1976 - Vers une Église locale

Lettre Pastorale

Vers une Église locale

Se libérer de certaines idées toutes faites

Notre Archidiocèse ne peut se contenter de l’ordination de 4 à 5 prêtres tous les 25 ans… et de quelques religieuses par décade !

Depuis le deuxième Concile du Vatican, le laïcat davantage au service de l’Eglise et plus engagé dans certains domaines : a acquis une meilleure formation : réjouissons-nous ! Mais une question se pose : notre Eglise au niveau de ceux et de celles qui sont plus spécialement responsables de sa Mission, est-elle vraiment locale ? et qu’est-ce qui empêche qu’elle le soit ?

En vous adressant cette lettre pastorale ( la seconde de son épiscopat en 9 ans ), à la suite de puissantes démarches à la veille de mon départ aux Tuamotu, je voudrais vaincre la passivité des insouciants et la résistance des sceptiques ou des désespérés. Il y a trop de gens à Tahiti pour répéter inlassablement qu’un Tahitien ne peut pas être prêtre. Ces mêmes gens ignorent que le Séminaire Régional de Suva aura 70 élèves l’année prochaine ; qu’aux Samoa et aux Tonga, pays entièrement polynésien, beaucoup plus que le nôtre, il y a déjà un clergé local, une hiérarchie locale ! Et pourquoi la population d’ici, qui n’est pas entièrement polynésienne, ne donne-t-elle pas alors des prêtres et des religieux ?

Cette lettre veut aussi fortifier les efforts de ceux et de celles qui travaillent pour les vocations sacerdotales et religieuses avec la ferme conviction qu’ils préparent les fondements sûrs et irréfutables d’une Eglise vraiment locale.

Au moment où une fois de plus la rentrée scolaire absorbe le plus gros des forces de notre diocèse, ne croyez-vous pas qu’il est bon de prendre du recul par rapport à nos occupations quotidiennes et pressantes, et, par une sérieuse réflexion, dans la prière, nous demander si nous ne sommes pas, les premiers prisonniers, d’habitudes, de comportements, d’activités qui rendent insensibles les jeunes et leurs familles à la Mission réelle de l’Eglise ici. Beaucoup de jeunes – c’est un fait d’expérience – ont entrevu, ici, la vocation comme un idéal magnifique sans doute, mais irréalisable pour eux. Le Don Total au Seigneur, dans la prêtrise ou la vie religieuse, s’accompagne d’engagements très précis, très concrets qui sont en relation avec la société à laquelle nous appartenons. Nos jeunes veulent comprendre que le prêtre , la religieuse ne sont pas seulement une nécessité pour l’Eglise, mais aussi pour la Société à laquelle ils appartiennent. Si la Mission de l’Eglise ne rejoint pas les aspirations d’un pays et de sa population, il ne faut pas s’étonner que les plus généreux se désintéressent de servir Dieu et les hommes.

Cette Lettre Pastorale devrait amener une large réflexion dans le diocèse ; il est souhaitable que vous fassiez entendre votre point de vue, notamment en écrivant ou en rencontrant le Père Tagirau MIODUSKI, responsable du Service des Vocations et du Foyer Jean XXIII. Aujourd’hui, nous nous limiterons à deux questions :

1°) Comment percevoir et faire percevoir la vocation religieuse et sacerdotale aujourd’hui à Tahiti ?

2°) Qu’est-ce que l’Eglise aujourd’hui enseigne très précisément sur la prêtrise ?

 

Comment percevoir et faire percevoir la vocation religieuse et sacerdotale aujourd’hui à Tahiti ?

Nous avons à nous mettre à l’écoute de l’Enseignement de l’Eglise Universelle. Nous le ferons dans la seconde partie. Mais cette première partie constitue un travail que nous sommes les seuls à pouvoir faire. C’est à notre Eglise, ici, de comprendre la signification de la vocation, c’est la part du diocèse que personne d’autre ne fera à notre place.

Sens de la catholicité

N’oublions pas tout d’abord que nous sommes catholiques.

