02/06/2013 - Mariage pour tous

Mariage pour tous

EN ACTE ET EN VÉRITÉ

Thierry est un catholique belge, qui a publié sur médiapart une « Lettre ouverte à l’Abbé Grosjean et à ceux qui le suivent » (voir ci-dessous), me reprochant la façon dont j’ai pu prendre part, avec de nombreux autres prêtres, et à la suite de nos évêques, au débat autour de la loi Taubira. Nous avons prévu de nous voir bientôt, pour un dialogue franc. En attendant, voici ma réponse. 

Cher Thierry,

J’ai bien lu votre longue lettre. Je vous remercie de votre franchise et je voudrais vous répondre avec la même franchise. Non pas seulement pour moi dans l’échange personnel que je vous ai proposé, ou pour ceux qui partagent vos questions, mais aussi pour tous ceux qui ont pu se sentir blessés ou incompris par la publication de votre message.

Tous vos arguments ne révèlent au fond qu’une seule chose : c’est que la caricature permanente qu’on a tenté de faire peser sur le débat du mariage pour tous, depuis le début, a fini par susciter de vraies incompréhensions. Même entre nous, entre frères chrétiens. Je ne vous demande pas d’être d’accord avec moi dans ce débat ; mais je vous demande juste, en frère, de faire l’effort de dépasser les mensonges les plus absurdes et d’essayer de me comprendre…

Pour mieux éviter de répondre à nos questions, une majorité politique mal à l’aise a tout fait pour nous diaboliser. Je le déplore, mais c’est ainsi. En revanche, qu’un catho cède à cette diabolisation, c’est bien le comble. Et pour tout vous dire, cela me blesse profondément. Comment pouvez-vous me faire tenir des propos que je n’ai jamais eus ? Me prêter des intentions qui sont si loin de ce dont j’ai témoigné ? Jamais je n’ai traité les homosexuels en bouc émissaire ; au contraire, je n’ai cessé de rappeler que chaque personne devait être aimée et respectée. Où avez-vous lu ces mots que je n’ai jamais dits ? Vous évoquez le procès du Christ : à sa suite, nous avons été jugés par un pouvoir sans justice, qui ne voulait pas entendre. Ne vous faites pas procureur à votre tour sans répondre à sa question ! « Si j’ai mal parlé, montre où est le mal... Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? »

Jamais non plus je n’ai rêvé que l’Eglise impose sa loi à la société, jamais je n’ai méprisé la démocratie. Au contraire, j’ai seulement demandé, parmi tant d’autres, un peu de démocratie… De quel droit a-t-on pu nous dénier, à nous, prêtres et « cathos de base », pour reprendre votre expression, la possibilité de parler avec tous de l’avenir de notre pays ? Sous prétexte qu’il faut refuser le pouvoir au christianisme, qui ne le demandait pas, on a refusé la parole aux chrétiens... Comment pouvez-vous à votre tour tomber dans ce triste piège ? Lorsque les chrétiens, parmi d’autres, parlent du mariage civil, ne sont-ils pas concernés ? Doivent-ils être écartés du débat ? Souvenez-vous, Thierry, de ceux qui demandaient à l’Eglise de rester dans ses sacristies lorsqu’elle prenait fait et cause pour les pauvres, les exclus, les minorités… Serez-vous avec eux aujourd’hui pour limiter la démocratie, ce dialogue libre où tous ont leur part ? N’est-ce pas au fond le plus haut service que l’Eglise puisse rendre au cœur de l’espace public et dans les médias : continuer d’interpeller et d’éclairer les consciences, pour défendre le bien commun et les droits de la personne humaine ?

La vérité, Thierry, c’est que nous avons seulement voulu prendre part au dialogue. Et qu’on nous l’a refusé. A l’appel unanime de nos évêques, nous voulions dire cette chose si simple : qu’on ne peut pas légiférer sur la famille sans prendre d’abord en considération le bien du plus petit. Le chrétien n’est-il pas dans son rôle lorsqu’il témoigne ainsi ? Et en l’occurrence, je pense, comme des millions de français, que le bien du plus petit c’est de grandir entouré de son père et de sa mère, parce que la vie ne vient pas de nulle part et que la fécondité de l’homme et de la femme est fondatrice de la vie d’une famille. Quelle haine voyez-vous là-dedans ? Quel désir de pouvoir ? Quel extrémisme condamnable ?

Bien sûr, je le sais comme vous, la famille est toujours un lieu de fragilité. Ne vous inquiétez pas pour moi, je connais la réalité aussi bien que vous... Balzac disait que le prêtre est celui qui vit le plus l’expérience de la misère sociale, de la misère humaine cachée derrière les façades. Ces enfants qui souffrent, ces parents qui galèrent, ces couples qui se déchirent, je les accompagne chaque jour, comme mes milliers de confrères de tous les coins de France. Ce n’est pas aujourd’hui qu’on apprendra à l’Eglise ce que vivent les hommes et les femmes, vous savez… En quoi cela devrait-il nous empêcher de rechercher le meilleur pour un enfant ? Deux personnes homosexuelles ne vont pas faire souffrir l’enfant qu’elles éduqueront, bien sûr ! Mais, malgré tout leur amour sincère et généreux, ne manquera-t-il pas quelque chose à cet enfant ? Ne lui manquera-t-il pas quelqu’un ? Son père, sa mère… ? Est-il si coupable de poser simplement cette question ?

