1989 - Conférence Non-violence

Forum Non-violence

Droits de l'homme

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Thème : La résistance non-violente au nucléaire.

par Hiti Étienne Teparii.

Présentation :

Melles, mesdames, messieurs, bonjour. Je me présente : Je m'appelle Hiti Etienne Teparii. Je suis originaire de Polynésie plus exactement, de l'île de HAO… qui est la base avancée du CEP, i.e. du CENTRE D'EXPERIMENTATIONS DU PACIFIQUE.

J'agis, ici, en qualité de collaborateur, représentant M. Oscar TEMARU, Président du FLP, i.e. du FRONT DE LIBERATION DE LA POLYNESIE ou du TAVINI HUIRAATIRA NO TE AO MA'OHI, ce qui en est la traduction.

Je vous prie de bien vouloir accepter les excuses de M. Oscar TEMARU qui regrette beaucoup de ne pas pouvoir être parmi nous, aujourd 'hui, pour parler lui-même, de son expérience personnelle en matière de résistance non violente au nucléaire, dans le Pacifique.

J'ajouterai même qu'il est dommage qu'il ne soit pas là, pour faire part de son dévouement pour la cause du peuple ma'ohi et de son engagement total pour la reconnaissance des droits de l'homme.

M. Oscar TEMARU est, en effet, retenu, la-bas, pour' diverses actions de sensibilisation dans plusieurs Archipels.Ceux d'entre vous qui connaissent le Pays, aussi grand que l'Europe, savent que ce n'est pas une mince affaire que celle d'affronter, d'abord, les éléments, le vent, la pluie, les vagues et la distance... avant d'affronter les mentalités qui, hélas, ne sont pas encore tout à fait au courant de ce qui se passe autour…

Il me revient donc de vous parler de la résistance non-violente au nucléaire, dans le Pacifique, et de vous présenter l'œuvre d'Oscar TEMARU.

INTRODUCTION

Mesdames et messieurs, je vous invite, tout simplement, à prendre un billet d'avion et à voyager, par l'imagination, vers ces îles lointaines du Pacifique…

Je ne vous emmènerai pas vers les belles plages chaudes, au sable blanc ou noir de nos îlots ou motu ou autres tahuna, comme on les appelle, là-bas. Je vous conduirai, coincidence, dans une église, dans l'Archipel des Gambiers et où, il y a environ 24 ans, un baptême peu banal a eu lieu.

Vous n'entendrez donc pas les vagues déferler sur les récifs, mais vous verrez des gouttes d'eau perler sur le front d'un enfant, d'un innocent,d'un bébé. Écoutez les paroles que prononce le prêtre : « CANOPUS, je te baptise, au nom du Père et Du Fils et St. Esprit... »

Mesdames et messieurs, la simulation de ce rituel de baptême catholique, romain SVP, n'est pas le rappel d'une fiction, mais la mémoire d'une bien triste réalité :

CANOPUS est le nom de code de la 1ère bombe H française, 2,6 MgT et qui cracha son nuage de mort dans le ciel si beau de la Polynésie et du Pacifique. Mais, CANOPUS est aussi le nom de baptême chrétien qu'on a osé donner à un enfant de mon pays. Ce n'est pas un scandale, c'est carrément un « génocide culturel », en attendant la dégradation du patrimoine des Polynésiens.

HISTORIQUE DE LA RÉSISTANCE AU NUCLÉAIRE

L'historique de la résistance non-violente au nucléaire se situe, dans le temps, à deux moments :

-AVANT l'implantation du CEP/CEA

-APRÈS l'implantation du CEP/CEA

AVANT l'implantation du CEP/CEA

1958

Pour comprendre les choses, remontons d'abord en 1958. Car,en 1958, un évènement très grave secoua la Polynésie et la plongea dans la stupeur : Celui, en effet, que beaucoup de Ma'ohi considéraient et considèrent toujours (j'en suis un) comme leur METUA, leur Père, le Maître à penser en matière de contestation et de résistance à l’oppression, en matière de défense des droits de l'homme et de la liberté, je veux parler de POUVANAA OOPA, se vit, a la suite d'une sombre et surtout très, très mystérieuse affaire de prétendue mise à feu de la ville de Papeete (qui fut, en effet, brûlée, mais 30 ans plus tard !!!) infliger une réclusion de 8 ans, assortie d'une interdiction de séjour de 15 ans.La complicité de certains locaux n'est pas à exclure pour consolider l'action psychologique de démantellement, par l'ÉTAT de l'âme et de l'identité Ma'ohi forgées par POUVANAA OOPA qui reçut ,en guise de récompense,lui qui fit la guerre de 14/18,un traitement de chien.