Au milieu de tant d’autres confessions, voilà un point qui devrait être ici comme dans le Monde entier la marque de notre Eglise : donner des prêtres et des religieux. L4Evang2lisation va jusqu’à ce terme de la consécration totale à Dieu. Cette évangélisation ne concerne pas les autres, mais nous-mêmes. C’est à nous de nous laisser évangéliser. Le Pape Paul VI a écrit par deux fois : « l’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins » (D.C.76, p.8 : Exhortation sur l’Evangélisation dans le monde moderne). Et le Saint-Père précise (p. 16) : «  les religieux, eux, trouvent dans leur vie consacrée, un moyen privilégié d’évangélisation efficace. Par leur être le plus profond ils se situent dans le dynamisme de l’Eglise assoiffée d’absolu de Dieu, appelée à la sainteté. C’est de cette sainteté qu’ils témoignent. Ils incarnent l’Eglise désireuse de  se livrer au radicalisme des Béatitudes. Ils sont par leur vie, signes de totale disponibilité pour Dieu, pour l’Eglise et pour les frères.

Notre Eglise s’évangélise elle-même, quand tel ou tel de ses fidèles accepte, à l’appel et à l’exemple du Christ, de vivre la pauvreté, la chasteté, l’obéissance, la vie de communauté. « Seul l’amour de Dieu appelle de façon décisive à la chasteté religieuse (Exhortation apostolique sur le Renouveau de la Vie Religieuse, n° 13). Et St Paul disait encore que l’Eglise, Corps du Christ, contient tous les dons, qu’il en est de toutes sortes, mais qu’il faut aspirer aux meilleurs (I Cor. 12, 12-30 ).

Le laïcat est lié au sacerdoce ministériel

N’oublions pas tout d’abord que nous sommes catholiques.

Au milieu de tant d’autres confessions, voilà un point qui devrait être ici comme dans le Monde entier la marque de notre Eglise : donner des prêtres et des religieux. L4Evang2lisation va jusqu’à ce terme de la consécration totale à Dieu. Cette évangélisation ne concerne pas les autres, mais nous-mêmes. C’est à nous de nous laisser évangéliser. Le Pape Paul VI a écrit par deux fois : « l’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins » (D.C.76, p.8 : Exhortation sur l’Evangélisation dans le monde moderne). Et le Saint-Père précise (p. 16) : «  les religieux, eux, trouvent dans leur vie consacrée, un moyen privilégié d’évangélisation efficace. Par leur être le plus profond ils se situent dans le dynamisme de l’Eglise assoiffée d’absolu de Dieu, appelée à la sainteté. C’est de cette sainteté qu’ils témoignent. Ils incarnent l’Eglise désireuse de  se livrer au radicalisme des Béatitudes. Ils sont par leur vie, signes de totale disponibilité pour Dieu, pour l’Eglise et pour les frères.

Notre Église s’évangélise elle-même, quand tel ou tel de ses fidèles accepte, à l’appel et à l’exemple du Christ, de vivre la pauvreté, la chasteté, l’obéissance, la vie de communauté. « Seul l’amour de Dieu appelle de façon décisive à la chasteté religieuse (Exhortation apostolique sur le Renouveau de la Vie Religieuse, n° 13). Et St Paul disait encore que l’Eglise, Corps du Christ, contient tous les dons, qu’il en est de toutes sortes, mais qu’il faut aspirer aux meilleurs (I Cor. 12, 12-30 ).

