1933 - Le Madecasse (1)

Journal « La Madécasse » n°1422 du 14 octobre 1933 p.3

Le combat de Papeete

22 Septembre 1914

On vient de tourner à Toulon les combats navals de l'adaptation à l'écran chef-d'œuvre de Claude Farrère : La Bataille, sur le croiseur Jean-Bart, avec Charles Boyer, John Loder et Invijinoff. Les mêmes interprètes tournent en même temps les deux versions française et anglaise. Les meilleurs réalisateurs se sont réunis autour de la mise en scène de La Bataille, qui promet d’être aussi belle que l'adaptation muette que nous avons vue.

D'autre part, Nicolas Farkas est allé au Japon tourner les scènes du début du film. Il en a rapporté de très belles et grandes, grâce à l'amabilité du gouvernement japonais, qui lui a été d'une aide précieuse.

Bref, on nous promet un très beau film.

Claude Farrère n'aura pas attendu une consécration académique — la grande, naturellement — pour voir ses ouvrages accueillis auprès du public. Il est depuis longtemps en faveur jusque dans les collections à bon marché. Succès mérité d’ailleurs.

Mais on n'a peut-être pas attaché autant d'importance à ses récits de premier ordre de guerre maritime qu'à la plupart de ses romans.

Flammarion vient justement de rééditer en partie son livre : Combats et batailles sur mer, écrit en collaboration avec Paul Chack. Cette nouvelle édition a pour titre : Sur Mer 1914, (1) et contient les deux récits de la résistance victorieuse de Papeete aux deux croiseurs cuirassés allemands Scharnorst et Gneisenau le 22 septembre 1914 et le combat où l’Emden fut coulé par le Sydney.

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* *

Ce dernier épisode est trop connu pour que nous en parlions ici. Il fut conté en, détail dans le livre de Paul Chack : l’Emden… Nous reproduisons une page du premier récit, moins connu, mais qui n’en mérite pas moins de , en engageant nos lectures à lire en entier ce beau livre.

Deux navires en vue

Deux très grands navires qu'on …ve dans le Nord Ouest... Du premier coup d'œil, Destremau les a reconnu : les deux mâts égaux, les trois cheminées pareilles, l'étrave à éperon... pas de doute, ce sont les deux croiseurs cuirassés allemands de l'Est-Asiatique : Scharnhorst et Gneisenau. …e vent du nord était bien vent de …re.

Le Scharnhorst et Gneisenau, en fait de croiseurs cuirassés, rien n’est plus formidable au monde ! Par la vitesse, par l’armement, par la cuirasse, le Scharnhorst et le Gneisenau ne le cèdent à nulle unité flottante, sauf aux irrésistibles …Inoughts et à leurs frères, les croiseurs de bataille, — d'ailleurs deux fois plus énormes et trois fois plus coûteux. … devant l’agression de ces géants, exactement comme serait un enfant … devant l'attaque de deux guerriers … de toutes pièces.

Destremau, très calme, n'en prend,

moins, dans l'instant, toutes les

es utiles. Et d'abord, il téléphone …C. de Papéété, où se tient le second de la Zélée ; « Barbier, faites sauté les balises de l'alignement d'entrée, mettez le feu au dépôt de charbon. … rendez-vous à bord de la avec dix hommes ; allumez les feux, …t en pression, jetez-vous sur le … des croiseurs allemands qui se …tera dans la passe, en l’abordant de travers. Si vous n'avez pas le temps d'appareiller avant qu'ils entrent, … vous sauter au milieu de la passe pour les enfermer et rendre leur sortie impossible ».

Réponse : « Entendu et merci. Tout … ».

Et maintenant, Destremau calcule ses chances. Il a quatre canons de 65 et un de 100 ; c'est-à dire zéro en chiffre. L’ennemi amène seize grosses pièces de 210 et douze assez grosses 150. De quoi couler bas une escadre. Et l’escadre anglaise de l'amiral Cradock s'en apercevra. Beaucoup de gens, s'ils commandaient ici, se rendraient sans combattre. Ainsi ont fait les chefs allemands de Samoa et de la Nouvelle Guinée.

Mais Destremau hausse les épaules. À côté de lui, voici venir des Maoris avides de nouvelles :

— O Tomana, quels sont ces navires ?

Destremau ne ment pas :

—Ce sont deux gros vaisseaux de guerre, plus grands et plus forts que tous les vaisseaux de guerre français qu'on ait jamais vus devant Papéété. Tout de même, ce soir, le pavillon tricolore de France continuera de flotter sur Tahiti, j’en donne ici ma parole !

Et un Tahitien, fils de vieux guerriers, répond :

— O Tamana, nous les homme d'ici, t'aiderons. Et si les ennemis arrivent jusqu’à terre, nos sagaies travailleront à côté de tes baïonnettes...

