2011 - Delbos

Le couvent de Rouru

Mangareva

(1836-1903)

Fragments d’histoire

 

Le récit ci-dessous est tiré du livre de DELBOS Jean-Paul, La Mission du bout du monde, 3ème édition revue et augmentée - 2011 - p.208-242.

LES ORIGINES

S'il n'y a pas eu, à proprement parler, de « fondation » du « couvent » de jeunes filles de Rouru, il y a eu un « fondateur », le Père Cyprien Liausu, ss.cc., un des moins connus des pionniers de l'évangélisation des Gambier. C'est le P. Laval lui-même très connu parce qu'il a beaucoup écrit qui, dans ses lettres, lui donne ce titre de « fondateur » avec parfois avec un brin d'ironie.

Le Père Cyprien Liausu, ss.cc. avait 33 ans quand il est arrivé aux Gambier en 1835. Il était né dans le département du Lot, près de Cahors, dans un village où son propre frère avait fondé, en 1820, 16 ans avant Rouru, une congrégation de religieuses qui est toujours active en 2010. Un exemple dont s'est certainement inspiré Cyprien.

Cyprien Liausu, qui avait fait quelques études de médecine, s'est surtout fait remarquer tout de suite par ses qualités de défricheur. C'est lui qui le premier a cultivé la canne à sucre et les giraumonts (dès 1836). C'est lui qui a planté les premiers cocotiers sur le récif de Tekau.

Très vite, il est devenu l'ami du roi Maputeoa dont il obtient la compréhension et la bienveillance. Il est vrai que Cyprien Liausu, à la différence de ses confrères qui ont habité dans différentes îles, n'a jamais quitté son presbytère de Rikitea pendant tout son séjour à Mangareva (1835-1855). Nommé supérieur après le départ du P. Caret, ss.cc. pour les Marquises, en 1839, il est le cosignataire et peut-être le coauteur de l'acte de demande de protectorat adressé à la France par Maputeoa, le roi de Mangareva, en 1844 (l'annexion définitive n'aura lieu qu'en 1881 par le Gouverneur Chessé ; elle sera officialisée par la promulgation du Code mangarévien à Rikitea, le 23 février 1881).

Le P. Cyprien a beaucoup contribué à l'amélioration de la santé des populations, au développement des tisseranderies, mais son « œuvre » majeure reste Rouru.

* Comment l'emplacement du couvent a-t-il été choisi ?

Pour un « couvent » de jeunes filles, l'éloignement du village a certainement été un critère. De plus à cet endroit, le terrain forme un plateau assez vaste, estimé à plus de 2 ha, propice à la culture. La situation présentait donc des avantages, en particulier un climat plus frais, ici, au pied du Mt Duff, qu'au village au bord de la mer. Dans une lettre de 1851, Henry Mayne, professeur, laïc, envoyé par la congrégation SS.CC. pour enseigner à l'école des garçons décrit les lieux en ces termes : « C'est sur un plateau rocheux, légèrement incliné, dominé par le versant oriental, presque vertical du Mt Duff qu'est construit le couvent, caché par les plantations d'arbres à pain, d'orangers et de cocotiers. En descendant du couvent vers le village de Rikitea, on rencontre, sur le même plateau, le cimetière et, du cimetière, on suit un grand et beau chemin bien pavé de 1 500 m environ. C'est encore une des merveilles de l'île ».

Est-il hasardeux d'imaginer que le plateau de Rouru a été choisi aussi parce qu'il était « le quartier des riches », sanctuarisé par les anciens Mangaréviens ? Rien ne permet de l'affirmer si ce n'est une certaine logique de l'action évangélisatrice : de même que la cathédrale St Michel a été bâtie sur l'emplacement même du grand temple, de même le couvent des Sacrés Cœurs aurait été installé dans un lieu réservé à l'élite, à la caste des chefs et des prêtres.

Malgré la beauté du lieu, on s'est rendu compte progressivement des inconvénients sérieux du site. Son aménagement ayant coûté beaucoup d'efforts, il n'était pas question de l'abandonner. On a alors construit ce que l'on a appelé le « couvent du dimanche » près de l'église, au bord de la mer. On en trouvera les raisons dans les pages qui suivent.

Le décor est planté. C'est là que le couvent de Rouru est né et a prospéré pendant quelque temps.

ROURU, HISTOIRE D'UNE COMMUNAUTÉ

Rouru (officiellement « couvent des Sacrés Cœurs ») : une soixantaine d'années d'existence (1836-1903), à peine plus d'un demi siècle, moins que la durée de vie de la dernière pensionnaire du couvent morte à 70 ans en 1903. C'est à la fois très peu et beaucoup.

Très peu si l'on compare aux couvents ou institutions les plus connus qui, bien souvent, sont plusieurs fois centenaires. Mais c'est beaucoup si l'on rapporte cette durée aux chiffres de la population de l'archipel qui n'a jamais dépassé 2 500 personnes pour tomber même à 400/500 à la fin du XIXè et au début du XXè siècle... Si l'on s'en tient aux seules considérations démographiques, Rouru avait donc un très lourd handicap, qui d'ailleurs n'a cessé de s'alourdir avec les épidémies, les défections et les effets des disettes. Et cependant Rouru, malgré son état actuel de ruine avancée, laisse deviner la force de conviction, la masse d'efforts et d'énergie vitale qui ont été déployés en un si court laps de temps. Le vaste enclos, les nombreuses constructions, les murs solides et bien bâtis sont les témoins et la preuve d'une vaillance et d'un dévouement dignes des plus grandes œuvres. Telles sont en résumé les constatations que permettent de faire la succession d'événements rapportés dans les pages qui suivent.

Ces « fragments d'histoire » ne sont pas destinés à déboucher sur une thèse qui fournirait une interprétation générale de l'expérience de Rouru. Ils ne sont rassemblés que pour montrer que Rouru a eu une identité affirmée, une existence cohérente obéissant à une logique bien définie en vue d'un objectif clair de haute valeur spirituelle.

* À quelle date remonte la fondation du couvent de Rouru ?

Avant de répondre à cette question, il faut situer cette œuvre dans l'ensemble du programme que devaient réaliser les missionnaires. Ils avaient une quintuple mission : 1° baptiser la population et « renverser les faux dieux » ; 2° soigner les malades ; 3° aider les familles à mieux vivre, y compris matériellement ; 4° éduquer les jeunes ; 5° construire pour Dieu (églises) et pour ses serviteurs (presbytères). Toutes ces tâches étaient prioritaires et la correspondance des Pères nous révèle que toutes ont été entreprises dès les premières semaines et menées de front. Certes les ouvriers étaient nombreux (1 prêtre pour chacune des 4 îles habitées) mais l'ouvrage était considérable. La mise en place d'un couvent (non prévue dans les objectifs) ne pouvait donc être qu'une activité marginale, ce qui explique que les lettres n'en fassent guère mention. Néanmoins, il apparaît que l'initiative a été lancée dès le début de l'action missionnaire, et l'importance prise par le projet montre qu'il n'a pas été considéré comme secondaire.

En fait, très vite, le Père Cyprien Liausu (arrivé à Mangareva le 9 mai 1835) a observé que le comportement des jeunes filles de l'île et leur goût pour le travail méritaient d'être encouragés et orientés vers une forme de vie s'inspirant de l'esprit religieux. Trois témoignages le confirment :

Le premier n'est pas directement lié au projet Rouru mais il fournit un indice intéressant. On le trouve dans le journal du Père Désiré Maigret, ss.cc. arrivé à Mangareva en même temps que Cyprien Liausu (il sera nommé évêque des Sandwich (Hawaii) le 1er en 1847 et il le restera jusqu'en 1882). Dans son journal, Désiré Maigret note à la date du vendredi 7 septembre 1836 : « M. Cyprien accompagné d'une soixantaine d'enfants vient chercher du taro dans la baie où je me trouve (dans l'île de Taravai) ». Or, dans une longue lettre de 1838, le Père Cyprien reprend et développe cette même démarche dans laquelle on trouve en germe son projet Rouru : « Les garçons étaient d'un côté et les filles de l'autre. Ce terrain qui fut tout défriché, contre toute mon espérance tant l'ouvrage était grand, ce terrain fut planté en taro ».

Le deuxième témoignage est celui du Père Caret qui écrit, dans une lettre de 1841 : « Ce fut de leur propre mouvement que les jeunes filles de l'archipel prirent cette détermination (prier et travailler ensemble)... Il y a près de 5 ans qu'elles vivent ainsi de la manière la plus édifiante ». « Il y a près 5 ans… »… c'est-à-dire en 1836.

Le troisième témoignage est celui du Père Laval, ss.cc. qui, dans ses « Mémoires », au chapitre consacré aux événements de 1836, livre le commentaire suivant : « Ce fut au début de ces plantations que se forma le couvent de Rouru, ou “Communauté des Sacrés Cœurs”. Le Père Cyprien s'étant aperçu que c'était les filles qui travaillaient le plus laborieusement continua de les occuper à diverses plantations... Elles finirent par ne plus vouloir s'en retourner chez leurs parents... et alors on leur bâtit une case commune... »

Quelques paragraphes plus haut, le Père Laval signale (sans préciser la date) que les matelots du navire de M. Hébril viennent « rôder autour de nos réunions d'hommes et de femmes où domine la jeunesse des deux sexes, tous occupés à défricher et à planter ». Or Désiré Maigret date l'arrivée du 3 mâts de M. Hébril du 12 juillet 1836...

CHRONOLOGIE

1836  est donc l'année où, selon toute vraisemblance, le couvent de Rouru a commencé à devenir une réalité. L'archipel était quasiment en état de surpeuplement avec près de 2 500 habitants.

