Jaussen - Vaschale 1877-1915

Panthéon du Vivarais d’Henry VASCHALE – 1877-1915

[Archives départementales – Privas – Ardèche – Cote 1 J 202-206]

Mgr Tépano Florentin Jaussen

Évêque d’Axieri
premier vicaire apostolique de Tahiti

Le 9 septembre 1891, mourait au fond de l’Océanie un enfant de l’Ardèche, parvenu par son intelligence et ses vertus à la dignité épiscopale : nous avons nommé Mgr Jaussen, évêque d’Axiéri, et premier vicaire apostolique de Tahiti.

Ses funérailles furent faites au milieu d’un concours très sympathique de la population chrétienne de cette île océanienne et de tout le personnel officiel indigène et français.

Voici la copie textuelle de son acte de naissance :

« L’an mil huit cent quinze, le douze du mois d’Avril à quatre heures du matin, pardevant nous Esprit Leane, officier de l’état civil de la commune, canton de Largentière, département de l’Ardèche, est comparu André Jaussent, âgé de trente-quatre ans, profession de cultivateur demeurant au lieu du Perrier, Commune de Rocles, lequel nous a présenté un enfant du sexe masculin, né le jour et heure que dessus au Perrier, Commune de Rocles, enfant légitime de lui déclarant et de Marie Allègre, son épouse au dit lieu et susdite commune, auquel enfant le dit comparant a déclaré donner les prénoms de Étienne Florentin ; les dites déclarations et présentation faites en présence de Étienne Allègre, âgé de dix-neuf ans, profession de cultivateur, demeurant demeurant à la Sauvette, son oncle et de Simon Ranc, âge de soixante quatre ans, profession de greffier demeurant à la maison commune dudit Rocles, et ont les déclarant et les deux témoins signé l’acte ci-dessus, après qu’il leur en a été fait lecture. »

La famille Jaussen était une de ces familles patriarcales chez lesquelles la foi et la piété étaient héréditaires. Trois oncles du jeune Florentin, ainsi qu’on l’appelait, appartenaient à la Congrégation des S. S. Cœurs, dite de Picpus, et deux de ses tantes avaient également embrassé l’état religieux dans la branche des filles du même institut.

André Jaussen et Marie Allègre moururent jeunes, laissant quatre enfants en bas-âge : deux garçons et deux filles. Le grand père de ces enfants, déjà bien avancé en âge, se retira avec ses deux petits-fils dans une maison de la Congrégation de Picpus et plaça ses deux petites filles dans une autre des religieuses de cet ordre. Ils ont tous les quatre embrassé la vie religieuse dans l’ordre où ils avaient été élevés. Les deux filles étaient, en 1883, dans la maison des S.S. Cœurs à Alençon. Le fils aîné connu sous le nom de Père Frumence était à la même époque prieur de la maison-mère de Picpus à Paris.

En 1823, Florentin, le plus jeune, celui qui nous occupe, orphelin, était élevé à Sarlat par son oncle Bernard Jaussen. Le 20 août 1826, il faisait sa première communion. Il fit ses études classiques dans les collèges de la Congrégation d ePicpus à Cahors et à Sarlat ; ses études ecclésiastiques au grand séminaire du diocèse de Périgueux qui était pour lors fixé à Sarlat (1833 à 1836).

Après avoir terminé ses études ecclésiastiques, trop jeune encore pour recevoir la prêtrise, Florentin Jaussen fut employé comme professeur à l’institution ecclésiastique Pergot à Azert, près de Perigueux.

Le 19 décembre 1840, il fut ordonné prêtre à Tulle, par Mgr Maillot de Vachères, puis il passa une année à Toulouse, en qualité d’aumônier de l’Institution Pech, et tout en donnant lui-même des leçons, il suivait les cours des Facultés. C’est là, le 11 mars 1842, qu’il reçut son diplôme de bachelier es lettres.

Voici un certificat qui fait le plus grand honneur au jeune abbé Jaussen :

« Nous, supérieur du grand séminaire de Sarlat, diocèse de Perigueux, avons l’honneur de certifier que M. l’abbé Jaussen Florentin Étienne, originaire de Rocles, près Largentière ‘Ardèche) a été élevé dans notre établissement ; qu’il a toujours mérité de bonnes notes sous tous les rapports, que sa conduite, ses talents, son zèle et la douceur de son caractère lui ont toujours acquis l’estime et l’affection de ses supérieurs et de ses collègues, dans les diverses maisons d’éducation où il a été placé depuis sa sortie de notre maison.

Nous faisons des vœux bien sincères pour que M. l’abbé Florentin soit heureux partout où il sera, et nous nous plaisons à certifier comme une chose certaine d’avance qu’il répondra à l’attente des chefs de maison d’éducation qui, à la vue de cet écrit, s’empresseront de réclamer ses services.

