1918 - Semeur Tahitien

Semeur tahitien de l’Archidiocèse de Papeete du décembre 1918 pp.948-949

LETTRE PASTORALE

de

Sa Grandeur Mgr. le Vicaire Apostolique

Athanase, André, Étienne Hermel

Par la miséricorde divine et l’autorité du saint-siège Apostolique,

évêque de Casium et Vicaire Apostolique de Tahiti

Au Clergé et aux fidèles de Notre Vicariat, Salut et bénédiction en Notre Seigneur JÉSUS-CHRIST.

Nos très Chers Frères,

La joie et la fierté de nos cœurs sont indicibles : nous sommes victorieux de la force la plus colossale que le monde ait jamais connue. Le Dieu des armées, après nous avoir châtiés pour nos fautes, bénissant enfin le génie de nos chefs et la vaillance de nos soldats et exauçant les supplications incessantes de ses enfants, nous a donné la victoire si longtemps attendue mais complète et définitive.

Nos cœurs sont à la joie comme jamais et le « TE DEUM » s’échappe, vibrant, de nos poitrines. C’est juste.

Toutefois, N.T.C.F. de tels évènements ; quatre ans de la plus atroce des guerres et des plus cuisantes souffrances en Europe, doivent laisser de profondes traces, non seulement dans notre mémoire, mais surtout dans notre CONDUITE, sous peine d’être justement accusés d’impardonnable et d’inguérissable légèreté. Ah ! puisse-t-il, dans notre France , surgir un nouveau BOSSUET, pour buriner, en termes immortels, les LEÇONS de ces évènements !

I. Et d’abord : première leçon : N’oublions jamais ceux qui sont morts pour que nous vivions.

Quel respect, quelle admiration, quelle gratitude, quel immense amour, le sang versé de millions de soldats français et alliés doit éveiller dans nos cœurs ! O morts pour la patrie, morts innombrables, morts sublimes, héros qui avez été nos sauveurs en nous faisant un rempart de vos poitrines sanglantes, et vous surtout, enfants chéris de notre Tahiti, fils si aimés de vos pères et mères, couchés dans votre printemps par la rafale meurtrière, fleurs humaines prématurément fauchées par la mitraille, grappes viriles broyées au pressoir des canons, engloutis tout vivants dans la tranchée, ou bien, en dépit des soins qui veillaient à votre chevet, tordus par la douleur sur un lit d’hôpital et lentement ruinés par la fièvre homicide, vous vivrez toujours dans nos cœurs, entourés d’hommages et surtout de PRIÈRES.

Déjà N.T.C.F., il y a deux ans, Nous vous avions informé que Nous avions versé une certaine somme à une œuvre qui a pour but de faire célébrer des messes quotidiennes et perpétuelles pour les soldats morts au champ d’honneur. Ainsi des suffrages continuels pour les âmes de vos bien-aimés morts au service de la patrie s’élèveront vers le ciel et imploreront pour eux « le rafraîchissement et la paix éternelle. »(1)

Nous voulons faire plus encore, Nous voulons mettre sans cesse sous nos yeux, pour les rappeler sans cesse à vos prières, les noms de catholiques du Vicariat de Tahiti, morts pour la France.

Nous avons donc décidé de faire graver en lettres d’or, sur des plaques de marbre noir, qui seront placées dans la Cathédrale les noms de nos chers martyrs de la patrie, avec la persuasion que jamais, N.T.C.F., notre reconnaissance ne pourra dresser sur leurs tombes des trophées assez hauts pour chanter aux siècles qui suivront leurs faits d’armes glorieux.