Je crois avoir tenu mon rôle de chrétien en la posant. Cela nous a valu bien des épreuves ! Je n’en ai jamais parlé, cher Thierry, mais à vous je voudrais vous le dire : j’ai été moi aussi durement attaqué dans cette période difficile, avec une violence inconnue jusqu’alors. A l’occasion de notre rencontre prochaine, je pourrais vous montrer les messages quotidiens que je reçois, comme mes frères prêtres du Padre Blog  et tant de citoyens, chrétiens ou non, engagés dans ce débat. Messages de violence et de haine, insultes gratuites, menaces en tous genres…! Le pouvoir n’aura cessé de jouer avec le mensonge, en présentant l’inquiétude simple et respectueuse de millions de citoyens en une preuve d’homophobie honteuse. Le résultat est là : au lieu de nous rassembler, ce faux progrès nous laisse profondément divisés. Des personnes homosexuelles ont souffert de ce débat et je les comprends ; elles n’ont pas été les seules…

Vous le savez, un prêtre donne sa vie pour témoigner de l’amour inconditionnel de Dieu pour chacun tel qu’il est – et rien d’autre. Il renonce à l’argent, au pouvoir, au confort. Cette vie est ma joie de chaque jour ! Mais je sais aussi que ce que nous portons et ce que nous sommes est depuis l’origine signe de contradiction. Le Christ lui même a vécu le mystère douloureux d’un cri d’amour qui n’est pas reçu. Qui suscite même parfois la haine… Il n’est donc pas étonnant que ceux qui le suivent puissent vivre la même expérience.

Je voudrais simplement qu’aucun de mes frères dans la foi ne cède à ce rejet, sans avoir au moins essayé de comprendre ; parce que nous avons en commun l’essentiel. Et l’essentiel, c’est la Parole, que vous citez. « Celui qui voit son frère dans le besoin sans se laisser attendrir, comment l’amour de Dieu pourrait-il demeurer en lui ? » Comment aurions-nous pu savoir les plus petits de nos frères dans le plus grand besoin qui soit, le besoin d’un père, d’une mère, sans nous laisser toucher par cette ultime pauvreté ? Voilà comment, pauvrement nous aussi, mais avec toute la sincérité de notre foi, et toute notre conviction de citoyens, nous avons essayé d’aimer « en actes et en vérité ».

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Abbé Pierre-Hervé Grosjean +

© Mediapart - 2013

Lettre ouverte à l'abbé Grosjean et ceux qui le suivent

Monsieur l'abbé,

Permettez-moi d'abord de me présenter. Je suis un catho de la base. Je vais à la messe tous les dimanches, je prie tous les jours, je participe aux préparations liturgiques dans ma paroisse. A ce titre, je fais partie du conseil paroissial. 
Je fais au moins une retraite chaque année. J'essaie de me mettre à la disposition des gens qui en ont besoin. Je suis marié. J'ai 6 enfants dont une adoptée et j'ai 4 petits enfants (avant la fin 2013, ils seront 7)... J'ai enseigné 36 ans dans une école libre des cours de math et de religion catholique. J'ai participé et je participe encore à des tas de mouvements chrétiens qu'il serait trop long de vous énumérer ici. Si je vous dis cela, ce n'est certainement pas pour me vanter ou pour vous "plaire", c'est simplement pour que vous voyez quelle genre de chrétien je suis.

Je vous connais mal, forcément. Je sais que vous êtes très "actif" sur Twitter... Mais quand je vous pose des questions sur le même Twitter, je n'ai pas de réponse. Alors, je vais profiter de la possibilité de dépasser les 140 caractères pour vous parler plus longuement.

Vous avez l'air de trouver tout à fait normal que l'Eglise intervienne dans la question du mariage gay qui en fait ne concerne pas l'Eglise. Pour l'Eglise, il n'y a pas de mariage entre deux personnes du même sexe. Et je suis d'accord avec ça. Mais de quel droit empêchez-vous deux non catholiques de même sexe de se marier ? Vous sortez de votre rôle grisé par un hypothétique "Printemps français" où les catholiques auraient eu un rôle prépondérant. Alors, vous commencez par critiquer le Gudd, le FN, Civitas, le Groupe Identitaire tout en sachant que sans eux, on ne parlerait pas tant de vous. Ces gens-là sont bons pour grossir le nombre de manifestants mais sont mauvais si on parle de casse. C'est chrétiens, ça, d'après vous ? D'ailleurs vous vous indignez des 293 arrestations qui ne concernent que ces groupes-là. Vous voulez sauver ce que vous condamnez. Est-ce cela le bien ? Puisque d'après vous il y avait 1 million de manifestants, les arrestations ne concernent donc que 0,0293 % des manifestants. Reconnaissez avec moi que c'est franchement peu si l'on fait une comparaison, comme vous le faites, avec les arrestations du Trocadero.