Exit POUVANAA OOPA de la scène politique et transfèrement vers les Beaumettes, à Marseille, France.
Bonjour le CEP : Centre d'expérimentations du Pacifique !
Bonjour le CEA : Commissariat à l'Énergie Atomique !

1958/1962 

De 1958 à 1962, le Metua POUVANAA OOPA n'étant plus en Polynésie pour contester l'implantation du CEP/CEA, plus personne osera élever la voix dans le Pacifique, immense Océan dont les vagues devinrent, subitement muettes, de l'Est à l'Ouest...

1955/1962 

De 1955 à 1962, j'étais en Nelle Calédonie. J'étais à PAITA pour faire des études de philo et de théologie. C’ést là qu'à 24 ans, j'appris, en 1962, que le grand Charles, vous voyez ce que je veux dire, avait décidé de poursuivre les expériences, alors effectuées à Regane, Algérie, cette fois-ci, en Polynésie !

ENTRE-NOUS :1962

J'entrepris, alors, de créer un petit journal de liaison et qui avai t pour nom « ENTRE-NOUS », à difuser en brousse, dans les tribus, à Tahiti et à Sydney.
Les membres fondateurs d'ENTRE-NOUS avaient pour nom : Gérard LEEMAN, actuellement évêque au VANUATU, indépendant ; François BURCK, actuelle pièce maîtresse du FLNKS ; Jean-Marie TJIBAOU, un frère que j'ai parfaitement connu pendant des années puisque j'étais son ainé de promotion.
J'ouvre ici une parenthèse pour dire que c'était avec eux que j'avais découvert l'abominable exploitation du peuple KANAK.
Avant de quitter PAITA, en Août 1962, j'eus à. écrire une série d'éditoriaux dans ENTRE-NOUS et qui étaient,à ma connaissance, la toute première résistance non-violente, en tous les cas un avertissement, contre l'implantation du CEP en Polynésie. Mais, qui prêtait attention à ce qui pouvait recevoir pour interprétation celle « d'élucubrations obscurantistes » ?
On a vu un Chinois face à un char. Quelle puissance ! Mais, on n'a pas vu un petit Paumotu face au champignon atomique, plus dangereux ! Pourtant, la seconde image précède l'autre : j'étais, dès 1962, contre le CEP/CEA.

1963

J'étais à Tahiti en 1963, pour enseigner l'Anglais. J'appris qu'ENTRE-NOUS, dont le rédacteur en « chef » était TJIBAOU, venait d'être saisi par le parquet de Nouméa ! Sans doute parce que TJIBAOU parlait trop politique ! Kanaky se dessinait à l'horizon. Ce qui arriva, par la suite, ne m'étonne pas.

EXPROPRIATION DES TERRES A HAO

C'est, en 1963, que j'appris que le CEP avait choisi, comme base logistique, l'Ile de HAO, mon Ile natale et comme bases de tir, MORUROA et FAGATAUFA.Qui plus est, ma propre fumille possédait des terres dont certaines devaient être vendues et d'autres louées au CEP, pour 99 ans.
Conscient du fait qu'il fallait porter la résistance sur le « terrain », je décidais, à l'occasion des vacances scolaires, de faire une tournée aux Tuamotu que je n'avais pas revues depuis 20 ans !
Je savais que ma tâche ne serait pas facile. Car, M. Jean DAMERY, administrateur, chargé de la généalogie des ayants-droit, était passé maître dans l'art de l'action psychologique (sans douleur) ; Par exemple, j'appris que ma mère était marraine d'une des filles de Damery... Ce qui constituait un barrage tout à fait naturel... On ne touche pas à l'Administrateur...