II. Il est une autre leçon encore, que parmi mille autres, Nous voulons tirer pour votre édification.

- Un soldat jeta, sur une tranchée de Verdun, ce mot de folie sublime que l’histoire répètera : « Debout, les morts ! » Ce mot, N.T.C.F., les morts le retournent aux vivants. Ils nous crient de leurs tombes : « De bout ceux qui vivent ! – Sursum corda. – Nous sommes défunts, nous, defuncti, c’est-à-dire selon la force de l’expression latine, sortis de fonction après nous être acquittés de notre tâche : à votre tour d’entrer en fonction, d’achever le rêve pour lequel nous sommes morts ! »

Oui, N.T.C.F., Sursum corda, Debout les vivants ! Craignons à nouveau la divine colère si un tel cataclysme ne nous a rien appris, si tant de leçons venues des hommes et du ciel restent stériles ; si demain, nous nous retrouvons toujours les mêmes hommes de divisions et de mesquines querelles, d’égoïsme et d’intérêt, d’indifférence et de négation religieuses, de vie médiocre et de basses passions ; si nous n’avons compris que la vie est chose sérieuse, qu’elle doit être remplie de devoirs austères, d’immolation, de mortification, de charité, de foi, en un mot, de vertus sacrées.

Sursum corda - Debout les vivants ! Après ces catastrophes d’apocalypse, telles qu’il n’y en pas eu encore de comparables dans l’histoire, nous ne pouvons plus regarder le monde du même œil que par le passé, nous n’avons plus le droit de nous laisser prendre, selon l’expression de nos Saints Livres « d’ensorcellement de la bagatelle. » (2)

Nous devons comprendre, - grandes leçon ! – que l’égoïsme et l’amour des jouissances retombent en pluie de sang sur les peuples ; que les progrès de la science ne suffisent pas à faire de la terre un paradis, mais au contraire, qu’employés par des mains criminelles, ils en font un enfer ; que l’homme s’égare dans ses calculs, lorsqu’il en exclut le Souverain Maître ; qu’il faut donc porter son cœur et ses amours plus haut que la terre et plus loin que le temps, jusqu’à Dieu et l’éternité ; que, si l’on veut que le droit triomphe de la force, il faut mettre à la base des sociétés, l’accomplissement fidèle des lois divines ; que tout ce qui fait la grandeur de l’homme : la douleur, le devoir, l’héroïsme, la sainteté n’a de sens que pour ceux qui admettent l’au delà, l’infinie justice de Dieu et l’éternel bonheur des âmes à tout jamais réunies en Lui.

Oui, N.T.C.F., la grande leçon chantée par les tombes de nos héros, c’est celle de notre sainte Liturgie : Sursum corda : En haut les cœurs. Le temps passe, l’éternité vient. Quelles que soient les larmes, quels que soient les sacrifices, le ciel en est le prix et il en vaut la peine.

À ces causes, le Saint Nom de Dieu invoqué, Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :

Article I. Une cérémonie officielle d’actions de grâces à laquelle seront convoquées les autorités civiles et militaires aura lieu à la Cathédrale. On y chantera le « Te Deum » avec le verset et l’oraison, - et le « De Profundis » pour les soldats morts.

Dans toutes les églises du Vicariat, les prêtres organiseront une semblable cérémonie.

Article II. Désormais les prêtres ne diront plus à la messe l’oraison « Tempore belli » ; ils y substituerons, aux jours permis par la Rubrique, jusqu’au 31 décembre, l’oraison « Pro Gratiarum actione ».

Au Salut, on ne chantera plus le « Parce Domine » et les invocations prescrites pour la durée de la guerre.

Article III. Les familles qui pleurent des soldats catholiques mort dans la grande guerre devront en envoyer les noms, le plutôt possible, au R.P. Célestin Maurel, pro-vicaire général, chargé par Nous de les centraliser.

Les fidèles qui voudront coopérer au souvenir élevé dans Notre cathédrale, en l’honneur de nos soldats défunts, remettront leur offrande au missionnaire de leur district.

Article IV. Une communion générale d’actions de grâces sera organisée dans chaque district au jour désigné par le prêtre de l’endroit.

Et sera Notre présente Lettre Pastorale, lue au prône dans toutes les Églises du Vicariat, le Dimanche qui suivra sa réception.

Fait à Papeete, au jour de l’annonce officielle de la victoire, le 12 novembre 1918.

† ATHANASE

évêque de Casium

Vicaire apostolique de Tahiti

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