1837  Mgr Rouchouze, ss.cc. (1er évêque de Polynésie, « Vicaire apostolique », résidant à Aukena , a fait partie avec le P. Laval et le Père Caret du premier groupe de pionniers de l'évangélisation des Gambier, arrivé à Mangareva le 8 août 1834) écrit dans sa lettre du 27 novembre 1837 : « Presque toutes les jeunes filles de nos îles se sont fait des espèces de couvents où elles veulent vivre en communauté. Dans le principe, M. Cyprien Liausu occupait une quinzaine de jeunes personnes laborieuses à défricher un coin de terre envahi par les roseaux. Elles proposèrent de se construire une cabane qui pût les mettre à l'abri de la pluie. On le leur permit en croyant ne satisfaire qu'un enfantillage. Une fois installées, elles n'ont plus voulu retourner chez leurs parents... Elles s'appellent du nom de sœurs et ne font rien sans demander la permission à celle qu'elles ont choisie comme supérieure. Leur nombre s'est accru jusqu'à 24 et il serait bien plus grand si nous voulions écouter toutes les vocations... Elles exécutent des travaux dont nous sommes tous étonnés. J'ai menacé “le Père Fondateur”, comme nous l'appelons en plaisantant, de l'interdire lui et son couvent, s'il ne modérait l'ardeur et l'activité de leur zèle... Il nous faudrait 3 ou 4 jeunes personnes qui sussent lire, écrire, coudre et filer, en un mot qui fussent en état de servir aux autres de maîtresses »...

1838  En décembre, le Père Caret, de retour de France, voulut se rendre compte par lui-même de la manière de vivre des jeunes filles de Rouru. « …leur établissement est situé sur un plateau qui domine la mer, au pied du grand pic. Là se trouve une cabane assez vaste où elles sont réunies au nombre de trente environ. Leur occupation habituelle est de filer, mais elle n'est pas la seule... Elles ont défriché un terrain assez vaste, où l'on voit croître le coton, les bananes, les haricots, les ignames, les patates douces, les carottes, les choux, etc. Elles vivent comme des religieuses... Elles avaient appris que j'avais conduit des religieuses à Valparaiso, cela leur a donné envie d'en avoir dans leur île. Pourquoi ne les as-tu pas amenées jusqu'ici, me dirent-elles ? »...

1840  Le 12 avril, le Pylade, navire de guerre commandé par Félix Bernard, arrive à Mangareva, avec à son bord le médecin Pierre-Adolphe Lesson qui a publié ses notes de voyage : « Les Pères ont établi dans un endroit retiré, mais gracieux, à peu de distance du village de Rikitea, une cabane qu'ils ont décorée du nom d'école normale et où logent 40 jeunes filles choisies, élevées comme dans un couvent, sous la direction de trois femmes d'un certain âge et instruites... Dans ce petit couvent, car c'en est un dans toute l'acception du mot, on apprend à lire à écrire à ces jeunes filles, vouées aux pratiques journalières de la religion. À leurs heures de loisir, elles doivent chacune se livrer à la culture d'une petite étendue de terrain qui leur est concédée, puis ce sont elles qui récoltent le coton, en épluchent la bourre avant qu'il soit livré à la fabrication des étoffes. L'écriture de ces jeunes filles est généralement bonne... Leur papier ordinaire consiste en feuilles de bananiers séchées pour les débuts, et elles n'ont du papier de chiffon que quand elles sont déjà avancées en calligraphie. M. de La Tour (Frère Urbain) a extrait du brou de noix de cocos le principe astringent avec lequel il compose l'encre à écrire »....

1841 Le 31 mai 1841, un terrible cyclone s'abat sur l'archipel. Le Père Laval écrit dans ses « Mémoires » : « Le Père Cyprien et tout Rouru sortirent de la grande église où ils tentaient de s'abriter et allèrent se réfugier dans la maison du roi en clayonnage et en chaux. La tempête passée, le Père Cyprien avait préféré se retirer à Rouru où leur grande case, également en feuilles, avec deux compartiments, était debout. C'est là que couchèrent quelque temps le Père (Cyprien) et nos trois Frères (Gilbert, Fabien, Henri) en attendant qu'un nouveau presbytère rut élevé à la hâte »...

Lettre du Père Caret à son supérieur général, du 16 juillet 1841 : « À l'époque de la conversion de l'archipel de Mangareva, un certain nombre de jeunes filles se réunirent pour prier et travailler ensemble ; elles sont maintenant (1841) au nombre de 53, entièrement séparées du reste des indigènes... Elles se choisissent une supérieure à laquelle toutes obéissent avec la plus grande ponctualité.... Le lieu qu'elles habitent s'appelle Rouru. Elles rendent déjà de grands services à la Mission : 5 écoles sont tenues par elles dans la grande île (Mangareva) ; dix pensionnaires (élèves de l'école) sont élevées dans leur retraite et dans ce nombre se trouvent toutes les jeunes filles de la famille royale. Le plus ardent désir de Rouru est d'avoir des religieuses (de la Congrégation SS.CC.) pour recevoir leurs instructions et vivre comme elles jusqu'à la mort ».

Lettre d'une pensionnaire de Rouru au Supérieur Général de la congrégation SS.CC. : « Envoie-nous des religieuses ; c'est à toi qu'il appartient de nous en envoyer. Nous les attendons tous les jours ». (s) Gotepereta.

« Cette personne, écrit Cyprien Liausu, est la Supérieure de Rouru. C'est elle qui a écrit ceci d'elle-même - le 16 juillet 1841 » et il ajoute : « L'école a plus de 80 personnes ».

Une autre lettre a été envoyée à la Supérieure générale, à la même date, par Keina. Cyprien Liausu l'a traduite, avec ce commentaire : « Le navire part à l'instant et il faut d'ailleurs que je me rende à Taravai. C'est donc traduit à la hâte mais la traduction est fidèle »...

1842  Le 16 juin 1842, le Père Cyprien fait mention de la « maison d'éducation pour les filles » (école dont s'occupent les sœurs de Rouru) ; d'après Mgr Jaussen (inventaire de 1849), elle mesure 15 pieds sur 20 mais toutes ses mesures sont sous-évaluées.

Lettre de Cyprien Liausu du 16 juin 1842 : « On va faire dans 8 à 10 jours une autre maison de 90 pieds de long à Rouru ».

1843  Lettre de Cyprien Liausu à son Supérieur Général : « Gilbert (Soulié) et Fabien (Costes), deux frères convers ss.cc., ont construit une autre maison de 93 pieds de long sur 25 de large. Cette maison est habitée par les 80 personnes (les sœurs) dont je vous ai parlé et qui n'attendent que votre agrément et celui de Mme Françoise (Françoise de Viart, la Supérieure Générale de la branche féminine de la congrégation SS.CC.) pour être agrégées à la congrégation des Sacrés Cœurs, ss.cc. ».

Le « Marie-Joseph », brick-goélette ramenant Mgr Rouchouze fait naufrage à hauteur des Malouines ou du Cap Horn. Mgr Rouchouze était accompagné de 25 prêtres, frères et religieuses de la congrégation SS.CC. On peut penser qu'une ou plusieurs religieuses auraient été affectées à Rouru. L'évolution du couvent aurait, sans nul doute, pris un autre tour.

1844  Lettre 24 avril 1844 de Sœur Régis Flechel, de passage à Mangareva, en route pour Tahiti où sa congrégation (Sœurs de St Joseph de Cluny) commence à s'installer : « Il y a aux Gambier une espèce de couvent où elles sont, petites et grandes, près de 60 jeunes filles. Elles cultivent leur bien, elles filent et enfin vivent d'une manière plus régulière que les autres. Les pauvres enfants ne se rassasiaient pas de nous voir tant leur joie était grande. Nous leur avons montré à coudre et nous avons taillé et cousu une robe à la reine ».

« Jeudi 26 septembre, le Père Cyprien et moi avons fait le tour de Rouru. J'ai trouvé l'établissement très vaste et très solide ». (Journal de François de Paul Baudichon, ss.cc., futur évêque des Marquises de passage aux Gambier).

1845  Lettre du Père Cyprien Liausu à son Supérieur Général, du 9 janvier 1845 : « L'établissement des jeunes personnes dont je vous ai déjà parlé a une belle maison en pierre. Elle a 95 pieds de long et 30 de large. Dans le haut, se trouve un beau et grand dortoir et le bas est divisé ainsi qu'il suit : un bel appartement qui a une croisée sur le pignon et deux autres dont l'une sur le devant et l'autre sur l'arrière ; c'est la chapelle dans laquelle va se faire l'adoration perpétuelle. Puis c'est la chambre commune également grande. Enfin un autre appartement sur le pignon semblable au premier. Cet établissement regroupe 78 jeunes personnes qui vivent ensemble sous la forme d'une maison religieuse sans qu'elles soient liées par aucun engagement et elles seront toujours dans le même état jusqu'à nouvel ordre de votre part. Le terrain qu'elles occupent ainsi que plusieurs plantations de taro leur sont donnés à perpétuité. Elles sont très intelligentes et, avec cela, simples et très édifiantes. Je vous ai déjà offert cet établissement et je vous l'offre encore. Voyez, mon Très Révérend Père, de concert avec Mme Françoise (de Viart) ce qu'il y a lieu de faire pour le spirituel et pour le temporel ».

Mémoires du Père Laval : « Une crise de dysenterie aiguë éclata, aggravée par un phénomène d'empoisonnement consécutif à la consommation de farine et de biscuits suspects... Rouru se mirent à courir toutes comme des folles !... J'en ai vu à Rouru avoir des crises toutes les quatre ou cinq minutes !... Père, disait une de Rouru au Père Cyprien “cette maladie éloigne de Dieu”. Aux dires de plusieurs, elles éprouvaient des tracasseries de chair épouvantables »...

1846  Dans une lettre du 17 juin 1846, le Père Laval écrit : « …l'épidémie paraît toucher à sa dernière période. C'est une maladie que les médecins des navires de guerre eux-mêmes n'ont pas très bien connue... Même à Rouru, sur 80 jeunes filles qui y étaient réunies au début de l'épidémie, 24 ont succombé ; parmi elles se trouvent la fille aînée du roi et la fille aînée d'un des oncles de sa Majesté »...

Encore que le couvent de Rouru soit à moins d'une 1/2 heure de marche de la cathédrale, on avait jugé bon de construire, près de l'église et au bord de la mer, un couvent du dimanche où les sœurs venaient loger le samedi et la veille des fêtes. (Le Père Laval appelle cette succursale Ste Agathe). C'est un enclos entouré d'une muraille et flanqué de deux tours de garde.

1847  Lettre de Cyprien Liausu à son Supérieur Général, du 12 mai 1847 : « Depuis ma dernière lettre une maison de 80 pieds de long a été construite, dont 40 pour la chapelle où les jeunes filles vont faire l'adoration perpétuelle dans deux ou trois mois (le 27 août selon Laval). Les 40 autres pieds forment deux infirmeries séparées l'une de l'autre par un mur. Au-dessus des infirmeries est un dortoir assez beau. Il n'y a rien au-dessus de la chapelle pour la raison qu'elle est voûtée. Cette nouvelle maison est à une portée de fusil de la maison qui a 97 pieds de longueur (la maison des sœurs) ».