HAO

À HAO, je passais 15 jours à parler aux habitants, à expliquer ce qu'est l'atome, les risques, les dangers… Je me vois en train d'expliquer, tableau noir à l'appui , à mes compatriotes, vieillards qui n'y comprenaient rien, sauf ceux qui n'avaient pas de terres à vendre,ce qu'est l'uranium... Mais, l'appât du gain étant ce qu'il est, les Iliens se cassaient plutot la tête sur l'arithmétique du prix de l'hectare à vendre au CEP. C'était le seul argument qui revêtait de l'importance... Damery était passé par là...
Le tribunal de Papeete rendit son jugement déclarant les installations du CEP/CEA, à HAO, d'utilité publique et donc décidant l'expropriation des terres, pendant que les Paumotu croyaient, dur comme fer, qu'il s'agissait d'une transaction à l'amiable !!!
Étant moi-même mandataire légal des Iliens, je ne pouvais plus RIEN, sinon veiller à la juste distribution de l'argent, ce qui me donnait l'air d'en profiter... alors qu'il s'agissait d'éviter des peapea à n'en plus finir, des bagarres entre membres des familles.
Plus de 21 millions déversés, du jour au lendemain, sur une île de 400 habitants, une anesthésie à overdose !
À partir de là, la Polynésie va basculer de l'ère du cocotier à celle du nucléaire, aggravant son désquilibre socio-culturel, économico-politique ; la menant tout droit, deux décennies plus tard, à de graves troubles, par exemple, la mise à feu de Papeete. (23-10-87)
À cela s'ajoute la pollution par radio-activité et la dégradation des sites. Dommages dont l'État devra faire réparation, au titre de sa responsabilité civile et en tant que personne morale.
Il y a des mots dont il convient de se méfier, non pas du sens, mais de leur destination : Évolution, progrès, technologie... autant de miroirs aux allouettes que les Écologistes nous apprennent, aujourd'hui à bien discerner...

1964

LA DONATION DE MORUROA

En 1964, la pression ou la connerie est telle que la Commission permanente de l'Assemblée Territoriale, à Papeete, décide de voter la donation de MORUROA à l'ÉTAT Françcais ! Ben, voyons ! Ce qui veut dire que tant que dureront les tirs à MORUROA, celle-ci restera une propriété de l'ÉTAT Français ! Une voix s'est opposée : celle de CÉRAN-JÉRUSALEMY, ancien compagnon de POUVANAA OOPA.
Ma résistance non-violente, j'allais dire, isolée et au goût amer de l'échec, bascula dans l'ombre, pour n'agir que d'individu à individu, de personne à personne, de bouche à oreille, et alimentée par un acte de foi qui consiste à espérer qu'un jour le souffle de la contestation se lèvera.

1969

Depuis 1969, je vis en France, en contact, cette fois-ci, avec les ETUDIANTS TAHITIENS. L'un d’eux s'appelait James SALMON l'actuel bras droit d'Oscar TEMARU.C'est cela aussi la résistance non-violente ; Faire confiance aux jeunes, les encourager à prendre la relève. Pour ce qui concerne James SALMON, c'est une grosse réussite.
D'autres Tahitiens viendront chercher l'ambiance chaleureuse, à la maison, à ANTHONY et dont quelques uns iront rejoindre DROLLET pour lancer le Parti Socialiste, à Tahiti, en 1975 : IA MANA TE NUNAA, autre parti politique ouvertement opposé au Nucléaire !
Telle a été, mesdames, messieurs, au travers d'une lente prise de conscience se généralisant peu à peu pendant 1/4 de siècle, ma résistance non-violente : une seule arme : PARLER.
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ». Ce n'est pas de GANDHI, mais, vous l'avez deviné, la déclaration des droits de l'homme de 1789, article 11…

APRÈS L'IMPLANTATION DU CEP/CEA

POUVANAA OOPA

Pouvanaa ayant subit injustement, quelques années de réclusion, est libéré, mais la machine infernale qu'est la bombe est déjà en marche. Je fis parti de cette masse recueillie de MA'OHI qui vint, un par un, saluer, le METUA, le PÈRE, enfin sur son fenua, sur sa terre et parmi les siens. La réception eut lieu à la Mairie de Papeete, aux sons d'un tourne-disque qui n'arrêtait pas de débiter la Marseillaise, tout le long de la Journée (une insulte organisée par on ne sait qui ?).

