1998 - Tahiti Pacifique n°85 (1)

Tahiti Pacifique n°85 p.38

Accords de Nouméa

Indépendance n’est pas rupture

OUF ! Ça y est ! La Polynésie peut reprendre son sourire habituel et pourquoi pas, sabler le champagne ! Touchons du bois, car la catastrophe a été évitée en Kanaky-Calédonie. On peut féliciter les acteurs des accords de Nouméa, d'une part pour la lucidité des gens du « Caillou » (FLNKS, RPCR) et d'autre part, pour la souplesse de l'ÉTat. Cela n'était pas évident car une constitution ne se tripatouille pas comme ça. Or, elle va se mettre à jour, s'adapter à la situation nouvelle provoquée par ces accords.

Sur la photo, historique, publiée par la presse, tout le monde a le sourire ! C'est l'essentiel : qu'ils trouvent, eux, que leur texte est bon. Cela veut dire 20 ans de paix en Kanaky-Calédonie et en Polynésie française. Fabuleux !

Cela signifie aussi qu'il y a une volonté de rendre effectif le principe de la décolonisation de l'ONU, telle que prévue par les résolutions 1514 du 14 décembre 1960, 1541 du 15 décembre et 43-47 du 8 novembre 1988. Tout est à décoloniser, y compris la Constitution française !

Premiére retombée : il n'y a plus d'anti-indépendantistes (curiosité désormais exclusivement polynésienne !) parce que le RPCR s'est engagé à une obligation de résultat vers l'autonomie pratique, tout au long de la période de transferts irréversible des compétences. Gaston Flosse peut arborer son sourire malicieux en coin : ça ressemble, en effet, à l'autonomie polynésienne. Mais, ça ne l'est pas. Leur statut-processus comporte le principe de la souverainelé, pas le nôtre.

Accord dans un accord, le texte verrouille le RPCR et la France qui ne disposeront plus de l'alternative consistant à retourner les responsabilités à l'État. C'est le principe de l'irréversibilité, absent du statut polynésien. C'est un peu les portes coupe-feu se refermant derrière soi, sans possibilité de les rouvrir, au fur et à mesure qu'on sort d'un immeuble en feu. Mais, ils ont décidé qu'il n'y a pas péril en la demeure puisqu'ils se donnent plus d'une décennie pour réussir.

Deuxième retombée : certaines décisions du Congrès ont immédiatement valeur de loi !

Avec ça. notre assemblée devient soudainement le musée des zombies d'outre-tombe, à des années-lumière en arrière. On sait que notre Président (la majuscule est statutaire, seul point supérieur au texte calèdonien !) [*], courageux en diable, se trouve déjà sur le grand récif où se brisent les rèves, à là recherche de coquilles de lois, vides : comment transformer ses conseillers en législateurs ? Les accords de Nouméa démontrent que si la France est repentante, l'État, lui, n'est pas fou ! Il renverra tout simplement Gaston consulter les 35 %, ou bien plus, d'indépendantistes autour d'Oscar Temaru et, bien sûr, inversement s'il s'agit de l'indèpendance. La volonté de l'État est claire : « Entendez-vous d'abord ! » Connaissant la pugnacité de notre Président, il ne sera pas inintéressant de suivre le combat qui s'annonce.

Enfin, au bout de la période probatoire, le grand référendum sur les droits régaliens : défense, justice, etc…, ce sera. en fait, le bilan sur les exercices pratiques essayés en autonomie et à transformer en indépendance. Je parie que la Kanaky-Calédonie optera pour la pleine souveraineté, moyennant d'autres conventions avec la France en particulier pour la défense et, dègressivernent, en matière de justice. etc…

Dans ce cas, l'indépendance ne sera jamais une rupture. Voilà, de quoi rassurer les Polynésiens qui ont peur de leur ombre.

Oscar est content : la Polynésie française dispose largement de temps pour accéder à sa souveraineté par la seule démocratie du vote, avant le référendum kanako-calédonien. Paix sociale, maturité politique, c'est plus qu'il n'en faut pour assurer un bon avenir.

La leçon kanak indique cependant qu'on peut y arriver, tout en étant minoritaire, par la discussion.

Il existe bien une troisième méthode (très prisée chez nous) el consistant à taper du pied, chanter « La Marseillaise », faire des trémolos dans les discours de patriotisme, danser, claquer des portes... mais, je crois que les Farani parisiens sont fiu de ce ridicule-là.

Les socialistes sont malins : à Jospin de chauffer la salle le 4 mai à Nouméa et à Chirac de demander pardon aux Kanak ! Le geste fort attendu. Chiche !

Étienne TEPARll

[*] Note de la rédaction : Ce qui n'est pas exact. Le texte du statut de 1996 paru au journal officiel de métropole écrivait « président du gouvernement de la Polynésie française » avec un « p » minuscule. Ô miracle tahitien, celui-ci devint majuscule lors de la publication au journal officiel de la Polynésie française. À notre quête sur l'origine de cette extraordinaire mutation, un haut fonctionnaire territorial nous expliqua qu'il s'agissait « d'un acte d'un fonctionnaire zélé ». Depuis juin 96, ce fonctionnaire zélé continue de sévir, Président étant depuis toujours écrit avec une majuscule au J.O.P.F.

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