1980 - Fr Joseph LE PORT

1980 - Hommage pour les 50 ans de vie religieuse de Frère Alain par le Fr Joseph LE PORT, f.i.c.

Le District « St Pierre Chanel » a choisi de célébrer, à l'occasion de la visite du Supérieur Général, le bi-centenaire de la naissance du Fondateur, Jean-Marie ROBERT DE LA MENNAIS. Mais nous voulons aussi, en la même occasion, fêter le cinquantenaire de vie religieuse de Frère Alain PAUBERT.

UN QUART DE SIÈCLE À TAHITI

Frère Alain PAUBERT est arrivé à Papeete en 1957. Qu’on me permette, guidé par quelques notes, d'évoquer le Tahiti d’alors, que beaucoup ici connaissent si bien !

Le rythme économique ne s'était pas encore emballé. Le tourisme en était toujours au stade artisanal, bien qu'une antenne du Club Méditerranée existât déjà ; le dynamisme du libéralisme capitaliste n'avait pas encore conquis les Tahitiens. La MGM allait bientôt y produiree un choc économique et psychologique.

En politique, on en était à des tâtonnements vers des formes d'émancipation. Le manifestèrent les élections de janvier 56 , le vote de la « Loi Cadre » en juin 56 et son application ; ni la visite du Généràl De Gaulle en août 56 , ni le referendum de 58 , ni la construction de l'aérodrome international, ni l'implantation du C.E.P… ne gommeraient les perspectives esquissées alors.

L'Église catholique poursuivait son essor (malgré une certaine perturbation causée par ce que révélait au public le procès d'un faux-prêtre). Pour le Clergé, des espoirs de relève se concrétisaient : ainsi, Père Michel et Père Hubert étaient déjà ordonnés, et se préparaient pour leur prochain apostolat au Fenua ; le futur Père Lucien entrait au Séminaire de Paita. Les Sœurs de Cluny venaient de fonder « Ste Thérèse ». À Faaa arrivaient deux nouvelles Religieuses, dont Sœur Thérèse ROBSON qui venait de faire sa profession au Canada, chez les dynamiques Sœurs de Notre-Dame des Anges. Chez les Frères, Frère Maxime était dans les maisons de formation en Europe ; et les Frères qui quittaient l'Égypte après le « Coup de Suez » poursuivraient leur route, pensait-on, jusqu'en Polynésie ; Frère Alain ABIVEN, lui-même ancien Directeur Principal d'Égypte, l'espérait ferme. En attendant, on s'affairait à faire surgir l'école « St Paul » des terres marécageuses de Taunoa.

À plusieurs d'entre vous, cela semble hier : n'est-il pas vrai ? Et voilà dans quel Tahiti débarquent du « Calédonien », au matin du samedi 30 novembre, Frère Alain PAUBERT et Frère Dominique ANDRÉ ; en compagnie très respectable d'ailleurs : Mgr Paul MAZE et Mgr Louis TIRILLY.

Les yeux encore tout éblouis du périple qui l'avait conduit de Port-Saïd à Malte, à Beyrouth, à Smyrne et Constantinople , à Athènes, à Brindisi et Venise ; le cœur encore endeuillé par le décès récent de son oncle, Frère Chrysanthe-Marie ; le corps encore fatigué du long voyage aérien d'Europe à Nouméa, et des lenteurs de l'itinéraire Nouméa-Papeete ( avec un long arrêt aux Nouvelles-Hébrides dont la forêt vierge l'intrigua), le 2 décembre au matin, Frère Alain prenait pied dans une classe de 6ème.

Pour nombre d'anciens élèves, Frère Alain est un professeur d'anglais. On l'appelait alors tantôt frère Cécilius, tantôt d'un autre nom plus ou moins semblable par sa désience en US, mais qui évoquait davantage les scribes des pharaons que les martyrs du jeune Christianisme. Nul ne doute que Frère Alain soit très fort dans la langue anglaise ; sauf lui peut-être. Il lui arrivait par moments de s'interroger sur une accentuation, sur le sons précis d’un terme, et de quêter inlassablement un éclaircissement ici ou là ; son inquiétude se résorbait seulement lorsqu'aucun doute n'était plus possible tant était vive sa conscience professionnelle.

