1998 - Tahiti Pacifique n°84

Tahiti Pacifique n°84 p.5. 15-21

[Edito p.5 : Pour ce numéro anniversaire, Étienne Teparii vous a préparé un superbe dossier sur les Maoris de Hawaii et même si vous etes familirs de ces îles. Il vous passionnera…]

Kamehameha I et l’histoire des Hawaiiens

Par Étienne TEPARII

Après-CEP oblige, la Polynésie française va devoir réintégrer son environnement naturel, le Pacifique. Voici donc un excellent dossier, écrit par un Tahitien, qui rappelle ô combien ce territoire est lié au nôtre et à l'histoire de ces frères polynésiens. Peut-être pourrions nous retenir des enseignements de ces lignes ...

A.d.P.


ON NE FINIT PAS de s'émerveiller devant l'histoire des Maoris, ces plus grands navigateurs, dit-on, de tous les temps qui sont les premiers colonisateurs des milliers d'îles du Pacifique. Pourtant, la plus grande conquête du Maori n'est pas dans son passé. Elle se situe dans le futur, lorsqu'il aura fait le tour… de lui-même : trouver son unité en tant que peuple, sa longue histoire écorchée par des siècles de séparation et d'érosion, ses traditions polies par I'usage… La préserver est une urgence face à la mondialisation.

Dans le Tahiti-Pacifique de novembre 1997, j'ai révélé pour la première fois, du moins dans un média francophone, la fameuse prophétie annonçant les malheurs et l'unification des peuples maoris. Une prophétie qui vient de la nuit des temps, mais qui est toujours vivante dans la mémoire collective.

Depuis que Liholiho Kamehameha II, roi de Hawaii, est venu aux environs de 1819-1820 à Maupiti pour sceller l'alliance de l'Est, les Polynésiens ont toujours gardé le contact. La fin du 20ème siècle en a vu l'accélération : pirogues, échanges culturels, conférences et rencontres d'une intensité émotionnelle très grande. La prophétie est toujours en marche. Elle a réveillé plus d'un, à Tahiti, tels par exemple les familles tahitiennes Drollet et Allain qui ont eu pour tupuna (ancêtre) commun une princesse de la dynastie des Kamehameha : Meleana na Makeha. Arrivée en 1826, Meleana reçut l'hospitalité, noblesse oblige, de la reine Tehaapapa II de Huahtne. En cherchant bien aux Marquises, à Rurutu, on devrait retrouver d'autres liens. Et, ce n'est pas par hasard que le jeune Godji, fils d'un Marquisien, vient de sortir une chanson sur Kamehameha. Une première en Polynésie française.

L'histoire des Kamehameha intéresse donc. Autant la reprendre par son début, à situer à un vingtaine d'années avant l'arrivée à Hawaii, en 1778, du premier Européen connu : le capitaine James Cook.

Les guerres inter-îles

À quoi donc s'occupaient les Maoris avant l'invasion par les Occidentaux ? Ils faisaient comme tout le monde : ils s'entretuaient ! Que ce soit à Tahiti, aux Tuamotu, aux Marquises ou à Hawaii, le calendrier était partout le même : une saison pour la guerre et une autre pour la préparer. La pirogue double servait à toute autre chose qu'au sport : longer les récifs et les plages, à la recherche de victimes potentielles. On massacre les mâles. On se réserve les filles et les femmes.

Bien entendu, l'ordinaire pouvait s'améliorer. Chez nous, les chefs vaincus passaient au kopihe (four). À Hawaii, c'était différent, moins gastronomique. En effet. le respect dû à un chef implique qu'à sa mort, il soit complètement désossé pour ne garder que le squelette renfermant le mana. Un chef, vaincu et tué, devait donc suivre un rituel identique. Son squelette était ensuite offert en sacrifice au Dieu de la guerre, au cours d'une cérémonie où le silence devait être absolu, afin de ne pas perturber le passage du mana. Le moindre bruit, parole ou toussotement ou cri d'un enfant, entraînait la mort de l'auteur. Après quoi, le squelette était distribué pour servir de matériaux de pêche parce qu'il y a du mana dedans ! En principe, ça devait mordre.

Il est à remarquer que les Européens ne manquaient jamais d'exploiter ces rivalités entre villages, entre îles. À Tahiti, c'était un royaume qui prenait forme grâce aux déserteurs de la Bounty. À Hawaii, il y avait aussi une histoire de bateau : la goélette Fair American, équipée de canons, fut prise d'assaut. Les deux survivants, Isaac Davis et John Young, deux Anglais, étaient astreints à servir d'interprètes et de conseillers auprès de Kamehameha.

