1997 - Tahiti Pacifique n°79

Tahiti Pacifique n°79 p.38-39

Le roi Kamehamehâ II et Maupiti

par Étienne TEPARII

LE 23 JUILLET 1997 paraissait dans La Dépêche de Tahiti un tout petit reportage indiquant que le sculpteur Maui Tauvirai avait gravé, sur une grosse pierre. les noms des neuf arii qui furent sacrés sur le marae Vaiahu à Maupiti. L'article n'en disait pas plus et c'est dommage. car c'est là un fait historique qui fut un événement de la plus haute importance politico-culturelle et cultuelle.

Le développement qui va suivre ne se veut pas péremptoire. Il admet volontiers la réfutabilité. S'agissant en effet, d'un des éléments très significatifs pour notre patrimoine, il est normal que chacun y apporte sa pierre, sa contribution.

Qui était Terihoriho ?

Parmi les neuf noms de chefs gravés figure celui de Terihoriho. C'était le fils de Kamehameha 1er. roi unificateur des Îles Hawaii. et de la dame Keopuolani. Né en 1797. Kalaninui Liholiho fut nommé roi de Hawaiti en 1819, devenant ainsi Kamehameha II. Il mourut en Angleterre le 14 juillet 1824 à l'âge de 27 ans. Disparu très jeune donc, c'est pourtant ce Liholiho qui fut au cœur même d'une prophétie maintes fois chantée par un tahua, un visionnaire du nom de Keaulumoku.

La prophétie de Hawaiti

« Au commencement était l'obscurité. De cette obscurité Io créa la lumière. À cet espace de lumière, il donna le nom de Hawaiti. Ici, il combina les éléments tels que le vent, la pluie, la terre et le feu. C'est un lieu spécial, un lieu qui sera son royaume sur terre. Il y placera l'homme ma'ohi comme gardien de cette terre. Celui-ci vivra en harmonie avec sa loi. Mais, parce qu'il est humain, le Ma'ohi s'écartera de la loi de Io et perdra sa qualité de gardien de Hawaiti.

Le Ma'ohi traversera un temps de souffrances, mais un enfant naîtra pour dissiper les souffrances du peuple ma'ohi et il sera destiné à restaurer tout Hawaiti sous la loi de Io. Alors, Hawaii sera la pierre roulante qui changera les événements, d'ici jusqu'à Tahiti ».

Maupiti et la prophétie

Kamehameha 1er qui aurait vécu une partie de sa jeunesse à Rurutu, était persuadé que l'enfant, dont parle la prophétie était son fils, Liholiho. Il fallait donc le former, l'éduquer et surtout le protéger contre les guerriers d'un autre chef ennemi : Alapai. Celui-ci, en effet, avait donné l'ordre de tuer tout mâle né « sous l'étoile qui a une queue blanche. » (la comète Haley). Cependant, la meilleure défense étant l'éloignement, c'est en secret qu'après sa désignation en tant que roi. Liholiho Kamehameha II partit à Maupiti. Il y débarqua avec Malietoa, le frère du roi des Samoa. Ils y vécurent trois ou quatre ans, de 1819 ou 1820 à 1823.

Les nouvelles n'étaient pas bonnes : Pomare II avait gagné sa guerre de Nuuroa. Les Tahitiens détruisaient les marae. Ils préfèraient de plus en plus, la nouvelle religion des popa'a : le christianisme.

Quelles sont les autres îles ?

Sachant que Malietoa et Liholiho représentaient Samoa et Hawaii, qui étaient les sept autres chefs et quelles îles représentaient-ils ? Il y a un problème : la source hawaiienne (Iolani) qui aurait dû s'appuyer sur le document de Maupiti, avance les noms suivants : Amaiterai pour Rurutu. Vahinerua pour Rimatara, Tamatea pour Atiu, Piurairai pour Rapa Nui, Mateata pour Rarotoa, Temaruanu pour Maaroaro et Mahamaha pour Manitia.

La liste burinée sur la pierre du souvenir, le 8 juillet 1997, est différente : Hamaiterai pour Rurutu, Maleata pour Rimatara, Tamatea pour Raivavae, Tepiurairai pour Rapa, Hama pour Atiu, Mahamaha pour Manitia et Maruano pour Maaroaro. À n'en pas douter, c'est, comme qui dirait de nos jours, le premier « Forum du Pacifique » comprenant les Iles Hawaii, Samoa, les Îles Cook, les Îles Australes et Maupiti, l'hôte !