Quant aux élèves, - les fournées qu’il a vu passer en 6ème et en 5ème, - bon gré , mal gré , ils récitaient le vocabulaire anglais et les infernaux Irregular Verbs ; je dis bien « récitaient » et non pas « étudiaient », car, dans cette discipline scolaire comme dans les autres, il se trouvaient des élèves pour mettre au point des techniques de resquille efficaces, un certain temps du moins. Mais les élèves témoignaient de la sympathie à ce Frère d'un abord généralement facile, qui s'accommodait de leurs plaisanteries même les plus taquines, les provoquait parfois ; qui faisait place dans son enseignement à des séquences moins techniques, plus plaisantes, où il s'animait au point de leur donner l'illusion d'être ailleurs que dans une classe, spectateurs comblés.

Outre l’enseignement, la fanfare de l'École des Frères lui fit très vite une place : de tout temps, Frère Alain s'était intéressé à la musique. La clarinette le tenta ; il se mit au travail, y intéressa même des élèves. Et se manifesta encore une fois un de ses traits de caractères : la recherche de la perfection, jusqu'au doux entêtement. Que d'heures de loisirs consacrées à perfectionner doigté et souffle, tout en gardant le souci de ne pas contrarier les Confrères qui réservaient ces mêmes moments à des activités différentes.

Puisque j'ai déjà parlé de ses qualités, que Frère Alain me permette d'en souligner une que tous se plaisent à lui reconnaître : sa délicatesse dans ses relations avec Confrères ou Collègues ; une délicatesse faite d'affabilité, de respect, et de cette sorte de sagesse qu'on appelle humilité.

Homme agréable dans les relations, Frère Alain l'est, certes ; sauf peut-être à l'endroit de ceux qui le désarçonnent par un caractère trop sûr de soi, trop confiant dans ses opinions : dans ce cas, il abandonne vite la partie, trop modeste pour faire la leçon à qui que ce soit. Qui n'a eu plaisir à l'entendre saupoudrer la conversation de cette sorte de sel attique fait de rapprochements inattendus, de jeux de mots, de scintillements spirituels : tout un art d'agrémenter la conversation à sa manière, avec discrétion ; ne s'offusquant nullement d'en faire parfois les frais, assez habile souvent pour s'en tirer par une simple pirouette, sans nullement agresser les interlocuteurs.

Que dire du Religieux qu’il a été et qu'il est, sinon qu'il est exemplaire ? Il fait partie de ces Religieux dont on peut affirmer qu'ils ressemblent au Nathanaël de l'Évangile, bon Israélite en qui il n'y a point de supercherie ; de ces Religieux pour qui un engagement définitif est un engageuent définitif ; de ces Religieux pour qui la fidélité à la Règle de Vie est primordiale. On a vu récemment, sous des influences profanes (dévoloppement de l'esprit critique, des des « sciences humaines »… ), proposer pour la Vie Religieuse des modèles différents, moins irréductibles devant des remises en question, plus attentifs aux tâtonnements de la réflexion théologique, morale et pastorale, plus soucieux donc d'une vision moderne de l'Évangile ; - mais pas nécessairement plus proches de l'Évangile ou du Christ même. Frère Alain a sereinement ignoré tout cela, semble-t-il ; ses premiers engagements suffisent à dynamiser sa vie religieuse.

RETOUR AUX SOURCES

Entre Quimper au nord et la mer au sud s'étend la vaste commune de Fouesnant, chef-lieu de canton. Non loin de là, vers l'ouest, se trouve le pays de la Bigoudénie, que « Le Cheval d'Orgueil » a révélé au monde et fait aimer aux Bretons eux-mêmes. Les Fouesnantais tiraient traditionnellement leur subsistance de la terre et de l'Océan : leurs pommiers et leur cidre ont toujours eu solide réputation, et Beg-Meil et les Glénans sont des lieux recherchés par les amateurs de plage ou de voile.

C'est à Fouesnant que le 24 janvier 1914, le petit Alain fait son entrée dans ce monde, intrépidement : je veux dire peu soucieux des bruits de guerre de l'époque. Il est le 4ème d'une famille de 9 enfants, dont 7 survivront. Il a la joie de compter actuellement 16 neveux et nièces. Corentin PAUBERT, le père, avait pratiqué quelque temps le dur métier d'ouvrier verrier dans le département de l'Aisne ; il soufflait à longueur de journée pour la fabrication d'objets en verre. Mais bientôt la petite famille, qui conptait déjà trois enfants, se replia à Fouesnant dont étaient originaires les deux parents ; ils s'y installèrent définitivement dans le métier de tailleur en confection.