Mais, ce dernier réussissait, par le troc du bois de santal, à obtenir des Américains et des Anglais d'autres armes à feu.

N'allez cependant pas croire que ces guerres étaient la principale cause de l'extermination des populations hawaiiennes. L'hécatombe eut pour origines les maladies introduites par l'arrivée des popa'a, l'alcool et aussi à la famine. En 1805, soit 26 ans après l'arrivée de Cook, 35% de la population des îles Hawaii avait disparu. Estimée à 300 000, elle chuta à 195 000. En 1823, 18 ans plus tard, elle descendait à 135 000. Et elle se réduisit encore.

Kamehameha I

Nombreuses sont les traditions orales, légendes mêmes, qui magnifient ce guerrier hors du commun. Déjà, avant sa naissance vers 1758 à Kohala (île de Hawaii), il est dit que sa mère Kehuipoiva éprouvait l'envie de déguster un œil de chef ! À la place, on lui offrit un œil de requin, mangeur d'hommes. Les kahuna (prêtres) prédirent que l'enfant serait un rebelle, un tueur de chefs. Il le fut.

Cette logique voulut qu'il eût un nom qui colle bien à sa personnalité : « Kamehameha », « le terrifiant qui ne sourit pas et qui fait peur ».

À cause des hostilités inter-îles et pour se conformer à la prophétie de l'unification, l'enfant était élevé dans le secret, comme le sera son fils Liholiho Kalaninui. Il fut, à son adolescence, confié à une famille de Rurutu où il passa sa prime jeunesse. C'est cette expérience qui, plus tard, le déterminera à envoyer son fils Kamehameha II à Maupiti.

À son retour à Kona (Hawaii) c'est un colosse de plus de deux mètres de haut, qui se présente par devant le chef, son oncle Kalaniopuu. L'honneur que ce dernier rendit à son neveu fut de lui prêter sa vahine, un honneur dont naîtra un enfant. De ce côté là, Kamehameha, par la suite, n'eut aucune difficulté à se trouver pas moins de 21 vahine dont 9 lui assureront 24 héritiers et héritières. L'une d'elles était Keopuolani, 11 ans, la future mère des Kamehameha II et III.

Le capitaine James Cook

Le célèbre explorateur, officier de l'armée anglaise, avait déjà touché les îles Hawaii en 1778, à Kauai. En 1779, ses deux navires se présentèrent devant la baie de Kealakehua, à Hawaii. Plus persuasif qu’un missionnaire, James Cook réussit à transmettre son message de paix, tellement que les kahuna le prirent pour Lono, le dieu de la paix et de l’agriculture. C’était à la fois un honneur mais aussi un piège enfermant ce dieu incarné dans l’interdiction de faire parler ses armes. Lono étant le dieu de la paix, de la préparation à la guerre, mais pas à la guerre, les Hawaiiens pensèrent logiquement qu’ils pouvaient donc prendre de qu’ils désiraient sans provoquer la colère de ce dieu bon ! C’est ainsi que disparut, à bord d’un navire, un couteau.

Le capitaine Cook décida de mener une action punitive consistant à prendre en otage le chef Kalaniopuu, en personne. Les Hawaiiens en déduisirent qu'il n'était pas Lono. Alors ce fut le massacre, deuxième fait de guerre du jeune Kamehameha, 21 ans, et fier de détenir le scalp du capitaine maladroit tué le 14 février 1779. Je ne pense pas que les Hawaiiens l'aient mangé parce que, pour eux. le mana ne se trouve pas dans la chair, mais dans le squelette. Ensuite, pour désosser un cadavre, ils le plongent dans l'eau de mer ou l'enterrèrent jusqu'à complète décomposition. Dans les deux cas, il ne reste plus rien à se mettre sous la dent. Inconvénient que les Papous ont su astucieusement contourner, en plaçant le cadavre sur un paepae (échafaudage) d'où ils recueillent de quoi accompagner le taro...

Unification par les armes

J'insiste sur le terme unification, car aussi vraie que fut sa réputation de guerrier cruel. Kamehameha ne tuait pas pour le plaisir de tuer. Il ne faisait pas la guerre pour anéantir ses voisins. Chacun et tous les chefs des autres îles le haïssaient et n'avaient qu'une idée : le tuer. Kamehameha n'en avait cure, tant lui paraissait sacrée la prophétie, ce mele que chantait inlassablement le Kahuna Keaulumoku : « Un enfant naîtra pour dissiper les souffrances du peuple maori ».

