement que du matérialisme au goût du jour aussi exécrable que celui dont nous souffrons depuis si longtemps…Ce serait un nouveau désespoir…Le partage dont nous parlons inclut toutes les valeurs spirituelles, elles seules peuvent finalement unir les hommes libres ; des parts égales, des chances égales, des revenus égaux ne font pas seuls le partage, mais le cœur qui seul donne et reçoit.

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