Église : un toit organique

La troisième raison n’est pas contingente, mais théologique. Nos catholiques aiment  leur Eglise ; mais nous avons tant parlé du sacerdoce des fidèles que peut-être une claire vision de la structure organique de l’Eglise s’est quelque peu estompée. Le synode des Evêques de 1972 à Rome a rappelé dans un texte que le Pape Paul VI a rendu public ( D.C. 1973 : le Sacerdoce ministériel, pp. 2-11 ) « … la structure essentielle de l’Eglise constituée par le troupeau et les pasteurs qui lui sont envoyés ( I. Pet. 5, 1-5 ) fut toujours normative et elle le demeure, selon la tradition de l’Eglise elle-même «  ( p. 5 ). Les Douze Apôtres n’eurent pas seulement des auxiliaires ( AC , 6, 2-6 ; I Th. 5, 12-13 ) mais « pour que la Mission qui leur avait été confiée put se continuer après leur mort, ils donnèrent mandat, comme par testament, à leurs coopérateurs immédiats d’achever leur tâche et d’affermir l’œuvre commencée » ( p. 5 ) ( Ac. 20 , 25-27 ; II Tim. 4, 6 ss ) «  Ce sont ces hommes à qui il fut confié de prendre garde de tout le troupeau dans lequel le Saint-Esprit les avait institué pour paître l’Eglise de Dieu ( Ac. 20, 28 ). Et le Synode conclut : «  Lorsque manquent la présence et l’action de ce ministère ( des évêques et des prêtres ) lequel est reçu par l’imposition des mains que la prière accompagne, l’Eglise ne peut avoir la pleine certitude de sa fidélité et de sa continuité visible «  ( P. 5 )  Vous avez certainement entendu en catéchèse ou même dans nos homélies : «  l’Eglise, c’est nous tous «  . C’est vrai, mais à la seule condition que quelques fidèles du peuple de Dieu soient aussi constitués dans la grâce du sacerdoce ministériel. L’Eglise est avant tout organique et non pas un assemblage d’éléments d’égale importance.

Le caractère locale de l'Église

Cela nous permet d’insister maintenant sur la quatrième raison. Quand le Saint-Père ou le Concile du Vatican parlent d’Eglise particulière, par rapport à l’Eglise Universelle, c’est pour bien marquer l’articulation qui existe entre un diocèse et toute l’Eglise ( LG . 13 , 34 & LG. 23, 49 ) et ( Exhortation sur l’Evangélisation du Monde, D.C. 1974, 14 ) : «  Cette Eglise Universelle s’incarne de fait dans les Eglises particulières constituées de telle ou telle portion d’humanité concrète, parlant telle langue, tributaire d’un héritage culturel, d’une vision du monde, d’un passé historique, d’un substrat humain déterminé. L’ouverture aux richesses de l’Eglise particulière répond à une sensibilité spéciale de l’homme contemporain ». Mais quand on insiste sur la mission spécifique d’une Eglise particulière, diocèse ou groupe de diocèses, qui est de planter l’Evangile au cœur d’un peuple déterminé et de sa culture, on parle aussi d’Eglise locale. Le caractère local de notre Eglise ne s’arrête du reste pas à ses propres limites géographiques ; la Conférence Episcopale des Evêques du Pacifique-Sud, ou C.E.PAC., peut être considérée comme une extension de notre caractère local ( D.C. 1974, intervention des évêques au Synode, p. 978 ). C’est ainsi que tout naturellement nos élèves séminaristes se dirigent sur le Séminaire Régional de Suva.

La vie religieuse peut aussi accentuer le caractère local de notre Eglise. Les filles de Jésus Sauveur, fondation de Mgr Paul MAZE, ancien Archevêque de Papeete, malgré leur progression lente et modeste, témoignent d’une volonté de vie religieuse de polynésiennes en Polynésie ? Ce qui compte n’est peut-être pas en effet une extension rapide, mais régulière et suffisante pour que ce soit bien au cœur de notre population que le témoignage d’une vie selon les préceptes évangéliques soit porté, que des jeunes filles du pays puissent s’organiser en vie de communauté est un autre aspect d’un témoignage d’Eglise. Que leurs rangs restent ouverts à toutes manifeste encore leur capacité d’être attentives au Tahiti d’aujourd’hui.

Volontairement aujourd’hui  nous n’énumèrerons pas  « les éléments qui constituent la personnalité du Territoire », car les points de vue peuvent varier d’un observateur à l’autre. Contentons-nous de rappeler que toute culture, même si en 200 ans elle s’est sensiblement transformée et enrichie d’apports extérieurs valables, se confond avec sa population, d’où émerge en ce moment une volonté d’exercer plus de responsabilité.

Comment des jeunes gens et des jeunes filles, si précoces parfois, à envisager un grand idéal de vie, ne verraient-ils pas que l’Eglise les attend pour donner à une Polynésie en transformation les guides spirituels dont nos catholiques ont besoin et qui n’oublieront jamais que Prière, Amour, Justice doivent apparaître en ceux qui veulent se donner totalement à Dieu et à leurs frères et qui savent que tout se construit finalement autour de l’Eucharistie.