Il était convaincu qu'il s'agissait de lui. On sait qu'après lui aucun des chefs, rois et reines de Hawaii ne prendra cette prophétie à son compte. Ce message d'espoir dépassa les frontières de Hawaii, atteint tout le Pacifique polynésien et traversa le temps jusqu'à nous. En 1782, le chef Kalaniopuu meurt après avoir laissé à son fils Kivalao sa succession et à son neveu Kamehameha la garde du Dieu de la guerre, Kukailimoku. Les deux cousins ne resteront pas longtemps amis. De la palabre à l'insulte, ils en vinrent très vite à l'affrontement armé. Kivalao fut tué. Désormais, le chef de Hawaii, c'était Kamehameha. Et c'est alors qu'il soumettra les autres îles à sa seule autorité, par les armes, la ruse et la diplomatie.

Avec son armada de près de 2 000 pirogues dont quelques centaines (les pepelu) étaient équipées de voiles, le côtre Fair American faisant office de navire amiral réservé à Kamehameha et avec l'aide de deux mercenaires anglais (Davis et Young), les autres îles n'eurent aucune chance. Comme on le sait, le Maori mesure souvent un rapport de force à l'envers : se battre d'abord. On verra, après, qui est le plus fort !

C'est dans ce piège que tombèrent les premiers adversaires de Kamehameha qui les a attirés sur son propre terrain, à Mokuohai (Hawaii).

Mais, avant d'aller plus loin, situons d'abord la configuration ; de l'Est à l'Ouest, il y a d'abord Hawaii (la plus grande île) Maui, Lanai, Kahoolave, Molokai, Oahu (île où se trouve Honolulu), Kauai et Niihau. C'est donc un archipel de huit îles volcaniques s'étendant sur environ 600 kms.

- En 1782, bataille de Mokuohai (Hawaii)

- En 1790, bataille de Hana, Vailuku (Maui)

- En 1791, bataille de Vaimanu (Hawaii)

- En 1795, bataille de Lahaina (Maui) et Nuuanu (Oahu)

- En 1796, Kamehameha attaque les deux dernières îles de l'Ouest, Kauai et Niihau. C'est l'échec dû, dit-on, à une tempête. Pour ceux de Kauai, la tempête n'avait rien à voir : les guerriers de Kauai auraient, de nuit, rempli de cailloux les canons de Kamehameha !

- En 1804, nouveau raid sur Kauai et Niihau. Nouvel échec. Le responsable cette fois-ci, c'est la maladie: le choléra ou la peste ?

Finalement, les trafiquants du bois de santal, craignant que ces guerres allaient ruiner leur commerce, réussirent à persuader les belligérants de négocier leur conflit. Ce qui fut fait en 1810. Kaumualii, chef de Kauai, reconnut la souveraineté de Kamehameha, tout en continuant de gouverner ses deux îles.

L'unification des îles était complète. Le royaume de Hawaii existait. Il était fort parce qu'uni face à l'arrivée massive des Occidentaux. Cela prit 28 ans à Kamehameha, maintenant âgé de 52 ans. Il ne lui restait que neuf ans à vivre. Très peu de temps donc pour consolider son royaume. Il mourra le 8 mai 1819, à 61 ans. Il ne verra pas l'effondrement rapide du royaume de Hawaii, annoncé par la prophétie. L'enfant qui essuiera les larmes des Maori appartient au futur...

Kamehameha législateur

La première loi qu'édicta Kamehameha prend son origine dans une mésaventure : À Puna, son pied s'est trouvé coincé dans la fente d'un rocher. Pendant qu'il s'activait à dégager ce pied, un pêcheur profita de l'aubaine pour lui assener un magistral coup de rame sur la tête ! Cette raclée lui permit de méditer sur l'injustice que peuvent subir les faibles. D'où la loi dite Kanavai Mamalahoe, « the law of the splintered paddle », (la loi de la rame brisée) protégeant le droit d'aller et venir des faibles, de la femme, de l'enfant et du vieillard.

Mais, pas question de déroger à la sacro-sainte coutume obligeant les femmes à manger séparément des hommes ! C'est son fils Liholiho qui la supprimera. En 1978, la loi Mamalahoe a été intégrée dans la constitution de l'État de Hawaii, laquelle l'étend à la sécurité des personnes, au respect du mode de vie indigène, à la conservation et à la protection de la beauté des îles, à la protection des ressources de la terre, des réserves de pêche et de chasse.