La première Guerre mondiale impose une longue absence du père ; il y vit, entre autres horreurs, le « Chemin des Dames ». Pendant cette période, la mère doit, seule, éduquer et faire vivre les 4 enfants.

Alain entre à l'École des Frères de Fouesnant vers l'âge de 8 ans ; c'était à l'époque, dans les campagnes françaises, une chose assez courante d’attendre si tard pour commencer la scolarité. Et les petits Bretons bretonnants, comme Alain, parcouraient le cycle primaire en 5 ou 6 ans, ou 4 ans parfois : le dévouement des maîtres allié à une profonde motivation inculquée aux enfants par la famille (maîtriser, conquérir cette chose nécessaire pour la vie qu'était la langue française !) produisait ce résultat qui semble un exploit aux yeux des Enseignants d'aujourd'hui.

Sorti de l'école primaire à 13 ans, et désirant poursuivre ses études, Alain choisit non Quimper, la ville voisine, mais le lointain pensionnat du Folgoat : c’est déjà le dépaysement ! Dans ce lieu de pèlerinage marial, nos Frères du Finistère, après la tempête de 1903, avaient créé en 1910 un « Cours Normal » chargé de préparer de bons instituteurs pour les écoles chrétiennes du Diocèse. Frère Chrysanthe-Marie PAUBERT, qui avait choisi, en 1903, de poursuivre son activité apostolique dans la clandestinité, y déploya longtemps toutes les ressources de ses talents et de son dévouement. Ce Frère remarquable, on s'en doute, a été pour quelque chose dans la vocation d'Alain, ainsi que de celle de Corentin, son frère aîné déjà entré dans l'Institut, et celle de Germaine qui se préparait alors à faire profession dans la Congrégation des Soeurs du St Esprit (elle vient de fêter l'année dernière son Jubilé d'Or de Vie Religieuse).

Peu d'années après la guerre, le Folgoat fut transforné en Juvénat. Il y régnait un remarquable esprit d'entre-aide et de charité fraternelle. C'est là qu'arrive Alain en 1927, alors que son oncle vient d'en abandonner la direction pour assumer des responsabilités plus importantes au Scolasticat ; 6 ans plus tard, il sera nommé aux hautes fonctions d'Assistant Général.

Le centre de probation (postulat, noviciat et scolasticat) était réfugié à Jersey depuis les expulsions du début du siècle. Pour le rejoindre, nos jeunes aspirants devaient se procurer un passeport, et quitter la famille pour trois ans. C'est ainsi que fit Alain, courageusement, faisant l'expérience, bien jeune encore, des ruptures et des longues séparations, et découvrant déjà le phénonène de l'insularité ; car Jersey est une île perdue dans la Manche, moins étendue que Tahiti. Alain, trois années durant, y consacre tout son temps à des études ou à des activités qui le préparent à sa vie de Religieux enseignant. Le 24 août 1930, il fait une démarche dont nous célébrons dans la joie le cinquantième anniversaire : il entre au Noviciat. L'année suivante, sous la direction si compétente de son oncle, il se prépare plus directement à sa profession enseignante. Combien de Frères se souviennent encore de ce « Guide du Débutant » publié par le Frère Chrysanthe-Marie en 1932, et qui rassemblait les conseils les plus utiles à tout jeune ensoignant !

La carrière enseignante, on y entrait peut-être bien jeune à l'époque ; les études duraient moins longtemps qu'aujourd'hui. Sans doute fallait-il pallier à la brièveté de la formation pédagogique par un supplément de qualités humaines. Parfois on avait la chance de trouver sur le terrain, à côté de soi, un guide, un ami. Toujours est-il que beaucoup de nos Frères de cette époque ont abordé leur première classe à l'âge minimum requis par la législation française, ou peu après avant la vingtaine. Tel fut le cas de Frère Alain.

AU BORD DU NIL

Les lois françaises de 1903, qui privaient beaucoup de Congrégations religieuses de leur existence légale, causèrent assurément un « Grand Dérangement » daus l'Église de France et dans les Colonies françaises. C'est ainsi que fut abandonnée notre Mission florissante du Sénégal - peut-être se souvient-on ici que le Frère Alpert, désigné par le Père de La Mennais pour fonder Tahiti, venait du Sénégal en 1859 - et que des Frères, disponibles, furent envoyés en Turquie, en Roumanie et en Égypte.