Construction à Rouru du mur de clôture, de la citerne et d'une chambre pour le P. Liausu à côté de l'infirmerie (cette chambre occupe sans doute la place qui était prévue pour l'une des deux infirmeries, cf. ci-dessus).

1848  Mémoires du Père Laval : « Un Jubilé pour l'avènement de Pie IX a été annoncé. Le Père Cyprien fixa pour le lieu des stations de nos petites îles l'église de l'île de Mangareva et la chapelle du couvent de Rouru (qui venait d'être construite en 1847)... Notre procession (ceux d'Akamaru) allait entrer dans la chapelle des religieuses ; mais il nous a été signifié assez hautement (par le P. Cyprien) que nous devions nous contenter du réduit qui donne en dehors de l'enclos et que l'on appelle la chapelle des étrangers ». (c'est la première mention de cette petite chapelle adossée à la chapelle du couvent et communiquant avec elle, où l'on peut suivre les offices mais derrière une barrière de séparation).

Plus loin, le Père Laval ajoute : « … la maladie appelée koivi, qui avait commencé en 1845 avec la dysenterie continuait toujours en 1848 mais avec moins d'intensité... Rouru surtout et Vaiakara ont dû peupler prodigieusement le ciel ».

1849  État des lieux dressé par l'évêque de Tahiti, Mgr Jaussen ss.cc. : « La chapelle de Rouru à Mangareva peut avoir 30 pieds de long sur 25 de large sans compter un endroit latéral de 12 pieds carrés (la chapelle des étrangers), destiné au public. Le fond est orné d'une belle boiserie, bel autel en puga, tabernacle et lampe et trois tableaux, vitraux de 500 fr., deux reliquaires, deux vases à fleurs - garniture de chandeliers, plus 4 chandeliers, calice et ostensoir comme ceux de Taravai, ciboire en argent, deux petits missels...

La maison du dimanche des filles de Rouru (au bord de la mer) est un peu plus grande que le premier des presbytères de Mangareva qui mesure environ 45 pieds sur 8. L'école de Rouru quant à elle mesure 15 x 20 pieds ; et la grande maison des Sœurs 80 x 20 pieds au moins... »

Mémoires du Père Laval : « … même à Rouru il y en eut 36 qui quittèrent le couvent, la plupart sans avertir ».

1850  Lettre de Cyprien Liausu à son Supérieur Général, du 19 juin 1850 : « Je demande aussi à Mgr Doumer ss.cc. (à Valparaiso) quatre de nos Sœurs pour présider et faire la classe au couvent composé de 60 personnes (religieuses) et 50 pensionnaires (écolières) qui se monteraient à 200 si je voulais les accueillir (la population avoisinait encore les 2 300 habitants). Dans cet établissement où pousse du fruit à pain pendant huit mois et du taro toute l'année, on peut avec la plus grande facilité élever des poules, des dindons et du cochon. La citrouille, les haricots, l'oignon, la laitue et la carotte prospèrent ici on ne peut mieux. Cet établissement est connu sous le nom de couvent des Sacrés Cœurs. Les personnes font l'adoration et l'ordre règne chez elles on ne peut mieux ».

En novembre 1850, l'abbé de Laval, aumônier de « la Capricieuse », visite les Gambier. Dans son « Récit adressé des Mers du Sud », il raconte : « Le couvent est à quelque distance de la ville (sic). On marche entre deux haies d'orangers et au bout d'un quart d'heure, on entre sous les toumeï qui environnent le couvent. Le fruit de ces arbres fait la principale nourriture de la communauté. Le couvent se compose de trois corps de bâtiments, un quatrième est encore en projet... Les congréganistes sont rassemblées sous le nom de congrégation de Jésus et de Marie. Néanmoins ces filles ne sont pas religieuses de profession. Elles ne font pas de vœux. Elles vivent en famille sous la direction d'une supérieure qu'elles choisissent entre elles annuellement. Selon leur attrait, elles passent leur vie au couvent ou s'engagent dans le mariage. Personne n'y trouve à redire et rien n'en souffre. Mais il faut croire que la vie du couvent leur semble bien heureuse car on les voit difficilement se rendre aux propositions de mariage. Leur supérieure actuelle nommée Maxima n'a que 20 ans et voilà 3 ans consécutifs qu'elle réunit les suffrages de ses compagnes parmi lesquelles plusieurs dépassent 30 ans. Cette réunion de costumes blancs sur lesquels tranchent ces cheveux flottants, presque toujours noirs, n'est pas la chose la moins pittoresque de Mangareva.

Le premier corps de bâtiment en entrant renferme la chapelle et l'infirmerie avec 10 lits vacants. Le deuxième vers la gauche renferme une grande classe où les sœurs font l'école aux petites filles de l'archipel et une grande salle où ces enfants prennent, quand il pleut, leurs repas et leurs jeux. Au-dessus de ces deux salles s'étend un dortoir garni de nattes où l'on couche. Le troisième, en face du premier, renferme au rez-de-chaussée la salle qui sert d'ouvroir et de réfectoire dans les mauvais temps ; une pièce contiguë où elles remisent leurs quenouilles, le coton à filer et autres choses de même catégorie ; puis la chambre à coucher commune à la supérieure et à ses deux assistantes. Au-dessus s'étend le spacieux dortoir des congréganistes tout parqueté en belles planches de toumeï et bordé de chaque côté par des nattes en écorce lisse de pandanus, où l'on prend le sommeil exigé par la nature. Un hangar occupe l'emplacement destiné au quatrième corps de bâtiment et contient des instruments divers utiles aux travaux d'agriculture et de construction ; lorsqu'il sera construit, il constituera le 4e point extrême d'une croix grecque qu'il formera avec les trois autres bâtiments, et la cour au milieu ».

1851  Lettre de M. Henry à Mgr Doumer à Valparaiso, du 7 mai 1851 : « Il me reste à mentionner l'établissement que le P. Cyprien a fondé à Mangareva. Je veux parler du couvent. Il abrite environ 60 jeunes filles qui ne font pas de vœux et sont donc libres de retourner chez leurs parents si elles le veulent. Mais elles persistent presque toutes... Depuis 12 ans (en réalité depuis 15 ans) que cet établissement est fondé, 100 environ sont mortes par suite d'une cruelle épidémie mais on n'en a vu que quelques-unes abandonner la communauté pour rentrer chez leurs parents (la population est à ce moment-là de 20 00 âmes P. Nicolas Blanc ss.cc.). Tous les moments de la journée que les jeunes filles ne consacrent pas à la prière et à leur instruction elles les emploient à filer, à coudre et à travailler la terre de leurs mains. Les constructions qui composent cet établissement sont le mur d'enceinte, la chapelle, la salle de travail, le vaste dortoir si bien parqueté en planches de toumeï, avec 60 lits, chacun recouvert d'une double natte finement tissée, la maison d'école pour les petites filles ».

1852  Lettre du Père Nicolas Blanc, du 22 juin 1852 : « La mission possède deux écoles, l'une pour les filles et l'autre pour les garçons. La première est sous la direction du supérieur de la mission (le Père Cyprien Liausu) qui est aidé dans ce travail par quelques jeunes personnes retirées du monde dans le dessein de vivre dans le célibat. Là on exerce les petites filles, au nombre de 150 à peu près, à la lecture, à l'écriture, au chant, à l'agriculture, à la piété, en un mot à être de bonnes mères de famille. Leur assiduité, leur docilité et leurs progrès dans ces différentes branches sont admirables. J'ai vu quelques robes qu'on m'a dites cousues par elles, dont j'ai été fort surpris ».

1854  Journal du frère Gilbert Soulié frère convers ss.cc. : « Le 10 septembre 1854, la fille de Jacques sort du couvent sans avertir ses maîtres. Le Père Cyprien, pour le bon exemple, l'a mise à la porte de l'église »...

1855  Journal de Gilbert Soulié : « Aujourd'hui, 26 janvier 1855, j'ai fini le devant de la porte de la chapelle du couvent de Rouru. Le Père Cyprien fait creuser un puisard pour le couvent, mais je crains qu'il ne fonctionne pas bien »...

(15 juillet) départ du P. Cyprien Liausu. Malade, et découragé, le P. Cyprien (53 ans) quitte son poste sans obédience de son Supérieur (il est revenu mourir dans son pays natal, à Cahors, quelques mois plus tard, le 29 mai 1856). Il laisse la direction du couvent au Père Armand Chausson ss.cc. (Lettre d'Armand Chausson du 16 septembre 1855).

« Il laisse aussi aux religieuses de Rouru des instructions qui les laissent maîtresses d'elles-mêmes... Dans le recrutement du noviciat, une fois que la postulante avait fait sa prière, Dieu devait l'inspirer ou pour entrer au noviciat ou pour en sortir... Sur ce, la Supérieure Thérèse devait admettre si la personne désirait entrer, et ce parti pris, c'était l'inspiration du Saint-Esprit auquel même l'évêque et le Pape ne pouvaient mettre opposition, a fortiori un simple prêtre, dût-il être le Supérieur de la Mission » (Laval lui-même) Mémoires du Père Laval.

Dans une lettre à Cyprien Liausu, du 12 novembre 1855, le Père Armand Chausson écrit : « Quand est-ce que vous reviendrez prendre la direction de votre communauté qui soupire nuit et jour après vous, c'est à la lettre... Tout le chemin en pierre qui a été fait depuis le cimetière jusque près de la maison des “habillés de soie” (référence à une famille moquée connue de Cyprien) est réparé à nouveau. Dans l'intérieur de l'enclos aussi, à partir de la chapelle jusqu'au grand bâtiment (la maison des sœurs) il y a un pavé, plus une cuisine pour les pensionnaires (l'école), à l'endroit que vous aviez, je crois, désigné... Le roi a pourvu abondamment Rouru de vin et d'eau de vie pour les malades ».