Il est extraordinaire d'observer que, sans les moyens de communication et de transport que nous avons aujourd'hui, ces neuf chefs ont pu réaliser leur rencontre en synchronie parfaite. Certains diront (et ils sont nombreux dont je suis, même de nos jours) que c'est justement cela qui montre le caractère sacré de la fameuse prophétie dite de « l'unification ». Prophétie que Kamehameha 1er a cru voir réalisé par la naissance de Liholiho, mais qui, aujourd'hui, est largement retranscrite dans un espèce d'eschatologie polynésienne, à l'échelle du Pacifique. Il n'est pas rare d'entendre des personnes âgées faire dire à Pouvanaa lui-même « qu'un autre plus fort que moi naîtra… »

C'est la prophétie qui continue... D'autres me diront peut-être que, ors du Forum de septembre à Rarotonga, quelque 177 ans après celui de Maupiti, les Polynésiens n'ont pas montré beaucoup de solidarité puisque la résolution finale du Forum n'a pas retenu, dans l'agenda de celui-ci, la demande des indépendantistes ma'ohi. Je répondrai que le Forum n'a pas, non plus, statué par écrit sur le fameux rapport australien, insultant. Et pourtant, les chefs d'États en sont affectés tout comme ils sont préoccupés par la question de l'indépendance de la Polynésie française. La suite viendra. Mais, revenons à Maupiti.

L'Alliance sacrée

Alors qu'à Tahiti et à Moorea, le mental et le must étaient à l'iconoclasme, à la destruction des marae,, ce fut donc entre 1819 et 1823 qu'eut lieu, sur le marae Vaiahu à Maupiti, ce rite d'intronisation collective de ces chefs venus des quatre coins du Pacifique. Comme si leur nomination individuelle, dans leurs îles respectives, n'était pas suffisante. C'était là, à Maupiti, qu'ils devaient tous converger, prophétie oblige. Voilà pour l'aspect cultuo-culturel, sous la conduite d'un autre chef : Tunui. Paia Tepaora.

Quant à l'aspect politique, les huit chefs s'en remettaient, rien moins, à la seule souveraineté du royaume de Hawaiti : alliance sacrée de l'Est que le roi Kamehameha II, présent, n'avait plus qu'à recueillir religieusement. L'autre alliance, de l'Ouest, fut scellée à Samoa, toujours par Liholiho. Mais, au regard de la prophétie, la mission de ce dernier s'arrêtait là.

À partir de 1826, débuta le règne de Kamehameha III, le frère cadet de Liholiho, sur le royaume de Hawaiti.

En 1839, il fit la Déclaration des Droits des sujets et des citoyens de Hawaii. En 1840, il promulgua la constitution de 1840 faisant de Hawaiti une monarchie constitutionnelle. Le 28 novembre 1843, la GrandeBretagne et la France signent une déclaration commune reconnaissant l'indépendance de Hawaii. Elles promettent de ne jamais prendre possession de Hawaii. Or, les Australes (Tuhaa Pae ma) sont devenues françaises alors qu'elles faisaient partie du royaume de Hawaii ! La suite, hélas, on la connaît : l'effondrement de tous nos jolis royaumes pour cause de colonialisme et de trahison.

Les descendants

En juillet 1993, une délégation hawaiienne a fait un retour aux sources, à Maupitl. Nos cousins du Nord ont trouvé des preuves bien vivantes, en rencontrant des habitants qui répondent au nom de Terihoriho ou de Mariatoa. Il est plus que probable que ce sont des descendants de Malietoa ou de Kalaninui Liholiho : sa majesté Kamehameha II, roi de Hawaiti. Ce n'était pas le fruit d'un hasard. Car, les Kamehameha, réellement convaincus de leur mission unificatrice, de par la prophétie multiséculaire, avaient le souci permanent de maintenir leur lignée de sang.

S'il est vrai que Liholiho Kamehameha II a eu des enfants à Maupiti, l'un de ceux-ci aurait dû être l'héritier de la couronne de Hawaiti. Cependant, à la mort de son père, en 1824, cet héritier n'était qu'un bébé de deux ou trois ans. Ce fut donc Kauikeaouli, le frère cadet de LihoIiho, qui devint Kamehameha III. On dit que celui-ci expédia, dans sept royaumes de l'Océanie polynésienne, sept enfants mâles pour y être cachés et afin que, plus tard, ils en fabriquent d'autres. Du clonage, en fait !

La lignée royale existe toujours, très active avec Windyceslau Lorenzo ou Kamehameha VI qui fait des sueurs froides à la justice américaine, obligeant Bill Clinton à demander pardon au peuple hawaiien : « Le Congrès présente ses excuses aux Hawaiiens de souche, au nom du peuple des Etats-Unis, pour le renversement du royaume de Hawaii, le 17 janvier 1893, avec la participation d'agents et de citoyens des États-Unis et pour la privation des Hawaiiens de souche de leurs droits à l'autodétermination. (Le congrès) exprime son engagement à reconnaître les conséquences du renversement du royaume de Hawaii, afin de trouver une base propice à la réconciliation entre les États-Unis et le peuple hawaiien de souche » (l03e congrès, 19 nov. 1993).

C'était le royaume bâti par Terihoriho !

Ce qui est touchant dans cette cette belle histoire est que, fidèles à la prophétie, les Hawaiiens d'aujourd'hui vouent aux Terihoriho de Maupiti le plus grand respect, celui dû à la lignée royale. Il y aussi le marae Vaiahu. Ils disent « they are our legacy ». Ils sont notre héritage. C'est beau.

Mahalo nui loa (merci) !

Etienne TEPARII

Sources : lolani, Hawaii.

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