Ainsi la France sait, outre-mer, se faire aimer.

Voici la batterie, — la batterie des quatre 65 et du 100 m/m. L’enseigne Charron, grand garçon grave, qui rit rarement, en dépit de ses vingt-cinq ans, salue, le chef.

— Charron, vous ouvrirez le feu par salves lentes sur le croiseur de tête. Cessez le feu dès qu'il montrera ses couleurs Ils sont, à présent, trop loin pour être vulnérables. Inutile donc de leur révéler l'emplacement des pièces. Mais, s ils s'engagent dans la passe, feu de nouveau et jusqu'au bout !

Les croiseurs maintenant sont à portée. Ils courent parallèlement à la côte, à quelque 2 000 du récif.

La batterie tire. Immédiatement, Scharnhorst et Gneisenau arborent le petit pavois d'Allemagne1.- Trois salves seulement, et, selon les ordres reçus, la batterie cesse le feu. Déjà les Allemands sont dans l'axe de la passe. On distingue, à leurs bossoirs, leurs canots à vapeur dont les cheminées fument. Évidemment, les compagnies de débarquement sont prêtes à l'assaut. L’instant est décisif. Destremau, en hâte, quitte la batterie et court vers la ville. Charron rouvrira le feu dès qu’il faudra, toujours selon les ordres : les 65 m/m ne peuvent rien contre les cuirasses des croiseurs, mais ils pourraient beaucoup contre des embarcations chargées de matelots en armes.

Tiens ! Changement de décor ! Les Allemands, tout d’un coup, sont venus sur la droite et défilent le long du récif, sans oser risquer l’attaque de vive force, et leurs mâts se couvrent de signaux...

BOMBARDEMENT

Le canon s’est tu. Silence. Et, même, silence absolu. Destremau, qui vient d’atteindre les premières maisons de la ville, s’arrête net, et s’étonne; Devant lui, c’est le désert.

Papéété est abandonnée, mais, là, ce qui s’appelle abandonnée ; plus une âme. Au premier coup de canon, la panique s’est déchaînés sur la ville : tout le monde a fui à l’intérieur. Vous entendez bien ! tout le monde... à la seule exception, naturellement, des hommes mobilisés qui, eux, sont à leurs postes. Mais le reste, Européens, étrangers, métis, Chinois, indigènes, fit ! plus rien. À peine quelques enfants oubliés, trop faibles pour courir, geignent- Et les gendarmes, trop rares, ont renoncé à retenir les fuyards.

Maisons vides, portes ouvertes, lumières allumées : on s’est sauvé si vite qu’on a oublié d'éteindre. Indiscutablement, le sang-froid de la population ne doit pas être compté parmi les facteurs qui aidèrent le commandant Destremau à sauver Tahiti.

C'est au point que lui-même, impressionné par cet effarant silence hésite, puis s'inquiète. Et il y a de quoi s’inquiéter. Le téléphone, grand Dieu ! Qui va se charger du central téléphonique ?

Vite à la poste ! Là, heureusement, réconfort.- la demoiselle du téléphone, — nommons-la, et saluons-la très bas !

— Mlle Drollet, une vraie, une noble Française, ne s'est pas sauvée, elle. Elle ne se sauvera pas : elle restera à

son poste, jusqu'au bout, et même sous les obus...

Brève conversation :

— Vous êtes là, mademoiselle ? Toute seule ?

— Mais oui, commandant ! Les autres sont partis…

— Je vais vous envoyer un matelot.

— Oh ! c’est bien inutile : pour les communications militaires, je peux suffire... et pour les communications privées, j'ai comme une idée que les abonnés ne me dérangeront pas aujourd'huil...

Et Destremau ne peut pas s'empêcher de rire.

— Je crains bien que vous n ayez raison, mademoiselle. Bonne chance et merci !

Destremau a traversé la ville. Dans la dernière rue parallèle au rivage, les grands camions destinés au transport des troupes sont prêts. Qui sait, en effet, où I ennemi débarquera ? Réservistes français, volontaires tahitiens, l'arme au pied, attendent...

Et sur le plus haut édifice flotte le plus grand pavillon tricolore qu'on ait pu trouver. Un matelot veille à la drisse, revolver au poing. Quiconque parlera d’amener, quiconque parlera de hisser le drapeau blanc sera exécuté à la

Minute : ordre du chef.

Non loin, dans l'ombre des grands bouraos, et bien dissimulées aux vues du large, les troupes ont formé les faisceaux : Lebreton et sa section cycliste ; Barnaud et la compagnie de la Zélée ; Lorenzi et ses marsouins.

(à suivre)

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1  Le petit pavois, qui est pavois de combat, comporte, en plus de la grande enseigne de l'arrière, un pavillon national en tête de chaque mât.

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