On comprend qu'à Hawaii, une canette vide de bière jetée coûte une amende de 5 000 dollars ! Kamehameha créa d'autres lois : contre le meurtre, le vol et le pillage, et surtout l'impossibilité pour le haole (l'étranger) de posséder la terre.

Kamehameha et le développement

Afin de minorer et de contrôler le risque de révolte, Kamehameha divisa les terres conquises en autant de domaines qu'il y a de chefs de haut rang et influents. Il les encouragea à pousser les populations à développer l'agriculture, la pêche. Il se mit lui-même à travailler la terre et à créer plusieurs fermes.

C'est en 1793 et 1794 que le capitaine Vancouver, au service du roi d'Angleterre Georges III, offrit à Kamehameha des bœufs et des moutons. L'affaire de James Cook était oubliée. Les chevaux, eux, furent introduits en 1803 par un commerçant américain, Richard Cleveland.

Kamehameha accompagna ces cadeaux « effrayants » d'une loi de protection. Ce ne fut que 23 ans plus tard, en 1815, que l'Américain John, Palmer Parker fut autorisé à effectuer les premiers abattages : produire de la viande salée pour les bateaux étrangers et en distribuer à la population. La famine était éradiquée.

Kamehameha fit venir de Californie les paniolo (fermiers mexicains et espagnols) pour former les Hawaiiens à l'élevage.

Innocence d'un système

Tout le système de la société s'articulait autour du lokahi (balance et harmonie) c'est-à-dire qu'il était basé sur la terre (pàpà), le ciel dieu (vakea), les sources et les courants dieu (Kane), l'océan dieu (Kanaloa) et le volcan déesse (Pele). L'autre dimension était la relation de chacun avec l'autre. La conséquence était que tout le monde avait la libre jouissance de la terre et des ressources naturelles, propriété des Dieux et de personne d'autre. C'est joli. Mais...

Hélas, Kamehameha, soucieux de maintenir son royaume absolument dans l'intégralité de ses traditions et, en même temps, de l'ouvrir sur l'extérieur, ne savait pas que pour les nouveaux conquérants de la planète, les Européens, c'est le droit de propriété individuelle qui compte. Alors, toutes ces belles terres douces et verdoyantes, sans propriétaire attitré, c'était du tout cuit pour la canaille : les trafiquants, commerçants, planteurs et autres chasseurs de baleine.

C'est encore, lorsqu'en 1848, suprême erreur, Ka Mahele instaure un système de propriété privée concentrant 99,2 % des terres entre 245 chefs, la couronne et le gouvernement et qu'en 1850 les étrangers acquérirent le droit de propriété, ceux-ci ne se gêneront pas de se déclarer les maîtres de Hawaii. Nous verrons comment.

Mais, cela n'était plus l'affaire de Kamehameha I, mort de maladie en 1819. Ses dernières paroles furent : « Ce que je laisse à votre jouissance est sans limite ». Il se trompait. Car, son peuple ne profitera pas de la prospérité de Hawaii. C'est ce que nous allons voir.

L'après-Kamehameha

Tout va s'accélérer. En moins de 75 ans, on assistera à une certaine grandeur du royaume de Hawaii et à son démantèlement systématique à partir de 1887. C'est Karnehameha III qui, dès le 24 décembre 1826, signe un traité de commerce avec les USA En 1839, avec le « Bill of rights », il transforme le gouvernement en monarchie et en 1840 dote le royaume d'une constitution. Les USA reconnaîtront ce royaume puisqu'ils signent plusieurs autres traités :

- La « Tyler Doctrine » de 1842 engageant les USA à ne pas prendre possession des îles, à ne pas les coloniser et à ne pas renverser le gouvernement.

- Le traité de l'amitié, du commerce et de la navigation (24 août 1850)

- Les droits de neutralité en mer (25 mars 1855)

- Les deux traités de la réciprocité commerciale de septembre 1876 et du 09 novembre 1887.

En 1887, le royaume de Hawaii réalise un nombre impressionnant de traités et de conventions internationaux avec la Belgique, la ville de Bremen, le Danemark, la France, l'Allemagne, la GrandeBretagne, Hambourg, Hongkong, l'Italie, le Japon, les Pays-Bas, les Galles du Sud, le Portugal, la Russie, Samoa, l'Espagne, la Suisse, la Suède, la Norvège et Tahiti !