En décembre 1855 (le 23), Cyprien Liausu date de Paris sa traduction d'une lettre de Sœur Rose, la Prieure de Rouru, écrite le 14 juin de la même année, six mois après que Cyprien Liausu eut quitté Mangareva. Sœur Rose réclame à nouveau l'envoi de religieuses SS.CC à Mangareva : « Que faites-vous donc dans votre pays ? Est-ce qu'ici il n'y a pas assez de vivres pour toutes ? peut-être notre nourriture ne vous convient pas ? Envoyez-nous aussi des bougies et des flambeaux pour notre autel... demandez aussi des grâces pour notre Supérieure qui s'appelle Thérèse... Priez aussi le bon Dieu de bénir Grégoire Roi de Mangareva ainsi que sa femme et leurs enfants. (s.) Sœur Rose (prieure)... Voici nos noms et nos emplois... » (suivent 32 noms de religieuses « qui ont fait leurs grands vœux » et 21 autres « qui sont au noviciat », dont Philomène, fille aînée du Roi, Adrienne, fille aînée de l'oncle du Roi, Marie, fille de l'ex-grand prêtre des idoles (Matua) ... « Nos élèves sont au nombre de 184 »... (« pour traduction conforme à l'original, Cyprien Liausu de la Congrégation des Sacrés Cœurs de Picpus »).

1856  Le Père Honoré Laval prend la direction de Rouru. Il a 48 ans.

Le 21 novembre 1856, le P. Armand Chausson écrit à son Supérieur Général : « Je viens m'acquitter d'une commission de la part de Rouru et de Thérèse sa Supérieure... qui est de nous envoyer les restes du P. Cyprien. En me priant de vous écrire, les religieuses de Rouru me disaient : dis à Euthyme (Rouchouze) qu'en voyant ta lettre il voit notre lettre, en voyant ton nom il voit les noms de nous toute ».

1857  « Rouru jouit d'une réputation colossale » (Mémoires du Père Laval)

1858  Au mois de juin, le Maputeoa 1er, Capitaine Guézenec, arrive à Mangareva pour faire du commerce, avec à son bord le Dr Prat, médecin de la marine, sa femme et leurs deux enfants, ainsi que Gilbert Cuzent, pharmacien, qui a laissé le récit suivant : « … les missionnaires nous ont conduit à la succursale du couvent de Rouru dans laquelle les jeunes filles de cette communauté descendent passer la journée du dimanche pour ne s'en retourner qu'après les vêpres. Entouré de murs élevés, le terrain de cette succursale est planté d'arbres à pain. La maison principale, composée d'un rez-de-chaussée, est bâtie sur le point culminant de l'enclos, qui en pente douce va jusqu'à la mer »...

M. Cuzent poursuit : « Une dizaine de jeunes filles accoururent vers nous. La plus âgée pouvait avoir 18 ans... Dans une case voisine, nous trouvâmes deux religieuses atteintes de phtisie pulmonaire et crachant du pus à pleine bouche... À cette occasion, le Dr Prat proposa au Père Laval de lui rédiger un médecin de papier, c'est-à-dire une sorte de résumé des symptômes et du traitement des maladies propres au climat de l'archipel... Le Père Laval ajouta : il n'y a rien à faire contre la consomption et ces malheureuses meurent toutes comme cela !... Quelques jours plus tard, le Père Laval nous conduisit à Rouru. Nous franchissons la porte cochère et au fond à gauche d'une vaste cour, c'est la maison principale, c'est-à-dire le couvent, précédé d'un trottoir spacieux. Nous entrâmes au rez-de-chaussée, dans une grande salle aux murs recouverts d'une nappe de toile fine, une longue table était dressée, garnie d'assiettes en porcelaine remplies d'oranges, de bananes, de pastèques et de tranches d'ananas. Des cocos, dépouillés de leur écorce, ouverts et pleins d'une eau limpide, avaient été posés dans autant de verres à pied.

Immobiles, silencieuses et rangées autour de l'appartement, 40 religieuses s'inclinèrent à notre arrivée... La présentation terminée, les jeunes filles se précipitèrent vers la table et, folles de joie, elles s'emparèrent des assiettes dont elles vinrent nous offrir les fruits savoureux...

Une naïve familiarité ne tarda pas à s'emparer de nos hôtes qui... palpaient nos galons d'or, s'emparaient de nos casquettes... nous demandant nos noms et essayant de les répéter. Quelques-unes prièrent les dames de les coiffer, de leur faire des nattes pareilles aux leurs... Un escalier conduit de ce réfectoire au premier étage où se trouve un dortoir composé de 30 lits. Formé d'une claie en roseaux élevée du sol de 60 cm environ, chaque lit se composait d'un matelas, d'un drap de toile fine, d'une couverture de laine blanche, dont la fraîcheur des plis indiquait assez qu'on avait dû les sortir de l'armoire le matin même, en l'honneur de la circonstance. Des nattes protégeaient ces couvertures de la poussière.

À la tête des couchettes et piqué dans la toiture en feuilles de pandanus, était un petit crucifix en cuivre, ainsi que des quenouilles garnies de laine d'une blancheur irréprochable. Blanchie et filée par les religieuses, cette laine sert à confectionner leurs robes, dont l'étoffe est tramée par les tisserands de la mission.

Nous ramenant à l'entrée de la cour, le Père Laval nous fit visiter une chapelle dont l'autel, en blocs de corail taillés, était orné de colonnettes à chapiteaux corinthiens : c'est l'œuvre du frère Gilbert nous dit-il. Des rideaux en calicot blanc garnissaient les fenêtres et, sur une console placée entre deux croisées, était une pendule moderne.

Nous allâmes dans une maison contiguë, visiter un autre dortoir de dix lits (au-dessus de l'infirmerie), semblable à celui dont j'ai fait connaître les détails.

Le missionnaire fit observer que l'heure des vêpres était passée, qu'il fallait redescendre au plus tôt au village ».

1860  Le 22 janvier 1860, après vêpres, le Capitaine de vaisseau Henri Huchet de Cintré, commandant la Thisbée, va visiter Rouru avec le Père Laval. Le navire est venu chercher les pierres taillées à Mangareva par Gilbert Soulié et ses ouvriers mangaréviens et destinées aux portails de la cathédrale de Papeete.

Le Capitaine de Cintré rédige le compte rendu suivant : « En arrivant sur les terres du couvent, une allée charmante plantée en caféiers et orangers conduit à la porte. Il y a deux enceintes. Le pensionnat (école des filles) où nous trouvâmes les enfants s'attroupant devant nous, jouant (les enfants sont tous les mêmes). Dans cette enceinte est la chapelle : elle est simple mais l'autel est remarquable : le devant est d'une seule pierre de corail blanc très bien sculptée ; le dessus de l'autel est aussi composé de deux grandes tablettes de corail divisées par des sujets sculptés en relief. C'est M. de La Tour qui a dessiné les sujets et le Frère Gilbert qui a exécuté. Cette enceinte est plantée en maïoré. Les jeunes filles y trouvent donc de la place pour jouer à l'ombre et, outre cela, leur nourriture. Les maisons où elles logent sont en pierre mais je ne les trouve pas suffisamment aérées et élevées.

Nous entrâmes dans la seconde enceinte, celle du couvent. On attend des religieuses d'Europe pour diriger. En attendant, la Supérieure, Sœur Rose, est une naturelle âgée de 28 ans ; toutes sont jeunes, mais leurs vœux sont temporaires et ne peuvent dépasser une année. Il en sort très souvent pour se marier et elles sont habituées à cette idée. Elles sont, je pense, un peu plus de 20. Elles nous attendaient et nous reçurent dans la grande salle et, formant le cercle, d'abord intimidées, mais bientôt la gaieté revint ; elles nous offrirent des cocos, du maïoré cuit admirablement bien. Ensuite, comme de grands enfants, elles voulurent savoir nos noms, nous dirent les leurs, voulurent nous montrer leur science : j'avais mon livre de messe, il fallut les faire lire. Enfin, c'était une naïveté sans prétention ni coquetterie, qui annonçait une grande innocence... Les nattes de leur fabrication qu'elles ont eu la bonté de nous donner seront conservées avec un soin religieux ».

Journal de Gilbert Soulié : « Le 8 avril 1860, la fille de la reine qui se nomme Catherine quitte le couvent pour se rendre chez sa mère et les religieuses l'y ont conduite ».

1861  Journal de Gilbert Soulié : « Le 3 juin 1861, nous allons commencer à tailler la pierre de la porte d'entrée monumentale de Rouru avec les ouvriers de Mangareva... Le 22 juin, j'ai placé les fondements de la porte sur deux mètres d'épaisseur... L'aspect sera celui d'un petit arc de triomphe qui finira le mur d'enclos de l'institution devenue un vrai couvent l'année dernière, depuis que les pensionnaires sont autorisées à prononcer des vœux annuels renouvelables (sous le Père Cyprien, les vœux n'étaient que de trois mois. Laval, Mémoires)... Dans le mois de septembre 1861, les Sœurs ont été à Tekau pour faire de la chaux et elles en ont fait deux fournées et lundi, elles vont à Aukena pour en faire une autre... Sur la fin du mois de décembre 1861, deux religieuses anciennes font de la peine au Père Laval et à toutes leurs compagnes. C'est Virginie et Catherine qui veulent se retirer, ou les autres veulent les renvoyer pour cause de mauvaise tête »...

1862  Journal de Gilbert Soulié : « Aujourd'hui, 8 février 1862, je viens de finir de recrépir la porte d'entrée de Rouru, ou du couvent si vous voulez bien le dire... Le 22 mars 1862, je viens de finir la grande porte d'entrée du couvent, de placer la serrure, de la peindre et la clef a été remise à la Sœur portière ».

1863  Journal de Gilbert Soulié : « Ce 2 février 1863, j'ai fait 14 battoirs pour les religieuses pour qu'elles nous lavent le linge. Le 5 février, le Père Laval et moi nous allons au couvent porter de l'étoffe rouge pour faire un manteau pour l'adoration. Le 8 février, vers 6h du matin, on a commencé à faire l'adoration (à Rouru) avec le manteau rouge, pour la première fois, avec le plus grand enthousiasme. Elles sont venues me trouver pour me dire de venir voir comme c'était beau... C'est la Sœur Rose, la Supérieure, et la Sœur Madeleine, qui ont commencé les premières à faire l'adoration en manteau rouge... Le 16 février 1863, je vais placer une pendule chez les religieuses pour faire l'adoration... Le 8 mars 1863, les sœurs ont commencé à faire l'adoration à genoux sur les deux chaises que je leur ai faites pour l'adoration ».