Par ses fidèles, par leur vie paroissiale, ses groupes de chant, ses « katekita », et bientôt ses diacres, les « Pupu Rotario Ora », le « Nuu o Maria », par ses éducateurs généreux en union avec nos Frères et nos Sœurs, l’Eglise est déjà locale. Elle doit l’être par des prêtres, des Frères et des Sœurs du Pays. Encore une fois, il ne s’agit pas là d’un couronnement, ajouter quelque chose à un organisme déjà vigoureux : il s’agit de tirer cette vigueur de la seule source à laquelle on peut légitimement aller : la jeunesse de notre pays … Si de cette jeunesse ne se lèvent pas les quelques vocations dont nous avons besoin dans les 10 ans qui viennent, notre Eglise sera privée d’une certaine note d’authenticité. Car qu’est-ce une Eglise qui ne subsiste pas par elle-même, et qu’est-ce qu’une Eglise qui n’éprouve pas le désir d’être un jour missionnaire ?

La signification des vocations sacerdotales et religieuses aujourd’hui est simple : témoigner à la fois d’un grand amour de notre pays et de sa population, malgré les plus grandes incertitudes sur son avenir, mais aussi d’un grand amour de l’Eglise. Des jeunes se donnant totalement au Seigneur selon les grandes exigences de l’Evangile, apporteraient cet élément de « confiance spirituelle » si nécessaire chez nous en ce moment. Seuls des jeunes totalement désintéressés par leur vocation essentiellement spirituels pourraient aider nos chrétiens à sauvegarder dans notre société polynésienne actuelle toutes les valeurs qui l’ont constituée, et à en implanter d’autres au fur et à mesure qu’elle continue d’évoluer. Le combat de le Foi nécessite non pas uniquement des convictions, qui seraient stériles si elles n’étaient qu’intérieures, mais aussi l’engagement des hommes.

Sentire cum ecclesia - à l'unisson avec toute l'Église

Abordons maintenant les conditions concrètes de la vie du prêtre telle que l’Eglise les propose aux candidats au sacerdoce ministériel. Dans cette seconde partie nous nous efforcerons de comprendre l’enseignement, la discipline de l’Eglise Universelle. Autant nous avons fait effort dans la première partie pour saisir dans quel contexte local se situait la « vocation » sacerdotale et religieuse, autant maintenant il nous faudra comprendre la portée de la discipline de l’Eglise latine.

Permanence

Un premier aspect du sacerdoce ministériel, c’est sa permanence. Non seulement il y aura toujours des prêtres, mais une fois ordonnés ; ceux-ci sont consacrés dans un état de vie stable. Relisons simplement le résumé du Synode des Evêques de 1971 ( D.C. 1972, p. 5 ) : «  Par l’imposition des mains, le don inamissible de l’Esprit-Saint est communiqué ‘ II Tim. 1, 6 ). Cette réalité configure et consacre le ministre sous le double aspect de l’autorité et du service. Cette autorité n’appartient pas en propre au ministre ; elle est en effet la manifestation de la puissance du Seigneur, en vertu de laquelle le prêtre est délégué pour l’œuvre éternelle de la réconciliation eschatologique ( IICor. 5, 18-20 ) … La permanence durant toute la vie de cette réalité marquante, qui appartient à la doctrine de la Foi et qui est nommée caractère sacerdotal dans la tradition de l’Eglise d’une manière irrévocable pour le salut du monde et que l’Eglise eel-même est ordonnée au Christ d’une manière définitive pour l’accomplissement de son œuvre… Le ministre, dont la vie comporte la marque du don reçu par le sacrement de l’Ordre, rappelle à la mémoire de l’Eglise que le don de Dieu est définitif ».

Dans la mentalité actuelle de nos îles, il ne semble pas que ce caractère définitif fasse difficulté. Le prêtre a toujours été perçu comme celui qui a une fonction définitive et dont la vie est marquée par la « stabilité ». Même si depuis quelques années l’Eglise a relevé de par le monde certains prêtres de l’exercice de leur charge, ce n’est pas, semble-t-il, cette « permanence » dans un même état tout au long d’une existence, dans un monde qui change plusieurs fois dans une même génération, qui effraie les jeunes, mais plutôt comme leurs aînés, ce dont cette permanence est assortie par la discipline de l’Eglise, à savoir le célibat.