Fait à Sarlat, le 1er novembre 181.
Mazet prêtre. »

En 1843, retour de Toulouse, passant dans on pays natal, notre futur évêque disait à une de ses tantes : « Je me faire religieux, parce que si je voulais suivre la carrière de professeur, je gagnerai trop d’argent et cela pourrait me perdre. »

La même année il partit pour Paris où il fut, pendant quelques mois, professeur à l’institution Vernost, 20 rue du Regard, et en 1844, il entra au noviciat de Picpus à Vaugirard.

Le 19 juillet 1845, il fut envoyé par ses supérieurs au Chili, comme professeur au collège que les pères de cette congrégation dirigent à Valparaiso. Il partit de Brest sur le Creisquear.

Le 12 juillet 1847, il était nommé maître des novices.

Le 9 mai 1848, il fut élu vicaire apostolique de Tahiti et sacré évêque titulaire d’Axiéri le 28 août à Santiago, par Mgr Valdivieso.

Mgr Jaussen prit trois prêtres avec lui et se rendit aussitôt au chef-lieu de sa mission. Le 16 février 1849, il arrivait à Tahiti, sur l’Alcmène et n’y trouva pour tout clergé qu’un vieux missionnaire remplissant les fonctions d’aumôniers auprès de l’escadre française.

À trois cents lieues de là cependant aux îles Gambiers, il y avait une chrétienté très florissante, dirigée par deux missionnaires, il se hâta d’aller la visiter. Pendant plusieurs mois, il put se croire dans un petit Paraguay, tout étaient admirables, la ferveur des néophytes et la pieuse industrie de leurs pères spirituels. Malheureusement c’était le seul noyau catholique que possédait son immense vicariat de plus de quatre cents lieues d’étendue.

Deux missionnaires se dirigèrent alors sur les Paumotu, tandis que Mgr Jaussen reprenait le chemin de Tahiti.

L’hérésie les avait précédé. Comme on le pense bien, elle n’avait rien omis pour éloigner le catholicisme de ces parages. Mgr Jaussen répondit aux calomnies par la conduite d’un apôtre. On le vit s’abaisser jusqu’à faire la classe aux petits enfants, leur apprenant à épeler les mots et à balbutier les premières pages du syllabaire.

Il s’applique beaucoup à acquérir la connaissance de la langue tahitienne ; c’est par là qu’il commença sa vie de missionnaire. Il n’y avait alors ni grammaire ni dictionnaire pour faciliter la connaissance de cette langue. Il fallait que chaque nouveau venu conquit par des efforts inouïs, l’avantage de pouvoir converser avec les indigènes. Pour arriver à ce résultat, notre éminent compatriote se mit à vivre avec les Canaques, écrivant chaque mot qu’il entendait, et se le faisant expliquer comme il pouvait. De cette façon, il arriva bientôt à mieux posséder la langue tahitienne que les missionnaires plus anciens que lui.

Après avoir surmonté ces premières difficultés, et une fois qu’il fut à même de se bien faire comprendre, Mgr Jaussen entreprit d’abréger le travail pour les nouveaux missionnaires. Il rédigea toutes les observations, toutes les remarques qu’il avait faites et composa une grammaire et un dictionnaire. La grammaire, simple, claire et méthodique est très appréciée par les savants du pays.

Grâce à ce laborieux travail, qu’il compléta plus tard d’un catéchisme et de plusieurs autres petits ouvrages, le missionnaire peut peut aujourd’hui en moins de trois mois, connaître assez la langue tahitienne pour faire le catéchisme et remplir son ministère.

Mais tout en faisant ce travail, Mgr Jaussen établissait dans chaque district ou paroisse une école qu’il faisait lui-même ou qu’il faisait faire  par un missionnaire, jusqu’à ce qu’il eut formé un indigène pour le mettre à la tête des autres. Plusieurs de ces écoles étaient à sept ou huit lieues de sa résidence épiscopale ; il s’y rendait chaque jour à cheval pour les visiter. Aujourd’hui toutes les écoles sont dirigées par des indigènes les plus intelligents et surveillés par des missionnaires.

Pour arriver à ces résultats, Mgr Jaussen eut à vaincre bien des difficultés et bien d’obstacles que lui suscitaient les gens du pays, les ministres protestants et même les gouverneurs français.

L’île de Tahiti qui a de 40 à 50 lieues de tour, contient une quinzaine d’églises, dont six en pierre, construites par Mgr Jaussen ; les autres sont en bois. Il a travaillé longtemps pour avoir une cathédrale et à la suite de son dernier voyage en France, en 1861, il était parvenu au but des ses désirs. Il avait réuni les fonds nécessaires, rassemblé tous les matériaux. Les murs s’élevaient déjà à trois ou quatre mètres de hauteur lorsque M. de la Richerie, alors gouverneur de Tahiti, cédant aux sollicitations des ministres protestants et des autres ennemis de l’évêque, donna l’ordre de faire arrêter les travaux, fit examiner les constructions par une commission de gens hostiles aux catholiques et bientôt ordonna la démolition de ce qui avait été fait, sus prétexte que la construction n’était pas dans les conditions voulues, que les murs n’étaient pas solides et d’autres raison que l’omnipotence du gouverneur dans ce pays rendit excellente.