1864  Mémoires du P. Laval : « Le 7 mars 1864, un navire se présente à la passe. Il transporte Mgr Jaussen, évêque de Tahiti, venu accompagner lui-même les restes du P. Cyprien à Mangareva... Le lendemain 8 mars, fut consacré à la réception des ossements du R. Père Cyprien... Toute la population se trouvait sous l'arc de triomphe et de réception (ouvrage du Frère Fabien Costes) qui donne sur la mer, en face du débarcadère.

Rouru étaient là les premières. Aussitôt que la caisse recouverte d'un drap mortuaire eut pris terre, les voilà, ces bonnes filles, qu'elles vont s'en emparer... pleurant comme des Magdeleine... Après la messe à l'église, les ossements furent transportés à la chapelle du couvent... On déposa la caisse recouverte toujours de son drap lugubre, près de l'autel à gauche, en attendant que le tombeau rut creusé dans la chapelle ; les sœurs avaient désiré ce privilège.

Quelques jours après, elles vinrent me demander la permission de porter la caisse au milieu de leur chambre commune ; je n'y vis aucun inconvénient. La nuit survenue, Rose, la Supérieure, permit à toute la communauté de la passer couchées toutes autour de cette caisse...

Enfin arriva le jour où Mgr Jaussen permit que l'on ouvrît la caisse pour mettre les ossements dans un meilleur état (rappel : Cyprien Liausu est mort huit ans plus tôt, le 29 mai 1856) Alors, chaque religieuse et novice s'apprêtait à recevoir les ossements chacune sur leur serviette blanche... Mais quel ne fut pas notre étonnement à tous quand, le chef débarrassé, on vit clairement que c'était celui d'une vieille femme ! Elle avait encore tout son toupet de cheveux, là où aurait été la tonsure... Deux dents à la mâchoire inférieure et sur le devant étaient renversées presque horizontalement et le Père Cyprien n'avait pas pareil défaut. Les cheveux du Père étaient noirs et gros, ceux-ci étaient fins comme de la soie et tiraient sur la couleur rouge. Définitivement ce n'était pas les ossements du Père et toute la communauté de se mettre à pleurer ! Monseigneur était ému... Il faut qu'il y ait eu supercherie de quelque carabin ! ... Monseigneur avait obtenu son exhumation à Cahors... la dépouille était restée à Picpus jusqu'au départ de Mgr Jaussen pour l'Océanie ; à Valparaiso, elle est restée chez Monseigneur lui-même et sur le navire elle a occupé sa cabine ... Dans l'incertitude, que, peut-être, il s'y serait mêlé quelques ossements du Père, elle a été enterrée au couvent, mais dans la partie qui sert au public, “la chapelle des étrangers”... »

1865  Le Père Roussel, ss.cc. « trouvant que de transporter les petites filles de Taravai à Rouru (à l'école des sœurs) était un peu gênant pour les parents, et d'ailleurs quelques novices désirant retourner chez elles à Taravai, prit une initiative qui devint utile à la Mission... Il eut l'idée de créer des ouvroirs de filles... Je fis dans toutes les baies de Mangareva ce qu'il venait de faire à Taravai et Akamaru et tout d'un coup nous eûmes neuf maisons où des jeunes filles se réunissaient jour et nuit pour y travailler et y apprendre à travailler le jour et y dormir sans danger la nuit » ... (Mémoires du Père Laval) - (ce sont des élèves en moins pour le pensionnat de Rouru dirigé par les sœurs, et peut-être le début du déclin de Rouru...)

Quelques mois plus tard : « Le Commissaire impérial, M. de La Roncière, voulant se rendre compte des conditions de vie des sœurs... ayant trouvé les portes de Rouru fermées, fit passer dessus le mur un lieutenant pour en faire ouvrir la porte d'entrée. Le coup fait, tout le monde entra, examina le couvent où pas une âme n'était... Je fus indigné de cette violation de propriété de Mgr l'Evêque, qui m'était confiée et cette indignation me fit faire le lendemain les vers suivants :

“La ronce, hier, a grimpé par dessus notre mur;

Car, on sait, son allure est de grimper sans cesse! ...

J'aurais voulu, soudain, l'arracher à coup sûr;

Mais, si vous la touchez, cette plante vous blesse ... (etc.)” » (Mémoires du Père Laval)

Le 1er octobre, le Résident provisoire, M. Laurencin, commence une surveillance étroite de Rouru (en liaison avec l'affaire de l'indemnité Pignon que la reine régente de Mangareva est condamnée à payer). La garde de Rouru est renforcée par le Père Laval. Un dimanche, imitant son supérieur, M. de La Roncière, M. Laurencin escalade le mur et visite tous les coins et recoins de la Communauté vide (c'est l'heure des vêpres). D'autres tentatives ont lieu. « J'allai demander au Résident de quel droit... il allait exiger qu'on lui livrât les clefs du couvent... Il finit par balbutier : je voulais savoir si l'on n'aurait pas caché de la nacre là. Voulez-vous, lui dis-je que je vous y conduise ?... Vous cherchez partout où bon vous semblera car, Monsieur, ce n'est pas là qu'on aurait porté de la nacre... Non, me dit-il alors, je vous crois sur parole »... (Mémoires du Père Laval)

« C'est aussi au moment où leur vertu était exposée à de grands dangers (en la personne des militaires du détachement accompagnant le Résident à Mangareva) et où la persécution dirigeait contre elles mille efforts et mille tracasseries que Rouru, le 21 novembre 1865, renouvelait pour un an ses trois vœux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance et que sept nouvelles sœurs offraient à Dieu ce sacrifice »... (Mémoires du Père Laval)

« Ces Messieurs (Résident provisoire Laurencin et Résident en titre Caillet) en tracassant si souvent la communauté de Rouru, avaient deux buts bien marqués : ils auraient voulu détruire cette œuvre excellente, boulevard de l'innocence... ou du moins pouvoir en attraper quelqu'une, ce qui eût été pour eux le comble de la réussite » ... (Mémoires du Père Laval)

1866  « Le 24 mars, les soldats vont danser sur les murs de Rouru et inscrivent sur un papier le nom des religieuses et des novices que leurs canotiers (garçons de Mangareva) pervertis par eux leur faisaient connaître »... (Mémoires du Père Laval)

1868  « Sitôt les militaires partis, une pêche fut de suite organisée... La maison Hort de Tahiti envoya de nouveau deux ou trois fois en novembre et mars un navire pour prendre à Gambier de la nacre et des cochons... Nous touchions donc au moment de pouvoir encore un peu lever la tête... Depuis longtemps, une question s'était déjà levée entre le Père Nicolas Blanc et moi, à l'occasion du commerce que faisait déjà le collège (Réhé confié au P. Nicolas). J'étais pour qu'il ne le fit pas.

Mais Rouru le fait bien et depuis longtemps, m'objecta le Père Nicolas Blanc.

Bref, la question fut portée par nous deux au Supérieur Général (de la congrégation SS.CC.) qui décida avec son Conseil que Rouru et le Collège pouvaient faire le commerce n'étant liés par aucun Canon de l'Église »... (Mémoires du Père Laval)

Lettre du Père Nicolas Blanc au Supérieur Général de la congrégation SS.CC., du 27 mars 1868 : « Conjointement avec le Père Laval, nous vous prions de nous faire savoir au plus tôt si les religieuses de Rouru et les enfants du petit séminaire (Réhé d' Aukena) peuvent acheter, avec leurs propres produits, de la nacre qu'ils revendent ensuite aux navires pour s'acheter ce dont ils ont besoin ; si vu le peu de ressources pour l'existence d'une communauté ici, on peut leur permettre de temps à autre de s'acheter de la nacre pour la revendre et augmenter ainsi leurs moyens d'existence avec les objets qui pourraient provenir de leurs produits... Le désir de procurer à nos chères institutions les moyens d'existence sans violer nos saintes règles a été l'unique but de cette demande que nous vous faisons... Nous vous demandons encore si les deux communautés dont il s'agit pourraient fabriquer des habits pour les vendre pour s'acheter de la nacre et autres produits qu'ils pourraient revendre ensuite »...

« Notre jeunesse et principalement quelques filles ont éprouvé un dérangement considérable dans le courant de l'année 1868. Plusieurs de Rouru ont cru devoir se retirer chez leurs parents avec dessein de se marier, les unes ; les autres de rentrer tout simplement dans la vie commune et moins astreinte à des exercices pénibles. C'est une nommée Anne Guilloux, novice, et qui voulait trouver là des épouses pour ses frères, qui nous a valu ce dérangement inattendu ... J'ai toujours été peiné de cette subite résolution de près de 15 personnes »... (Laval, Mémoires)

1869  Le 11 avril 1869, le Résident X. Caillet écrit au Commissaire Impérial : « Maria-Eutokia s'est retirée au couvent. Akakio... est chargé du pouvoir exécutif »...

« Le 27 août à 10 h du matin, la vieille Régente, la bonne Maria Eutokia, mourut novice au couvent, au temps même où elle était au pinacle des honneurs et du commandement » (Mémoires du P. Laval).

1870 Lettre du Père Nicolas Blanc du 2 février 1870 : « Notre petit pays est menacé d'une grande disette. La principale récolte manque complètement cette année et elle a été peu de chose depuis plusieurs années, ce qui réduit le pays à la famine »...

Lettre de Nicolas Blanc du 30 juillet : « Les habitants de cet archipel sont réduits aujourd'hui à 900 âmes... La génération nouvelle va toujours de mal en pis. Elle est prise d'un grand vertige de voyage, de licence et de paresse... tous nos efforts deviennent impuissants... Les étrangers ont fait jouer tous les ressorts pour diminuer l'influence des missionnaires et surtout celle du Père Laval ; c'est surtout contre lui que l'on crie »...

Monseigneur Jaussen, évêque de Tahiti, ajoute à la lettre du Père Nicolas Blanc une note brève à l'intention du Supérieur Général de la congrégation SS.SS. : « Il est temps, je crois, de mettre un terme aux accusations en enlevant la grande île (Mangareva) au Père Laval pour le mettre dans celle où il a commencé (Akamaru)... Je vous propose de concentrer les pouvoirs de supérieur religieux et ecclésiastique sur celui qui le remplacera (ce sera le Père Nicolas Blanc, il a 49 ans) »...