La dimension internationale de Hawaii était bien acquise. Il faut rappeler qu'un traité sur la loi interne du pays qui s'engage. Hawaii était aussi membre de l'Universal Postal Union, une des premières organisations gouvernementales internationales comprenant une centaine de postes diplomatiques et consulaires, à travers le monde. Très bien. Mais...

Premier coup d'Etat

Toujours en 1887, les planteurs américains montent un coup d'État contre le roi David Kalakaua, le forçant à signer la « Bayonet Constitution » qui abolissait ses pouvoirs de souverain ainsi que les droits civils des Hawaiiens ! Le groupe indigène qui, en 1889, organisera la révolte de Wilcox, dans le but de restaurer la Constitution hawaiienne, verra huit de ses membres tués, 12 blessés et 70 arrêtés ! Dès 1890, les étrangers contrôlaient 96 % de l'industrie du sucre. Les Hawaiiens de souche étaient devenus minoritaires, ne représentant plus que 45 % de la population. C'est que les planteurs américains avaient fait venir, en masse, des ouvriers chinois, japonais et portugais. On alla droit vers le blanchiment et le jaunissement du vote qui seront fatals à l'indigène, par démocratie détournée.

Comme l'avait fait la France à Tahiti quelques années auparavant, les Américains ont dû attendre qu'une femme soit au pouvoir pour donner le coup de grâce. À Tahiti, la reine Pomare IV s'est battue des années durant. À Hawaii, la reine Lilivokalani n'en aura pas le temps.

C'est le représentant des USA, John Stevens, qui va fomenter la conspiration avec l'aide de 162 hommes armés des forces navales des USA. Nous sommes dans l'île de Oahu. Le 16 janvier 1893, la troupe débarque et se positionne au pied de l'avenue Nuuanu, puis marche de Fort Street vers Merchant Street. Ils occupèrent ensuite Arion Hall, près du Palais Iolani. Et là, 18 conspirateurs, presque tous Américains, déclarent le gouvernement provisoire immédiatement reconnu par John Stevens ! L'effet de surprise a été total. La reine Lilivokalani adresse une protestation, datée du 17 janvier 1893, au Président des USA, Grover Cleveland. Le 18 décembre 1893, Cleveland informe le Congrès de l'illégalité de ce gouvernement provisoire. Il donne, au ministre Willis, les instructions pour informer la reine qu'elle sera rétablie, moyennant clémence pour les coupables. Fait incroyable : le gouvernement provisoire rejette les injonctions du Président des USA ! Il réclame l'annexion de Hawaii aux USA. Le 4 juillet 1894, en plein Independance Day, il n'hésite pas à proclamer la République de Hawaii, nouvelle constitution à l'appui.

Lorsque, le 7 janvier 1895, les indigènes se soulèveront pour rétablir la reine, 220 d'entre eux, dont la souveraine elle-même, seront arrêtés sous l'inculpation de « prisonniers de guerre pour trahison » ! Assignée à résidence au Palais Iolani, Lilivokalani signera son abdication le 24 janvier 1896. Elle pensait que cela permettrait de libérer les autres prisonniers. Une fois libre elle ne reconnaîtra plus son désistement. C'était naïf et mal connaître les Américains, pas, prêts de lâcher ce morceau de langouste...

presque tous Américains, décla- mal connaître les Américains, pas rent le gouvernement provisoire, prêts de lâcher ce morceau de lanimmédiatement reconnu par John gouste ...

En 1898, par la Newlands Resolution. les USA annexent Hawaii qui, de 1900 à 1959, deviendra un vulgaire territoire des USA. En 1946, Hawaii connaîtra l'humiliation d'être inscrite à l'ONU sur la liste des territoires « non-self-governing », non autonomes, c'est-à-dire à décoloniser ! Fini le royaume.

Enfin, par référendum prévu pour l'admission Act du 18 mars 1959, Hawaii devient un État des USA. Le vote est terrible : 132 938 pour et 7 854 contre ! Suprême ignominie : l'Assemblée générale de l'ONU, dans sa résolution 1469, confirma qu'en effet Hawaii avait bien exercé son droit à l'autodétermination. Il faut le dire vite ! Car, depuis une décennie, le Hawaiien n'était déjà plus chez lui !