Dans ce dernier pays, à Hélouan-les-Bains, sorte d'île de 20 mille habitants entourée d’un océan de sable, reliée par 25 km de voie ferrée à la populeuse capitale, des Religieux italiens, les Pères de Vérone, dirigeaient une école enseignant les programmes français. Ils firent bon accueil aux propositions de nos Supérieurs ; une communauté de Frères de Ploërmel s'établit à côté de la conmunauté des Pères.

C'est là que notre jeune Frère Alain se trouve parachuté en 1932. Les relations étaient délicates entre les deux communautés : plutôt des comportements d'employeurs à employés que la cordialité de la collaboration. Malgré une pauvreté proche du dénuement, màlgré les tensions, malgré les intempéries, la chaleur surtout, les Frères qui ont vécu à Hélouan en parlaient généralement avec attachement et émerveillement.

Hélouan n'était pas encore la rampe de lancement de fusées qu'elle est devenue sous l'impulsion du Raïs Nasser ; on y trouvait une station de cures thermales et une cimenterie. Les quelque 300 élèves (internes pour la moitié, souvent originaires du Caire) rassemblaient une vingtaine de nationalités.

Frère Alain s'intégra très vite à sa communauté, et se plia aux usages locaux. Ni glace, ni frigorifique ; seul moyen d'avoir une boisson fraîche une gargoulette à sa fenêtre, et une certaine dextérité… pour s'en servir. Les loisirs ? Promenades à bicyclettes ou à dos d'âne dans le désert ; escalades des collines voisines ; visite du prestigieux Musée du Caire ; excursions aux grottes de Hassara d'où furent extraites les pierres calcaires utilisées pour construire les pyramides de Guyzèh, ou, par-delà le Nil dont la masse jaunâtre s'écoule à 3 km au couchant, randonnées aux vestiges de Saqqarah où on vénéra autrefois le boeuf Apis…

Frère Alain en oublie ses obligations militaires ; et le voilà bientôt catalogué comme déserteur ! Allah aidant, les choses s'arrangent, et il accomplit ses 18 mois en Syrie, avec quelques mois de retard ; mais il ne bénéficie pas, comme d’autres Frères, de affectation spéciale spéciale « Détaché Militaire » , qui lui aurait permis d'enseigner chez les Frères Maristes au Liban. Un an et demi à l'État-Major d'Alep ; honni soit qui parlera de planque !

En 1937, Frère Alain retrouve Hélouan. On lui confie alors, non plus une classe renfermant une quarantaine de débutants, mais une classe de 7ème et un poste de surveillant. Aux vacances de 1938, les Frères quittent Hélouan, et sont réparties dans les communautés de la zône du Canal. C'est ainsi que Frère Alain arrive à Ismallia, où d'ailleurs il fait sa Profession Perpétuelle en cette année 38. Cette ville est située approximativement au centre de l'isthme de Suez, sur le bord occidental du Canal, à la lisière du lac Tililsah (lac des Crocodiles).

AU BORD DU CANAL

La situation dos Frères à Hélouan avait très tôt parue précaire aux Supérieurs ; aussi prêtèrent-ils attention à une proposition faite par la Compagnie du Canal do Suez : elle cherchait des enseignants qualifiés pour leur confier ses propres écoles. C'est ainsi qu'en 1924, une communauté de Frères prit en charge l'école d'Ismaïlia, située à un angle de la place Champollion. Ultérieurement, la Compagnie leur proposera aussi l'école de Port-Faufiq, près de Suez ; et les Frères fonderont leur propre école à Port-Fouad, petite bourgade tranquille séparée, par le Canal, du grand port méditerranéen Port-Saïd. S'y trouvaient les Ateliers Généraux de la Compagnie, qui employaient plus de mille ouvriers qualifiés ; c'est surtout à l'intention de ces derniers que fut créée l'école « St Joseph » de Port-Fouad.

Mais les événements politiques et miilitaires d’Europe enlèvent bientôt notre Confrère à ses élèves ; et le voici uneo fois encore déguisé en soldat ; affecté à la caserne de Beyrouth, il y fait la drôle de guerre dans les écritures, simple comptable de la coopérative militaire. Peu après l'armistice, il est rendu à la vie civile.