1871  « Le 4 avril 1871, l'évêque retire le Père Laval des Gambier (il a 63 ans), pour le mettre à Tahiti... contre le vœu des populations de Mangareva » (P. Hodée : « Tahiti 1834-1984 »)

1872  Lettre du Père Nicolas Blanc du 8 juin 1872 : « Outre cela, je fais quelques heures de classe par jour aux garçons ; les filles sont chez les religieuses de Rouru »...

Extrait des Annales SS.CC. : « Les Pères Nicolas et Armand, outre le ministère apostolique, tiennent des écoles. Ces écoles ainsi que le couvent des sœurs indigènes doivent tout à l'œuvre de la Propagation de la Foi ».

1873  Lettre du Père Nicolas Blanc du 4 octobre 1873 : « Les mauvaises leçons et surtout les exemples des pervers ont beaucoup gâté nos gens et ont tourné la tête de nos jeunes gens qui sont pris du vertige des voyages »...

1876  Lettre du Père Nicolas Blanc du 19 juillet 1876 : « L'esprit de fatuité et de luxe qui fait le caractère de notre siècle pénètre à gros bouillons jusque dans nos petites populations... La moindre oscillation de la France se fait plus ou moins sentir jusque chez nous. Nos compatriotes savent fort bien faire parvenir jusque chez nos pauvres gens le venin de leurs funestes doctrines et le dévergondage de leurs mœurs. Nos indigènes sans méfiance se jettent facilement dans le bourbier »...

5 juillet, visite du Père Laval (extrait des Annales SS.CC.) : « La visite du Révérend Père Collette, Provincial, accompagné du Père Laval... a mis tout le monde en mouvement. Quand ils furent arrivés, le son joyeux de la cloche les invita à se rendre à l'église. Là se trouvaient à leur place les sœurs et les pensionnaires du couvent de Rouru. Rose, la Supérieure, se tenait à la porte, attendant l'arrivée du Père pour lui baiser la main. “Vous voilà !” lui dit le missionnaire. Rose essaya d'articuler une réponse, mais les larmes suffoquaient sa voix. Dans l'après-midi, nos confrères se rendirent au couvent où leur visite causa un bonheur qu'il est aisé de concevoir ».

1881  Lettre du Père Nicolas Blanc du 5 septembre 1881 : « J'ai reçu 35 francs de Rouru pour la propagation de la foi année 1881 et rien d'ailleurs... » « L'envie de boire mènera infailliblement nos gens à la pauvreté et multipliera les vices. S'ils ne deviennent pas meilleurs qu'ils ne sont, je pense que la fin de la population mangarévienne n'est pas loin ».

La population est tombée à 650 habitants. Depuis 1870, Rouru a sans doute de plus en plus de mal à recruter, d'autant plus que la proportion des femmes par rapport aux hommes diminue et continuera de diminuer. C'est ce qui explique cette étonnante initiative de la Mission.

Lettre de Mgr Jaussen, évêque de Tahiti : « Déjà en 1860, je voyais la nécessité, pour sauver la population des Gambier où les hommes sont plus nombreux que les femmes, d'y importer des jeunes filles. J'aurais voulu, pour retremper le caractère avec le sang, les prendre en Belgique... J'en entretins aussi une dame argentine très influente à Valparaiso, et qui en 1864 me promit son concours.

La diminution considérable survenue depuis lors en la population me fait dire que le moment fatal est arrivé... Ce petit recrutement est maintenant rendu plus facile au Chili, où en 1864 le Père Rousselle disait déjà facile.

Le capitaine de la “Mangarévienne”, M. Berteaud... conduira sagement cette opération... Pour l'honneur de la mission et de la congrégation, je tiens beaucoup à l'heureuse issue d'une démarche qui peut seule sauver Gambier d'une extinction à bref délai »...

Cette initiative est commentée par le Père Nicolas Blanc dans sa lettre à Mgr Jaussen le 5 septembre 1881 : « L'idée d'aller chercher des femmes au Chili leur (le “comité Maputeoa”) sourit beaucoup. Mais la crainte d'essuyer un refus et la valeur de 3 000 piastres (soit 10 tonneaux de nacre que M. Berteaud leur a demandés pour le voyage...) leur fait peur. Ils pensent qu'il vaudrait mieux écrire d'abord au Chili pour s'assurer que les personnes voudraient bien venir et voir en même temps s'il n'y aurait pas moyen de faire ce voyage à moindres frais. Ils ont offert à Berteaud un baril de nacre pour chaque personne chilienne qu'il leur amènerait »... (Aucune suite ne semble avoir été donnée).

1882  Lettre du Père Nicolas Blanc du 27 avril 1883 : « La licence de nos moralistes de passage les a joliment gâtés. Heureusement la foi reste au fond de leur cœur, quoique très portés à se livrer à leurs inclinations déréglées »...

1884  Lettre de Mgr Verdier, évêque de Tahiti, datée du 7 novembre 1884 : « Le chiffre de la population sans cesse décroissant ne permet plus aux habitants de faire les mêmes sacrifices qu'autrefois (allusion aux travaux de construction et de réparation “sans rétribution”...) »

1885  Lettre du Père Nicolas Blanc du 19 septembre 1885 : « La mort a fait de grands vides parmi nos chrétiens sous l'influence des maladies vénériennes qu'ils ont contractées par leur contacts avec les étrangers et contre lesquelles ils n'ont pris aucune précaution par honte de se faire connaître...

La communauté des sœurs indigènes disparaît aussi peu à peu ; il ne nous en reste plus que quatre ».

La population est tombée à 446 personnes. « Cette année-là, on compte 156 femmes seulement ». (François Vallaux, « Mangareva et les Gambier »).

1886  Dans une lettre datée de Tahiti, 10 octobre 1886, le Père Nicolas demande à être remplacé à Mangareva par un Père plus jeune (il a 65 ans et il souffre d'un cancer) « pour garantir autant que possible nos chrétiens contre l'influence de l'invasion de gens de toute croyance religieuse avec des mœurs les plus désordonnées qui vont naturellement se ruer sur notre petit pays pour y remplacer la population qui disparaît »...

Lettre de Mgr Verdier du 4 novembre 1886 : « Je suis en train d'examiner si les Sœurs de St Joseph peuvent être substituées pour l'école des filles aux Sœurs indigènes qui touchent à leur extinction (il n'en reste que trois en santé et une malade) »...

1887  En début d'année, le 21 janvier, arrivée du Père Vincent-Ferrier Janeau, ss.cc. (28 ans), le Père Roussel ss.cc. étant supérieur de la mission.

1888  Lettre de Mgr Verdier, du 24 octobre 1888 : « Il s'agit d'importer des Tuamotu aux Gambier des familles toutes catholiques. Le gouverneur a ordonné de me donner à bord de la “Vire” la préséance sur M. le Directeur de l'Intérieur et écrit au Commandant de s'entendre avec moi pour les j ours à rester dans l'île »...

1891  Au mois d'août 1891, le grand Conseil des îles Gambier fait appel à la congrégation des sœurs de St Joseph de Cluny pour leur confier l'école des filles de Mangareva. Il demande trois sœurs. Jusque là cette école était dirigée par les sœurs de Rouru. « Mais les Sœurs de Rouru n'étaient que trois survivantes très âgées. De toute nécessité il fallait les remplacer ». (Père Vincent-Ferrier Janeau)

1892  « Chez les filles, les sœurs d'origine locale (Rouru) qui ne recrutaient plus depuis un certain temps ont été, en 1892, relayées par trois dames de St Joseph de Cluny... La population totale n'est plus que de 500 âmes ». (François Vallaux, « Mangareva et les Gambier »)

Le 18 janvier, Sœur Mélanie Moison (Mère principale installée à Tahiti) de la congrégation de St Joseph de Cluny, écrit : « Je pars aujourd'hui de Tahiti pour Mangareva. Le Père Roussel, ss.cc. (curé de Rikitea) désire que j'aille choisir moi-même le terrain pour la maison d'école... J'emmène avec moi Marie Gaspard, sœur converse, qui n'a pas le mal de mer !... »

Avril 1892, Sœur Mélanie écrit : « Pendant les quatre semaines que nous avons passées à Rikitea nous avons été à même de bien choisir celui des trois terrains qui sont à notre disposition.

Les sœurs de Rouru ont une belle propriété à la campagne, le couvent. Ce monument remarquable pour nos îles est en ruines, néanmoins son aspect ne laisse pas que d'émouvoir l'âme. C'est là que les religieuses indigènes ont commencé et où elles ont prospéré. Mais c'est là aussi où elles sont toutes mortes, excepté les trois qui restent et où il est mort une centaine d'enfants. Malgré le beau coup d'œil que présente cette campagne, je ne lui ai pas donné la préférence pour plusieurs raisons : la première parce qu'elle est trop éloignée de l'église, la deuxième parce qu'il n'y a pas d'eau, la troisième à cause de la difficulté de se procurer les provisions. Non seulement il n'y a pas de voitures mais pas de route pour les faire passer. Les Sœurs (de Rouru) ont encore deux propriétés en ville, tout près de l'église d'un côté, et de la mer de l'autre ; elles se touchent. Monseigneur (Verdier) me conseillait de choisir celle qui est en ville mais non occupée par les Sœurs afin de ne pas leur causer de chagrin en les déplaçant, c'était aussi mon désir. Mais le Père Roussel ss.cc. (curé de Rikitea) et la population s'y sont opposés parce que ce terrain est un fond où passent toutes les eaux de la montagne et aussi parce que le cimetière est à côté (l'ancien cimetière qui se trouvait devant la chapelle St Michel).

Le Père Roussel avait tout prévu. Il a fait faire une jolie maison aux Sœurs mangaréviennes (les trois survivantes de Rouru) tout près de l'église et c'est là qu'elles ont logé. J'ai donc choisi la maison occupée par les sœurs de Rouru pour notre logement (l'ancien “couvent du dimanche” des sœurs de Rouru). L'enclos est entouré de murailles et flanqué de deux tours de garde. La maison est en pierre, elle mesure 15 m sur 11,30 m, y compris les deux galeries. Elle se compose de trois appartements, un grand au milieu et un petit de chaque côté. Le bâtiment neuf pour les enfants aura 32 m sur 8 ; le dortoir aura 20 m et les classes 12 ; tout sera prêt au mois de juin pour accueillir nos 45 élèves. Nous donnerons à l'école le nom de Notre-Dame de Paix »...