Le célibat

C’est un fait que les premières tentatives de notre mission soit aux Gambier, soit à Tahiti, se sont soldés par des échecs ; alors que le séminaire de Lano depuis sa fondation aux Wallis a fourni 34 prêtres ( Rapport de Mgr Fuahea à la session 1976 de la CEPAC ), un seul prêtre mangarévien a été ordonné pendant les 100 premières années de la Mission à Tahiti.

Les causes de ces échecs ne viennent sans doute pas de la formation que l’on donnait ( bien qu’elle aurait pu être mieux adaptée ), mais de la structure même de la société polynésienne, où l’homme célibataire n’avait pas sa place. Seul un nombre suffisant de prêtres célibataires aurait pu pallier à cette difficulté. Pour les religieux, la loi de l’Eglise exige que des vœux définitifs soient prononcés que lorsqu’il y a un nombre suffisant de religieux. C’était une gageure d’imposer une discipline ecclésiastique à des hommes isolés, privés de secours du groupe vivant le même état de vie. Encore une fois, cet obstacle a quand même eu cela de bon qu’il nous a obligé à créer et former un laïcat qui a assuré dans bien des cas une existence à peu près normale aux communautés éloignées. Malheureusement les fonctions du Katekita ont été considérées à tort comme inférieure. Ce n’est plus le cas depuis le Concile du Vatican ;

Aux périodes de découragement, par exemple au temps de Mgr Hermel, Rome est intervenue à nouveau pour que le diocèse reconstitue son séminaire. La condition exigée de la part de notre évêque d’alors semble avoir été qu’il puisse ordonner des gens mariés. Nul ne saura jamais très bien ce qui s’est passé au cours de l’entrevue que Mgr Hermel eut alors avec le Cardinal Préfet de la Propagation de la Foi. On en revint à une conception d’une petite mission qu’il fallait continuer à aider généreusement par l’envoi régulier de religieux venant d’Europe. La chute démographique aidant, il y eut pendant des décades et des décades plutôt une présence de l’Eglise catholique par son action éducatrice et apostolique  d’une Eglise vraiment implantée. Mais gardons-nous de considérer avec pessimisme ces retards et ces déboires… Nous sommes , comme nos devanciers, devant les mêmes exigences et, sur certains points, sans accomodation possible. L’Eglise veut en effet, une fois encore et comme toujours, présenter de l’Evangile ce qui est le plus fondamental, le plus décisif à travers ses prêtres.

Pas d'ambiguité

Je tiens, dans ce document, à lever toute ambiguïté, à l’intérieur de la CEPAC, il est arrivé par deux fois que soit soulevée la question de l’ordination d’hommes mariés, mais jamais des femmes accédant à la prêtrise. Néanmoins, pour notre diocèse, je n’ai jamais pensé, depuis que je suis évêque, qu’en dehors d’un changement de la discipline universelle il était possible d’espérer des exceptions à la règle du célibat ? D petits diocèses comme le nôtre doivent soutenir une orientation universelle et non la compromettre. D’autre part, ceux qui souhaitent dans le Pacifique des exceptions – c’est très clair pour moi depuis la dernière Session de la CEPAC – ne veulent pas que des exceptions, mais rompre une maille pour créer une brèche qui pourrait s’agrandir ensuite aux dimensions d’une entrée normale. Cette attitude est la marque d’un certain «  sacramentalisme » des prêtres nombreux pour assurer les sacrements, alors que l’enseignement de la Foi reste primordiale. Elle est la marque d’une certaine inquiétude du fait que dans certains pays ( Papouasie- N.G.) les missionnaires étrangers pensent qu’ils ont apporté des coutumes occidentales, et non pas ce qui est demandé à tous par le Christ dans l’Evangile. A exiger trop, disent certains, on compromet la fondation d’une Eglise locale à partir d’une hiérarchie locale.