Et c'est en tant que civil, à l'exemple de tant d'autres, hélas ! qu'il rencontre la vraie guerre, la sale guerre. À peine arrivé à Port Fouad en 1941, réfugié dans la cave dès l'alerte donnée à 4 heures du matin... il entend les avions passer et soudain une bombe explose, à proximité assurément. Quand vient l'accalmie, il sort pour constater les dégâts : l'habitation des Frères n'existe plus, l'école est bien entamée, et l'église paroissiale voisine est éventrée.

Notre Confrère cherche donc refuge ailleurs ; les Supérieurs l'envoient dans l'autre grand port méditerranéen : Alexandrie. Là, les Frères de La Salle dirigent plusieurs écoles, dont le prestigieux Collège St Marc, où Frère Alain reçoit un chaleureux accueil dans la communauté. Son champ d'apostolat est une autre école, « Ste Catherine », où il enseigne la musique et rempli les fonctions de maître de chapelle.

Mais Alexandrie attirait l'attention des puissances de l'Axe à l'égal de Port-Saïd, sinon davantage ; El Alamein est à quelque deux cents kms à l'ouest. Voici donc de nouveau notre Confrère en plein champ de bataille : des bombardements successifs perturbent la vie quotidienne, et font des victimes. Il se souvient, par exemple, de ce 7 avril 1942, où on dénombre 200 tués dans la zône du port… Il se souvient aussi que c'est cette guerre qui lui arrache, peut-on dire, son frère aîné qui l'avait précédé en Egypte : Corentin s'engage à cette époque dans les troupes de la « France Libre ».

La fin de la guerre le trouve à Ismaïlia, non au Collège de la Compagnie, mais à l'école paroissiale, que les Frères avait ouverte à l'intention des petits Égyptiens d’origine populaire, chrétiens ou musulmans.

De 1945 à 1957, Frère Alain sera docilement à la disposition de ses Supérieurs, pour occuper les postes où on aura besoin de sa compétence : à l'école reconstruite de Port-Fouad ou à Ismaïlia.

Si l'on sondait son coeur, sans doute y trouverait-on plus de souvenirs de son séjour au Nord du Canal : l'horrible humidité en août et septembre, la chasse aux cailles ou aux coqs de gruyère , les baignades matinales dans la méditerranée, la cordialité des relations avec les « Grands Frères » de Port-Said, la chaleureuse sympathie des visites faites aux Collègues de l'enseignement public égyptien ( coranique ) ; le plaisir ineffable d'observer de la terrasse de l'école, la lente valse des navires débouchant du Canal dans la Méditerranée ou se préparant à descendre vers la Mer Rouge ; les moments de loisir consacrés aux élèves, aux entraînements sportifs singulièrement (Frère Alain a formé, peut-on dire , ce DARMENIA , futur gardien de but de Rennes et de Reims , et ce PARASKOS que l'Egypte déléguera à une rencontre internationale en Europe.) - Mais aussi encore la guerre : le « Coup de Suez » de novembre 1956. De la terrasse de l'école, Frère Alain en a observé la technique implacable :  Port-Fouad assaillie, dans le silence matinal, de parachutistes et de commandos de marine, et conquise sans coup férir, la courte et meurtrière résistance de Port-Saïd, la progression vers le sud , les balles perdues lui sifflant aux oreilles (car une curiosité insatiable le rendait intrépide sinon téméraire) ; mais aussi , en dècembre , l'humiliante retraite franco-anglaise…

Son dernier poste au centre du Canal, ce fut au flambant neuf « Collège de Lesseps », œuvre du Frère Alain ABIVEN, qui fut inauguré en février 1950. Dans la liste de ses élèves de 3ème en 53-54, je relève le nom d'une célébrité mondiale : le chanteur Claude FRANCOIS qui, lui aussi, apprit le vocabulaire anglais et les irregular verbs sous la férule de Frère Alain. Pourrais-je évoquer quelques autres souvenirs de cette époque, dont lui-même parle si peu ? Le voici, sous un chaud soleil d'après-midi, marchant à longues enjambées vers le lac Timsah où l'attend un ancien canot de sauvetage transformé en voilier ; le voici escaladant sous un soleil torride le djebel Attaka dont lès flancs caillouteux conduisent à 800 mètres au dessus de la Mer Rouge ; le voici , à l’est de Suez , à l’ombre des palmiers de l'oasis « Fontaines de Moïse », en compagnie d 'un Capitaine de la police égyptienne et de quelques bédouins ; le voici sur la cour de l'école de Port-Taufiq , bien ensoutané denoir , s'entrainant en vue d'un match de volley ; le voici en compagnie du jeune Père JOMIER (O.P.) entouré de moines coptes à l'intérieur du fameux monastère St Antoine, sorte de forteresse médiévale construite en plein désert , à 50 kn de la Mer Rouge ; le voici , à peine perceptible - on songe aux atomes pensants de « Micromégas » - au pied du grand Sphynx, dont la morphologie est bien érodée par les éléments ; le voici, cherchant à conserver l'équilibre sur le dos d'un chameau qui déambule, impassible ; le voici parcourant la galerie et la chambre funéraire de la grande Chéops ; le voici avec des amis devant l'église de Héliopolis, ville toute moderne que la fortune Empain a fait surgir des sables au Nord du Caire…