Perte des terres

Cependant, l'objectivité impose une réflexion de fond pour comprendre ce vote écrasant. Tout ne peut pas s'expliquer seulement par le fait que les Hawaiiens de souche étaient minoritaires, en terme de population ou que Hawaii était inondée d'étrangers. Il faut toutefois savoir qu'en plus de cet handicap, les USA avaient poussé la plaisanterie vraiment loin : le droit de vote était étendu aux citoyens résidant depuis un an, à Hawaii. Autant de gagné avec les militaires US stationnés à Hawaii. En outre, la question-clé du référendum était « faut-il que Hawaii devienne immédiatement un État ? » (sic). Ce qui n'ouvre pas le choix sur l'indépendance, l'association ou l'intégration comme se dépêchera de la préciser l'ONU, un an après, dans sa résolution 1541 du 15 décembre 1960.

Je pense qu'il faut remonter le temps pour comprendre pourquoi la majorité des Hawaiiens a voté pour un statut d'État des USA. Le peuple hawaiien, très pauvre parce que sans terre, a dû finir par abandonner sa reine. N'oublions pas que, depuis 1848, il ne disposait que de 0,80 % des terres, autant dire de rien. Tout le reste était partagé entre les chefs, la couronne et le gouvernement.

Des Dieux, la propriété des biens et des ressources était passée entre les mains d'oligarques qui avaient détourné le système du lokahi. Une faute et une injustice criantes que la reine Lilivokalani a voulu réparer par la refonte de la constitution, en 1893. Les résidents ne lui laisseront pas l'occasion de se réconcilier avec ses sujets.

Conclusion

On perçoit ce lâchage quand on constate que la réaction des indigènes, pour restaurer le royaume, se réduit en une petite poignée ridicule de 300 personnes à peine, et qui n'interviendront que deux ans après les événements ! C'était une révolte frileuse et non spontanée alors qu'en 1845, ils étaient 5 790 à signer la pétition contre la naturalisation des étrangers.

Un demi-siècle plus tard, les USA avaient très bien vu la brèche qui allait permettre de dresser le peuple contre tout pouvoir indigène. En effet, peu après l'annexion et par la « Newlands Resolution », suivi par le « Organic Act » de 1900. le Congrès des USA confisquait 1,75 millions d'acres de terres appartenant à la couronne et au gouvernement. Tous les produits de ces terres étaient censés être destinés au peuple, à l'éducation et à des réalisations publiques.

En 1921, les USA enfoncent le clou en créant la « Hawaiian Homes Commission » par laquelle 200 000 acres de ces terres étaient « prêtées » aux indigènes pour l'habitat. exclusivement. Dès lors, lorsqu'en 1959 se présentera le référendum, le peuple se souviendra et des prodigués par les USA et des fautes lourdes de la couronne qui ne seront pas pardonnées. Un siècle après le putsch de 1893, Bill Clinton contourne les revendications hawaiiennes de souveraineté en demandant pardon au peuple hawaiien.

Ce qui confirme la prophétie « parce qu'il est humain, le Maori perdra sa qualité de gardien de Hawaii ». Cela signifie que la raison fondamentale pour laquelle le Maori perdra sa terre est à chercher plus dans ses propres faiblesses que dans les artifices malhonnêtes de l'étranger qui, évidemment, en profitera. Cela est valable pour la Polynésie française comme pour Hawaii. Il eut fallu un leader de la trempe d'un Kamehameha ou de l'enfant à naître...

Les Hawaiiens d'aujourd'hui l'ont bien compris. C'est pourquoi. aux îles Hawaii, le Kamehameha Day est un grand jour de ferveur culturelle et nationaliste. C'est un autre tournant, le bon, de notre Histoire.

À Honolulu (Oahu), devant le Palais Iolani où se dresse la statue de Kamehameha I, les représentants des familles de toutes les îles apporteront chacun leur pierre pour symboliser leur unité, de plus en plus retrouvée, face à l'usurpation. Les jeunes filles offriront des lei (couronnes) de bourgeons de ohia lehua cueillis à Hawaii où est né Kamehameha. Elles diront « de la part de tes enfants, accepte ces offrandes d'amour et de labeur. Aide-nous. Apprends-nous à nous unir », Elles le supplieront dans un hawaiien au fort accent américain et sans doute hésitant. Bien vrai l'avertissement d'un vieux sage hawaiien : « I ka olelo no ke ola ; I ka olelo no ka make », (Dans le langage, il y a la vie et la mort).

La prophétie a annoncé la mort. Elle prédit aussi la vie.

Ce sera pour le siècle prochain, c'est-à-dire demain.

Étienne TEPARII

Sources : -Iolani -Hoihoi Hawaii et National Geographie.

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