On démolit donc tout ce qui avait été fait mais il fallut jouer la mine pour arracher les fondements. Ces taquineries firent renoncer Mgr Jaussen à son projet et pendant bien des années, il n’eut pour cathédrale qu’une pauvre église en bois. Cependant le gouvernement a fini par lui faire bâtir, sur l’emplacement de la cathédrale par lui commencée, une petite église en pierre.

Vrai  bienfaiteur du peuple, il ne se contentait pas d’évangéliser les pauvres insulaires, il les civilisait, et leur enseignait à tirer parti des ressources que la nature, trop souvent avare à leur égard, leur avait cependant ménagées.

Il avait acquis une grande influence dans le pays. Les Tahitiens l’aimaient et le vénéraient à l’égal d’un père. Les princes le consultaient pour leurs affaires ; la reine Pomaré le visitait souvent, lui demandait conseil et avait en lui, comme médecin homéopathe, la plus entière confiance.

Le jour de ses Noces d’or, tout Tahiti se mit en frais de réjouissances ; les délégations accoururent de toutes parts. Aussi la nouvelle de sa mort causa-t-elle une douleur universelle. Le Conseil général suspendit aussitôt le cours de ses délibérations, vota au nom de la colonie les crédits nécessaires aux funérailles du vénérable Prélat, et leva immédiatement la séance en signe de deuil.

Bien qu’en majeure partie protestante, la famille royale, représentée par le prince Hinoï, vint déposer au pieds de l’illustre défunt l’hommage de ses vifs regrets et de sa profonde vénération.

Les obsèques aussi grandioses que touchantes, qui eurent lieu le 9 septembre 1891, firent un vrai triomphe pour la religion catholique. Elles groupèrent autour de la dépouille mortelle du premier vicaire apostolique de Tahiti tout ce que la colonie a de plus distingué dans l’Administration, la magistrature et l’armée.

Au cimetière, M. Cardella, président du Conseil général et maire de Papeete, prenant la parole au nom de la population de Tahiti, paya un tribut de reconnaissance à la mémoire de ce serviteur de Dieu, qui fut en même temps « citoyen sans reproche et patriote éclairé ; qui ne cessa jamais de faire marcher d’accord ses convictions religieuses avec ses devoirs d’enfant de la France ».

M. le gouverneur Lacascade, à son tour, dans un langage plein de noblesse, fit l’éloge du civilisateur, du patriote et du savant, et termina en ces termes : « La mort de Mgr Tepano laisse un vide profond et un grand deuil parmi nous ! Au nom de la colonie et au nom de la France, je lui dis une dernière fois : Merci et Adieu ! »

Tels sont les hommages officiels rendus à la mémoire de ce « citoyen sans reproche » notre illustre compatriote.

Pendant son épiscopat, Mgr Jaussen a fait deux voyages en France pour les intérêts de sa mission : le premier en 1854 et le second en 1861.

À son premier voyage, il vint passer huit jours à Rocles, son pays d’origine, et ces huit jours, il les employa en véritable apôtre. C’était en carême, il donna aux habitants de la paroisse une retraite qui produisit les plus grands fruits. Durant ces huit jours, il était continuellement en chaire ou au confessionnal. Ce temps fut pour les habitants de Rocles une fête continuelle ; ils ne quittèrent pas leurs habits du dimanche.

À la suite de cette première visite, Mgr Jaussen procure à la paroisse de Rocles un beau maître-autel en marbre, comme souvenir de sa visite. Plus tard, il aida de ses deniers à l’établissement d’une école de frères maristes dans cette même paroisse.

Lors de son second voyage, il n’oublia pas encore son pays natal ; après être resté quelques jours à Rocles, il vint à Largentière, et nous nous rappelons l’avoir vu un Dimanche célébrer pontificalement la grand’messe dans la belle église paroissiale, presque trop petite pour contenir la foule des assistants qui étaient venus témoigner de leur sympathie pour leur éminent compatriote.

Son séjour en France fut beaucoup plus long cette fois. Il partit de Tahiti en février 1861, se rendit d’abord à Rome et ne quitta la France que le 20 juillet 1863.

Voici la copie textuelle d’un document dont nous possédons l’original et qui prouvent que Mgr Jaussen avait pris ses dispositions pour faire une absence de près de trois années : il rentrait à Tahiti en février 1864 :

« Nous Tepano Florentin Jaussen, Évêque d’Axieri, Vicaire apostolique de Tahiti déclarons par les présentes et confirmons le R.P. Clair Fouqué comme Provicaire apostolique de Tahiti, et en vertus des pouvoirs à nous concédés par le Saint Siège voulons qu’il conserve ses droits de Provicaire après notre mort jusqu’à la nomination d’un nouveau Vicaire apostolique.

En foi de quoi nous avons écrit les présentes et signé de notre main, à Paris le quatorze septembre mil huit cent soixante-un.

Tepano Jaussen, év. D’Axieri
Vic. Apost. De Tahiti »

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