Sans ambitionnor de dresser un bilan, peut-on dégager quelques lignes de forces de ces 25 années passées en terre égyptienne ?

Le désert, ormiprésent, invita l’homme à la modestie, et au travail. L'attention à l'Islam élargit les horizons religieux et révèle une autre approche de Dieu. La rencontre des Églises orientales conduit le Catholique occidental à approfondir ses connaissances sur les origines du Christianisme et sur l'histoire des premiers siècles ; le dogmatisme, le ton doctoral s'effacent pour faire place à la modestie, à l'humilité, à la tolérance. La survie de l'Église copte, malgré plus de treize siècles d’imposante majorité musulmane, parfois tyrannique, est un exemple de fidélité religieuse qui suscite l'admiration. La vie religieuse dans la mouvance franciscaine - car la zone du Canal est une sorte de ramification de la Custodie de Terre Sainte – pouvait y gagner en sérenité ; tandis que des relations avec le Couvent dominicain du Caire pouvaient la dynamiser, la structurer.

L'apostolqt du Frère Alain en terre d'Islam a été un témoignage discre : témoignage d'une forme originale de consécration à Dieu : Religieux enseignant. Témoignage d'une qualité d'écoute à l'égard d'autres formes d'engagement au service du Dieu Unique. Mais il a été aussi un apostolat direct et authentique auprès de ceux qui partageaient sa foi. Comme tant d'autres Frères, il a utilisé les moyens dont il disposait pour faire connaître et aimer Jésus-Christ : leçon do catéchisme, réflexion chrétienne quotidienne, prière on classe, journées de retraite pour les élèves, collaboration au niveau paroissial…

Le Frère Alain qui arrivait à Tahiti en 1957, avait déjà, nous le constatons, un long passé, une vie bien remplie.

Nous l'avons vu se remettre à l'ouvrage avec enthousiasme.

Nous l'avons vu aussi progresser en discrétion, alors que l'age ou la compétence aurait pu le conduire à l'ambition, à une plus grande confiance on soi.

Des ennuis de santé l'ont plusieurs fois conduit à l'hôpital ; des accidents bénins sans doute, mais qui l'ont peut-être préparé à vivre correctvment ce moment délicat de ta vie de tout travailleur dans le monde moderne : la « mise à la retraite ». Frère Alain a vécu ce tournant de sa vie d'enseignant avec la même simplicité que le reste : le devoir connu, il l'accomplit de son mieux, restant disponible pour rendre service à la communauté et au Collège.

Cette retraite, qu'il a commencée en septembre dernier, Frère Alain l'a bien méritée. Nous la lui souhaitons longue et heureuse. Comme nous lui souhaitons un bon voyage en Europe prochainement. Que les retrouvailles de quelques confrères jubilaires soient un moment réconfortant pour lui et pour eux.

Il y retrouvera, entre autres, Frère Alphone METAIRIE, qu'il me plaît de lui associer dans cette commémoration. On sait combien le cœur lui a saigné quand l'état de sa santé l'a obligé à quitter la Polynésie.

Ils caressent le projet de se rendre ensemble à Rome où ils rencontreront sans doute le Supérieur Général, et où ils vénéreront la tombe de Pierre : doux symboles de ce qui a animé, inspiré leurs cinquante années de vie religieuse. Mais le Frère Arsène MEROT, on s'en doute, sa fera un plaisir de les recevoir.

Vive encore longtemps notre Jubilaire, dans la paix do Dieu et la sympathie de ses Confrères et amis !

F. J. Le Port.

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