Le Père Vincent-Ferrier Janeau donne son avis : « On sait que l'ancien établissement, trop près du Mt Duff (Rouru) ne voyait le soleil qu'une partie du jour ce qui rendait le séjour mauvais pour les personnes du sexe. Ainsi, de toutes mes forces, j'ai réagi contre ceux qui auraient voulu l'établissement des sœurs de St Joseph de Cluny dans ce lieu. On fut jadis obligé de conduire les petites filles (de l'école des sœurs) à près d'un km et demi pour prendre leur récréation un peu au soleil. Ainsi 200 enfants peut-être sont mortes dans cet endroit malsain et combien de sœurs ? Ainsi après un tel laps de temps, plusieurs parents ont encore horreur de l'école ».

Le 10 octobre, Sœur Mélanie écrit : « Sœur Rosule Ludringer, Sœur Désirée de Jésus et Marie Gaspard partent pour Mangareva pour procurer aux jeunes filles mangaréviennes le bienfait inappréciable d'une instruction solide jointe à une éducation vraiment chrétienne »... Aussitôt elles se trouvent à la tête d'une quarantaine d'élèves toutes internes.

« Les trois dernières religieuses de Rouru, Rota (Rose), Ararina et Gotépéréta (Godeberte), se voyant avancées en âge, furent heureuses de voir venir à leur secours trois sœurs de St Joseph de Cluny » (Annales des Sacrés Cœurs)

1894  Sœur Désirée de Jésus, malade, est remplacée par Sœur Léonce Briens.

1895  40 à 45 enfants 30 sont internes fréquentent l'école des sœurs de Cluny.

La population est d'environ 550 personnes.

1896  Mgr Verdier rend visite à Mangareva (30 septembre 1896) : « Dans ces îles où le catholicisme est arrivé à son apogée, nos Pères ont besoin de veiller de près sur nos gens pour empêcher la décadence que l'impiété, l'immoralité et la cupidité effrénée de quelques étrangers cherchent à introduire... Il s'agit de protestants venus de 20 îles différentes pour plonger... Ils n'y ont pourtant aucun droit, mais l'esprit dévié des Mangaréviens fait qu'ils adoptent facilement ces étrangers sans foi ni mœurs, et se montrent difficiles pour accorder le droit de la plonge aux catholiques de la même circonscription qui sont venus s'établir là et dont les ancêtres étaient eux-mêmes mangaréviens »...

1897  Sœur Mélanie (de St Joseph de Cluny) refuse de se charger de l'école des garçons de Rikitea.

« Le nombre des élèves des Sœurs de Cluny est toujours de 35 à 40. En dehors des heures de classe, nos chères enfants s'occupent de leur nourriture qu'elles vont chercher en grande partie sur la montagne, ainsi que le bois de chauffage. Ce sont elles qui blanchissent et raccommodent le linge, font le ménage, défrichent les plantations et font la récolte du café au mois de mai. Ces différents exercices sont toujours présidés par une Sœur ou deux ».

1898  « Le 25 janvier 1898, notre vénéré Père Supérieur de la mission (le Père Roussel) a été appelé au repos des bons et fidèles serviteurs. C'est une grande perte pour Mangareva et pour nous en particulier... Le Père Vincent-Ferrier Janeau sera son digne successeur. Ce Père est d'une si grande bonté pour nous... » (Annales des Sœurs de St Joseph de Cluny)

1902  Sœur Mélanie écrit le 10 août : « Sœur Odile de la Miséricorde est revenue de Rikitea à Tahiti. Sœur Rosule, la supérieure de la communauté de Mangareva, a agi avec finesse pour la faire revenir. Je le regrette car je ne pense pas qu'elle s'entende mieux avec Sœur Odile du Calvaire. »

1903  Cyclone aux Tuamotu : 500 personnes ont succombé.

Victor Ségalen (l'auteur des « Immémoriaux ») écrit dans une lettre à son ami Mignard : « La race se meurt... Nous venons de passer cinq jours aux Gambier (en fin d'année 1903)... Un sentier qui serait une avenue mène à des couvents abandonnés ; ruines, ruines et 200 habitants (c'est une exagération : un Rapport sur la colonie de 1912 donne le chiffre de 529 dans François Vallaux, Mangareva et les Gambier) J'ai dû, prévenu par le Résident, procéder à l'enlèvement sur la Durance, sous couvert médical, d'une religieuse brimée, affamée, éreintée par sa Supérieure (il s'agit sans doute de Sœur Rosule, la Supérieure de la communauté) »...

Le 16 juin 1903, Sœur Godeberte (Gotépéréta), dernière survivante de la communauté des Sacrés Cœurs de Rouru, meurt à l'âge de 70 ans elle avait donc connu le « Père Fondateur », Cyprien Liausu Elle est enterrée au cimetière St Michel, devant la chapelle du même nom, à côté des autres sœurs de Rouru.

Cette disparition marque la FIN DE ROURU. Même le cimetière disparaîtra, emporté par des pluies diluviennes qui ont débuté le 4 mai 1925 et duré une semaine.

1904  Sœur Louise, la nouvelle supérieure de Tahiti (Sœur Mélanie est décédée en 1903), écrit à sa Supérieure générale à Paris : « L'école des Sœurs de Cluny de Mangareva est fermée depuis le 30 juin 1904 ». La subvention dont elle bénéficiait est allouée à l'école laïque que le Gouverneur vient d'établir.

Les sœurs de Cluny mettent en place un ouvroir à Mangareva et restent pour s'en occuper.

Lettre de Mgr Verdier, du 24 août 1904 : « Aux Gambier, les écoles congréganistes sont fermées. Le Père Janeau (qui faisait la classe aux garçons) a été révoqué comme instituteur insoumis (refus de se séculariser) ».

1909      Fermeture de l'ouvroir ; départ de la dernière des Sœurs de St Joseph de Cluny.

ROURU AU CŒUR DE MANGAREVA

On a coutume de dire d'un lieu inspiré qu'il a une âme. C'est le cas de Mangareva. Mais Mangareva cache aussi un cœur, bien présent quoique discret, c'est Rouru. Des dizaines de jeunes filles et de femmes ont vécu dans ce couvent où leurs traces sont toujours perceptibles aujourd'hui.

En cours d'année scolaire 1985-1986, les élèves de l'école de Rikitea réalisent un bulletin de 34 pages, « L'Écho de Mangareva », abondamment illustré. Les rédacteurs sont, entre autres : Christine Togakaputa, Marie-Rose Mamatui, Karine Richeton, Gérard Paheo, Catherine Manuireva, etc. Ils ont raconté un pique-nique à Akamaru, une sortie à Tekava, le passage de la comète et... une visite à Rouru. Les auteurs du compte rendu sont Taïté Carlson et Philomène Mamatui. Ils ne donnent pas la date exacte mais l'événement reste certainement ancré dans la mémoire de tous les jeunes visiteurs de 1985 qui aujourd'hui en 2010 ont la trentaine. Les observations faites sur place, à Rouru, les photos et le plan qui illustrent l'article, la préparation qui avait précédé la visite, tout cela a certainement fait revivre les lieux dans l'esprit des élèves. Pendant quelques heures, l'ancien Rouru a rempli leur présent. Certes ils ont vu « un couvent à moitié en ruine, envahi par les manguiers et les pistachiers qui font éclater les murs en pierre ». Ils ont questionné Charles Parker « qui dirige le chantier de débroussaillement. Il nous a dit que quand il était jeune, il n'y avait déjà plus personne en haut ». Ainsi transmise des anciens aux jeunes, la mémoire continue de faire le lien avec le passé et à l'actualiser.

Les élèves ont ensuite circulé au milieu des ruines avec à la main un petit guide pratique très approprié « Les Picpuciens en Polynésie » (cahier du P. Egron, ss.cc. curé de Rikitea à ce moment-là) ; ils ont fait un relevé topographique de l'enclos non pas pour signifier que Rouru était mort mais au contraire pour le rattacher au présent en souhaitant qu'il y demeure : « Aujourd'hui le défrichement est terminé et nous espérons, concluent-ils, qu'on va continuer à entretenir et réparer les bâtiments en ruine »...

Leur relevé topographique comporte des lacunes et quelques erreurs... ce qui est compréhensible vu l'état des lieux, l'absence de tradition orale longue et fiable et surtout le manque de plans précis datant de la construction.

La présente étude du 1/2 siècle d'existence du couvent, malgré des trous importants dans la chronologie, pourra aider à reconstituer la structure d'ensemble de l'enclos et à faire revivre le cœur battant des occupantes. Il reste que les documents étudiés sont muets sur certains aspects que l'état actuel de Rouru ne permet pas d'élucider. Pour tenter de reconstituer ce que fut Rouru, le plan établi vers 1900 par le Père Janeau est une base de départ tout à fait valable. En effet le Père Janeau est arrivé à Mangareva en 1887 et il est tout à fait vraisemblable qu'il ait pris ses renseignements auprès des quatre dernières religieuses de Rouru encore en vie à ce moment-là.

* Une construction inspirée

Les trois bâtiments principaux sont dessinés, avec l'indication des distances qui les séparent. Certaines dénominations sont cependant surprenantes ; le Père Janeau n'est d'ailleurs pas le seul à donner des noms fantaisistes ou approximatifs, comme on a pu le voir au fil de la chronologie. Ce manque de précision pourrait du reste avoir un sens et signifier que les sœurs et peut-être même leurs aumôniers attachaient moins d'importance au nom officiel qu'au nom d'usage : chapelle, école, salle commune, etc. Il faut remarquer aussi que quelques constructions, encore visibles sous forme de vestiges, ne sont pas mentionnées. De même ce plan ne permet pas de déterminer s'il y avait ou non division du parc en deux enceintes. Or Laval et Cuzent parlent de deux « enceintes » sans préciser toutefois si une barrière (un mur, une haie) les séparaient. Sur le terrain aujourd'hui, il ne subsiste aucune trace.