Diacres

Devant cette situation bien sûr grave, le Concile du Vatican et les décrets post -conciliaires ne nous laissent pas démunis. Le diaconat d’hommes mariés est possible et chez nous les diacres reçoivent une partie de la grâce ministérielle ; ils participent donc de très près et avec autorité à l(organisation et la direction de l’Eglise. Mais si les textes du Concile du Vatican sont appliqués ici, ils le seront strictement. Nous ordonnerons des diacres, sans aucune intention qu’ils puissent un jour devenir prêtre. Il s’agit de la discipline universelle et nous ne pouvons arguer de la « particularité » de notre Eglise, pour réclamer un règlement spécial. Je le dis non seulement par obéissance mais par conviction.

Alors pour les prêtres, il reste la voie normale, celle du célibat. Que l’on se reporte au Synode des Evêques de 1971 ( D.C. 1972, p. 10 ) ; par 168 voix contre 10, 3 abstentions et 21 « oui » circonstanciés, il a été demandé que « dans l’Eglise latine la loi du célibat sacerdotal soit intégralement maintenu », les évêques se sont ensuite prononcés pour un autre vote sur des « cas particuliers », à savoir l’ordination d’hommes mariés dans certains cas. La majorité, 107, s’est prononcé contre les exceptions, les autres évêques n’admettent les exceptions que dans la mesure où le Pape voudrait bien le faire en cas de nécessité pastorale.

Devant un vote si clair, l’Archevêque de Papeete que je suis ne peut que partager l’orientation de toute l’Eglise.

La foi - le témoignage

La Foi catholique de nos îles n’est pas en péril tant que nous aurons des communautés bien constituées où la catéchèse, la prière et les sacrements indispensables sont assurés. Ces îles pourront bénéficier quelques années encore de la présence de prêtres très attachés à leurs amuiraa qui exercent dans leur secteur une action sacerdotale très appréciée. Mais au moment où l’Eglise catholique doit aller plus loin et être plus fidèle à elle-même, ce n’est pas le moment d’imaginer une « hiérarchie polynésienne » au rabais. Une  religieuse qui prépare les malades au grand départ, manifeste par son dévouement la présence  affectueuse de l’Eglise…, fait-elle vraiment moins qu’un prêtre ? Je crois au contraire qu’un prêtre ne la remplacerait pas dans certains cas, quoiqu’il soit parfois indispensable dans d’autres cas.

Alors l’Eglise de Tahiti incite les jeunes qui s’en sentent la force et qui sont marqués par une grâce spéciale, à constituer ici un jour une équipe de prêtres enthousiastes et joyeux qui, en toute liberté, auront choisi la voie du sacerdoce ministériel, non pour eux-mêmes mais pour les autres, non pas contre le Monde mais au milieu des hommes. Plus que jamais, le célibat apparaît en porte-à-faux avec le Monde actuel, mais plus que jamais aussi en concordance avec l’appel à suivre le Christ. Quelqu’un qui ne perçoit pas ces deux extrêmes ne peut faire un choix libre. Mais le diocèse peut témoigner qu’il a sans cesse assuré au maximum cette liberté… le nombre d’élèves passés par le petit séminaire de Miti-Rapa, le nombre de ceux qui ont commencé leur Grand Séminaire le soulignent. Il n’y a pas de déshonneur à avoir essayé et il y a parfois une grande clairvoyance à s’arrêter. Mais certaines âmes sont attirées par les sommets : ce sont celles-là qu’il faut attendre patiemment pour qu’elles animent un jour le clergé local et le diocèse.