À partir de là, les langues se délièrent. Pouvanaa étant à nouveau sur place, une déferlante de RÉSISTANCE AU NUCLÉAIRE va se libérer.

Curieusement, POUVANAA OOPA devint SENATEUR ! Cette déferlante va s'exprimer

- Au niveau de la Polynésie.

- Au niveau international.

AU NIVEAU DE LA POLYNESIE

Plusieurs mouvements politiques vont s'emparer de l'incidence CEP/NUCLÉAIRE/CEA comme cheval de bataille. Mais, qu'il soit bien clarifié et explicité que seul Oscar TEMARU inclue la dénucléarisation au processus de finalisation par l'indépendance, clé de cette dénucléarisation.

LES ÉGLISES

Le silence coupable des Églises et d'avant l'implantation du CEP/CEA va, à partir du retour de Pouvanaa OOPA, se rompre. L'ÉGLISE ÉVANGELIQUE surtout, qui avait acquis sa pleine autonomie, va s'opposer ouvertement aux essais nucléaires, à l'inverse de l'Église catholique qui pratique la politique de « non-immixtion » dans... la politique... alors que les opposants réels relèvent de toutes les croyances !

LES PARTIS POLITIQUES

Même phénomène de Pentecôte parmi les Politiques qui, à l'exclusion du RPR et alliés, vont sans cesse naviguer entre la manipulation et la sincérité pour aboutir, grâce à la pression internationale, à une position plus nette. JUVENTIN, par exemple parlera « d'émancipation ». C'est mieux que rien !

OSCAR TEMARU

Celui-là n'est pas à confondre avec les autres. Il est, incontestablement, le SEUL PUR des politiques, au langage sans équivoque et sans détours : L'indépendance et la dénucléarisation.

Son action au niveau local et international prend, de plus en plusde l'ampleur. Elle le sera tant qu'il maintient le compas définni.

Voici l'action d'Oscar TEMARU :

ASSEMBLEE TERRITORIALE

Le TAVINI HUIRAATIRA dispose de deux sièges : Oscar TEMARU lui-même et James SALMON.

Maire de FAAA, ville la plus touchée par la paupérisation et, sans doute, par la marginalisation et élu à l'Assemblée, Oscar TEMARU dispose, là, de deux leviers non négligeables et susceptibles de renverser le paysage politique de la Polynésie, avant les deux decennies à venir.

Citer les actions précises et contenues dans les documents remis par James Salmon. (...) Documents arrivés samedi. À ordonner.

AU NIVEAU INTERNATIONAL

Les contestations des pays limitrophes passent de la simple routine à de sévères avertissements. On devine, évidemment, les dessous de table distribués ici et là... Mieux, CHIRAC nommera Gaston FLOSSE, Président du Gouvernement jusqu'en 1987, SECRÉTAIRE DE GOUVERNEMENT, dans le Pacifique !

On assista, alors, à de bien curieux-, voyages à travers le Pacifique : La France va distribuer des sous un peu partout.

Mais l'Australie, la Nouvelle-Zélande sont là et qui veillent ainsi que d'autres pays : le Japon, le Chili etc...

Avec l'affaire du Rainbow-Warrior, Green-Peace, le poison des KANAKS et l'incendie de Papeete, plus l'holocauste de 6 Paumotu brûlés vifs à FAAITE, le climat devient tout à fait MAUVAIS pour la France qui est atteinte de frénésie nucléaire

LE TRAITÉ DE RAROTOGA

À ma connaissance, parmi les signataires sont absents deux pays. Devinez lesquels ? Les USA et la France ! et pour cause : l'objet était la dénucléarisation !

CONCLUSION

Tel est, mesdames, messieurs, brièvement brossé, l'historique de la résistance non-violente au nucléaire et qui n'est plus l'exclusivité de la Polynésie, mais une affaire qui interpelle tout le monde. Ce forum en est une preuve.

Au nom de mon peuple, au nom d'Oscar TEMARU, je tiens à remercier tous ceux et celles, personnes physiques et personnes morales, associations, en France et dans le monde entier, qui nous aident dans notre lutte. Je ne crois pas à la philosophie des masses, je crois en la qualité du cœur. MAURU'URU, MERCI.

Hiti, Étienne TEPARII

TAVINI HUIRAATIRA – France - 26/11/89

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