Les principaux corps de bâtiments de Rouru conçus par les missionnaires sont donc au nombre de trois :

Le plus important est « la maison des sœurs », ou « couvent des Sacrés Cœurs ». Le Père Janeau nomme cette maison « Ste Marie », ce qui n'est confirmé nulle part dans les documents d'archives. Il divise le local en « salle de travail » au rez-de-chaussée et « dortoir » à l'étage. Il dessine un puits près du trottoir et des toilettes à gauche du bâtiment toujours visibles à l'état de ruine. Mais le tout est assez sommaire. Pour plus de précisions, il faut se reporter aux descriptions laissées par les témoins cités dans la chronologie. Il en ressort que dans « l'enceinte » du couvent, au centre, se trouve la maison principale « maison des sœurs » de 95 pieds (variante : 90) de long. La répartition des pièces est donnée avec exactitude par le Père Cyprien (lettre du 9 janvier 1845), par M. Cuzent (compte rendu de sa visite en 1858) et par l'abbé de Laval (en 1850) : au rez-de-chaussée, une grande salle commune, salle de travail ou réfectoire, ou salle de chapitre et à chaque extrémité du bâtiment, un appartement dont un a servi de chapelle, entre 1843 et 1847, avant de devenir le local de rangement des quenouilles, et l'autre sert de chambre à la Supérieure ; à l'étage, un dortoir avec 30 lits (Cuzent en 1858) ou 60 (M. Henry en 1851) ou avec des nattes (de Laval en 1850).

Le deuxième plus important bâtiment est celui de la chapelle, construit en 1847. Tout de suite à gauche en entrant, il mesure 80 pieds de long. Le Père Janeau le dénomme « Sacrés Cœurs ». Le couvent lui-même portait le nom de « couvent des Sacrés Cœurs » (Liausu, 1850). Les descriptions précises des témoins de l'époque permettent de retrouver le plan initial (P. Cyprien sa lettre du 12 mai 1847 ; Cuzent son récit de 1858) : la chapelle de 40 pieds de long avec son autel formé de deux grandes tablettes de corail taillées, orné de colonnettes à chapiteaux corinthiens ; le fond est orné d'une belle boiserie et l'ensemble est décoré de vitraux, de deux reliquaires, de deux vases à fleurs, de chandeliers. La tradition mangarévienne rapporte que c'est ce même retable (boiserie) qui orne maintenant le fond de la nef de la cathédrale St Michel, à gauche en entrant. ... Attenant à la chapelle, un local latéral de 12 pieds carrés sert de chapelle pour le public, c'est là qu'est enterrée la (pseudo ?) dépouille du Père Cyprien. Séparées de la chapelle par une cloison, deux pièces de 20 pieds de long chacune servent l'une d'infirmerie, l'autre de chambre pour le Père Cyprien (il semble qu'il ait été le seul à l'occuper, pendant quelques années seulement avant son départ en 1855). Au-dessus est un dortoir de 10 lits.

Le troisième bâtiment est l'école des sœurs que le Père Janeau est le seul à appeler St Joseph. Il se trouve dans l'autre « enceinte », celle de l'école des filles, déjà construite en 1842 et citée le plus souvent sous la dénomination de « pensionnat ». En effet beaucoup d'élèves (toutes ?) étaient pensionnaires. Cette école « au fond à gauche » (Laval) correspond très probablement à la ruine actuelle adossée au mur de clôture, que les écoliers de 1985 avaient appelée « hangars » et à laquelle se réfère François Vallaux quand il écrit : « Il existait encore deux autres bâtiments (cuisine, communs, salles de classe ?) ». Le Père Armand Chausson parle aussi d'une « cuisine pour les pensionnaires » (élèves de l'école) construite à l'endroit désigné par le Père Cyprien avant son départ. Et l'abbé de Laval parle d'une salle de jeux et d'un dortoir. Il signale aussi - il est le seul - un quatrième corps de bâtiment qui sert de hangar et qui forme le 4e point extrême d'une croix grecque. Ce bâtiment apparaît sur le plan du Père Janeau à droite en entrant ; il ne semble avoir que trois côtés.

Tel était le « couvent d'en haut » ; mais l'institution comprenait aussi le « couvent du dimanche », ou « succursale », au bord de la mer, pour les fins de semaines des sœurs en général et pour le repos et la convalescence des malades. C'est là que se retireront les dernières survivantes à la fin du XIXè siècle.

Quant aux autres installations, elles sont peu ou pas du tout évoquées dans les lettres et documents. Or les vestiges actuels conservent les restes de toilettes constituées de trous taillés dans la pierre ; des fosses indiquent clairement que les Sœurs constituaient des réserves de ma ; un puits, une citerne subsistent... Mais que dire de la grande fosse bâtie en pierres sèches, située en contrebas de la maison des sœurs et qui ne figure pas du tout sur le plan du Père Janeau ? Certains ont pensé à un lavoir, mais vu la profondeur c'est peu vraisemblable. Le plus probable c'est qu'il s'agit du puisard dont parle Gilbert Soulié en 1855, qui servait à l'évacuation des eaux usées et qui, à l'origine, devait être recouvert d'une voûte (qui s'est effondrée sous la poussée des racines et des lianes... ou de l'outillage moderne de déblaiement ! ?)...

* Des sentiments fervents, une vie intense

Comme on peut le constater, il reste beaucoup de points d'interrogation non seulement en ce qui concerne les constructions mais plus encore à propos du mode de vie des sœurs. Sur ce dernier point, que peut apporter la chronique du 1/2 siècle d'histoire de Rouru ? Il en ressort tout d'abord que les « sœurs de Rouru » aspiraient à vivre comme des religieuses dans leur communauté structurée comme un « couvent des Sacrés Cœurs ». Elles avaient une chapelle, d'une dizaine de mètres de long, qui pouvait accueillir une centaine de personnes et dont la décoration était encouragée et assurée par les Pères et les Frères : autel sculpté, panneau de bois décoré, tabernacle, lampes, vitraux, reliquaires, chandeliers, vases de nacre, pendule... Elles faisaient les exercices religieux quotidiens prescrits dont l'adoration (en manteau rouge à partir de 1863). Elles priaient, elles chantaient.

Elles participaient aux travaux de construction, fabriquant elles-mêmes la chaux. Elles cultivaient leur grand jardin à l'intérieur de l'enclos. Mais une de leurs tâches principales était de faire la classe aux fillettes de l'archipel, dans le pensionnat tel qu'il est décrit plus haut. Il apparaît aussi qu'elles consacraient une grande partie de leur temps à filer si l'on en juge par la place qu'occupaient leurs quenouilles dans la pièce voisine de la salle principale de leur maison commune. Elles assuraient l'entretien de l'enclos et veillaient à la bonne tenue de l'ensemble des locaux. Les descriptions des dortoirs, laissées par les visiteurs, donnent à penser qu'elles s'appliquaient à les maintenir propres et beaux une authentique préoccupation de religieuse. Après le départ du Père Liausu, aucun autre aumônier du couvent n'a utilisé la chambre que le « Père Fondateur » avait fait aménager à côté de l'infirmerie. Il semble même qu'à partir de cette date (1855), les religieuses aient organisé elles-mêmes la vie du couvent sous l'autorité de leur supérieure et non du supérieur de la mission, comme l'atteste la lettre du Père Armand Chausson, du 16 septembre 1855 et comme le confirme celle du Père Nicolas Blanc du 27 mai 1868 qui laisse entendre clairement que le sœurs de Rouru ont décidé elles-mêmes de participer au commerce de la nacre.

* Le temps des ruines et du silence

Il est un fait, en tout cas, que les Pères de Mangareva qui ont succédé au Père Laval ont cessé de parler de Rouru dans leur correspondance, de sorte que pendant vingt ans, plus aucun écho du couvent n'est parvenu à l'extérieur. Entre 1875 et 1904, la correspondance abondante (plus de 50 lettres) des deux « Vicaires apostoliques » qui se sont succédé au siège de Papeete, Tepano Jaussen et Marie-Joseph Verdier, ne mentionnent pas une seule fois le nom de Rouru. Or, c'est le moment où Rouru a décliné année après année jusqu'à la fermeture définitive de la porte monumentale et à l'abandon du plateau, au pied du pic de Mangareva.

Ce déclin progressif se lit clairement dans les lettres et commentaires relatifs à l'ensemble de la population de Mangareva pendant cette période. En effet, la diminution du nombre des naissances, la réduction de la proportion des filles par rapport aux garçons, la baisse de la moralité et la montée de l'impiété ne pouvaient pas ne pas avoir de répercussions directes sur le recrutement de Rouru et la volonté de persévérer des jeunes « sœurs ». La Mission est même allée jusqu'à envisager l'importation de femmes de pays étrangers ! Tout a convergé pour rendre impossible et quasi insoutenable le maintien d'un couvent au règlement rigoureux et, de surcroît, une des causes de la diminution dramatique du nombre de filles à marier dans une communauté très réduite. Avec une population tombée à 650 habitants en 1881, Mangareva ne pouvait plus remplir un couvent prévu pour 60 à 80 « religieuses » et assurer dans le même temps sa propre survie. L'initiative de la dernière chance tentée par Mgr Jaussen, cette même année 1881 (recruter des femmes du Chili), révèle tout le tragique de la situation. Cette année 1881 marque sans doute le commencement de la fin de Rouru.

Et ainsi l'histoire de Rouru s'achève comme elle avait commencé, par un point d'interrogation. De même que la date de fondation est incertaine, celle de l'abandon l'est aussi !...

En 1881, le Père Nicolas Blanc écrit qu'il a reçu « 35 francs de Rouru pour la propagation de la Foi ». Il écrit « de Rouru » et non « des sœurs » ou « des religieuses », preuve que le « couvent d'en haut » est toujours en activité. En 1885, le même Père Nicolas Blanc annonce qu'il ne « nous reste plus que quatre sœurs indigènes » et il ne cite pas Rouru. Il est donc fort probable que ces quatre sœurs ne sont plus dans l'enclos de Rouru, beaucoup trop grand pour elles et qu'elles sont descendues se retirer au « couvent du dimanche », où on les retrouve en 1891.

L'abandon de Rouru pourrait donc se situer entre 1881 et 1885. En 1892, Sœur Mélanie Moison (de St Joseph de Cluny) découvre Rouru en ruine. Dix ans, c'est sans doute un laps de temps suffisant sous ces latitudes pour qu'un monument, même solidement bâti en pierre, tombe en ruine.

Depuis l'abandon de Rouru, l'entretien des lieux semble avoir été très irrégulier, à la limite du désintéressement. La plupart des photos des années 1930, et même d'autres plus récentes, montrent le plus souvent des amas de branches et de troncs d'où émergent à peine quelques murs recouverts de végétation. Comme, par ailleurs, personne parmi les anciens ne semble avoir conservé le moindre souvenir d'événements vécus par les sœurs, on pouvait craindre, à juste titre, que non seulement la mémoire mais aussi les vestiges de Rouru disparaissent à jamais.

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