Toute la Polynésie est un secteur missionnaire

Le Tahiti d’aujourd’hui est entré dans la civilisation de consommation sans avoir fait pour cela aucun choix. Tous les excès de cette civilisation pèsent très lourdement sur une population qui se contentait d’évoluer lentement. Les conséquences actuelles sont terribles et menaçantes car l’opinion publique ne les perçoit pas encore comme un malheur ou une malédiction. La bringue traditionnelle évolue vers la « débauche » généralisée où l’argent domine ; la déchéance de quantité de gens est au bout de ce circuit. Un régime éducatif et un système d’enseignement rejettent sur la touche invariablement chaque année d’excellents jeunes gens qui, au départ, malgré leur pureté, leur droiture, et leurs qualités, n’avaient aucune chance de pouvoir rivaliser… Que font-ils maintenant ? Où sont-ils ? Ils subiront ce que, très jeunes, ils subissent déjà. Le sens des responsabilités s’émousse au moment où on en réclame, très légitimement de plus grandes politiquement et socialement. Nous sommes en beaucoup de domaines dans la contradiction : on trouve la population sympathique et une évolution irrésistible la conduit en partie à la déchéance. C’est dans tous les secteurs, où certains contestent aux chrétiens d’intervenir en tant que tels, qu’il faut qu’ils restent présents et se serrent les coudes. Bien des problèmes, celui de la démographie entre autres et de la paternité responsable, peuvent être résolus par les laïcs eux-mêmes éclairés par leur Foi et l’enseignement de l’Eglise. Mais à côté d’eux, ils veulent l’action surnaturelle du prêtre, qui est complètement serviteur des hommes, puisqu’il appartient totalement à Dieu. Et la meilleure sauvegarde du célibat des prêtres, c’est le travail en équipe, avec les laïcs engagés et exigeants : prière, eucharistie, foi, exercice de la charité et de la justice. Oui, quelle force, quelle lumière pour nos laïcs qu’ils peuvent voir que leurs prêtres « … ont estimé que leur forme de vie ne leur est pas seulement imposée de l’extérieur, mais qu’elle est plutôt l’expression de leur libre donation, acceptée et ratifiée par l’Eglise, par l’intermédiaire de l’évêque ». Au désenchantement de ceux qui ont peur, l’Eglise montre que «  la loi du célibat devient sauvegarde et défense de la liberté par laquelle le prêtre se donne au Christ et elle se présente alors comme un joug léger » ( Encyclique sur le Célibat Sacerdotal : D.C. 1967, pp. 1250-1279 ) .

Dans un petit diocèse comme le nôtre où les vocations sacerdotales sont si rares, a-t-on songé qu’il est pratiquement impossible de partager une poignée de prêtres par deux types de discipline… ce serait stériliser à brève échéance le renouvellement du clergé au plus haut niveau, celui de l’épiscopat.

Avec Marie, image initiale de l'Évangile

Vous constaterez en lisant cette lettre que l’Eglise de Tahiti ne veut pas vivre pour elle-même. Elle veut peser d’un plus grand poids, pour le salut des hommes en Jésus-Christ, sur la Société. Tout ce que l’on a demandé aux laïcs depuis 10 ans et qu’ils ont accompli, n’aura d’efficacité profonde que s’ils peuvent appuyer leur sacerdoce de baptisés sur celui de leurs prêtres. On  n’augmente pas la pâte par de la farine, mais par le ferment.

Les prêtres sont peut-être trop perçus comme étant ce monde à part des Curés – je m’excuse de cette formule très européenne - … Je m’étonne que parfois de très bons catholiques ne soient pas libérés de cette étrange vision… alors que journellement ils vivent du ferment du ministère presbytéral.

Non, ce n’est pas le lieu ni l’époque pour faire un tri dans les versets de l’Evangile. Marie, dont nous fêtons aujourd’hui la Nativité se présente à nous dans sa sérénité, elle qui fut à bien des égards image initiale d’Evangile et qui reste Marie des fidèles, et surtout des prêtres. Si tous nos catholiques continuent à vénérer Marie, à la prier, à vivre ses vertus, à comprendre son mystère, elle nous dira : « Tenez bon » et nous répètera : « Faîtes tout ce qu’Il vous dira. » Marie doit entrer dans nos familles, nos paroisses, pour nous faire aimer son Fils, le Sauveur.

Puisse un jour Marie siéger au milieu de nos futurs prêtres, comme elle était au Cénacle en prière avec les Apôtres. Oui, elle sera « Reine » de nos Apôtres par la paix qu’elle leur donnera. Pour s’occuper des vocations, les faire naître, les faire aboutir, il faut au fond de nos cœurs la Paix de Marie qui fut dans l’Eglise en plein accord avec les Douze et qui rayonne de son exemple et de son oui.

Puisse Marie, Reine de la Paix, inspirer les travaux et les orientations de notre service des vocations qui est, pour l’instant, comme la paroisse en formation de ceux et de celles qui voudront bien sans restriction suivre le Christ, au service de leur Eglise dont ils auront l’humble joie d’avoir changé le visage.

À Papeete, le 8 septembre 1976

+  Michel  COPPENRATH,

 Archevêque  de  Papeete

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