Vous vous voyez déjà dans une chrétienté retrouvée, ardente, victorieuse... Mais M. l'abbé, ce n'est pas ce que le Christ vous demande. La chrétienté, c'est terminé. Parce que tout simplement les non-chrétiens ont aussi des droits. Nous pouvons vivre notre religion dans le sein de la société. Nous pouvons même, par notre témoignage, plus que par nos paroles, essayer d'évangéliser encore et encore. Mais nous n'avons pas le droit de diriger toute la société et nous n'aurons plus jamais ce droit-là. Il faut en faire votre deuil. Ou bien, comme moi, vous considérez ce fait comme une chance car dans une société démocratique les droits des chrétiens sont respectés.

Venons-en à vos "arguments" contre le mariage homosexuel des non-catholiques. Vous dites que la base même de la société va être altérée, que c'est la porte ouverte à tous les abus et vous les citez : polygamie, zoophilie, mariages consanguins... Ecoutez : ici, en Belgique, il y a 10 ans que les homosexuels peuvent se marier. Venez voir, lisez la presse belge, fondez-vous dans la population belge. Rien de tous ces abus ne pointe à l'horizon. Ce ne sont que des fantasmes. Et si ces abus devaient un jour se réaliser, le mariage homo n'en serait pas plus responsable que toutes les composantes de la société. Vous voulez à tout prix présenter les homosexuels comme le bouc-émissaire idéal... Autrement dit, vous condamnez d'avance : vous faîtes un procès d'intention. Et ça, M. l'abbé, ce n'est pas chrétien du tout. C'est ce genre de procès qu'a subi Jésus-Christ. Reconnaissez avec moi que c'est la base même d'une vie de Chrétien. Imaginez qu’on dise que l’ordination d’un prêtre favorise la pédophilie !!!

Vous parlez aussi beaucoup des enfants de ces couples du même sexe. Vous annoncez fièrement qu'ils ne seront sûrement pas tout à fait heureux, qu'il leur manquera ce qu'il faut pour atteindre le bonheur... etc. Là aussi, vous cherchez un bouc émissaire. Parce que des enfants malheureux, il y en a des tonnes pour le moment. C'est un enseignant qui vous le dit. Et ils appartiennent à toutes sortes de famille : famille unicellulaire, famille monoparentale, famille recomposée... Il n'y a pas un seul genre de famille qui est à l'abri de cette catastrophe. Et je vous le dis tout net : un couple homosexuel donnera une garantie que les autres types de familles ne pourront jamais donner tout à fait. C'est l'amour désiré : un couple de même sexe est obligé de passer par l'adoption pour avoir un enfant. J'ai moi-même fait tout le parcours du combattant pour adopter notre petite fille qui venait d'Haïti. Nous avons été interrogés à maintes reprises, nous avons fait l'objet d'un profil psychologique et d'un profil socio-culturel. C'est cela que feront les couples de même sexe qui voudront adopter. Et, comme pour les autres candidats adoptants, certains seront refusés. Ce qui n'est jamais le cas pour des enfants biologiques. C'est une belle hypocrisie, M. l'abbé, d'avancer vos arguments. Vous surfez sur la vague "mais où va-t-on ?" Alors qu'on y est déjà dans ce "où" !

Pour encore mieux me faire comprendre, je vais faire une comparaison avec le divorce. Je l'avais fait en tweets, mais vous ne m'avez jamais répondu.

Vous le savez, le divorce chrétien, cela n'existe pas. Or le divorce laisse derrière lui toutes sortes de dégâts bien visibles. Il y a parfois des enfants qui sont blessés à vie par le divorce de leurs parents. Il y a des adolescents qui se suicident parfois de cela. Quand donc descendez-vous dans la rue pour défendre ces enfants ???? Jamais ! 

Alors pourquoi le faites vous pour les futurs enfants hypothétiquement malheureux des couples de même sexe ???

Vos arguments ne tiennent pas la route, M. l'abbé. Et vous êtes en train d'emmener des tas de chrétiens dans le mur de l'irraisonné ! Allez, je vous donne encore un exemple du manque de fondé de vos positions. Vous dites "un papa, une maman, pour chaque enfant". Dois-je vous rappeler ces multitudes de petites filles orphelines élevées dans des couvents de religieuses ? Ces enfants n'avaient "pas de papa" et sept ou huit mamans. L'Eglise elle-même organisait ces "familles" monoparentale et « polygames ». Maintenant, heureusement, un couple de même sexe, désirant un enfant, voulant l'aimer pourra le soustraire d'un orphelinat du Tiers-Monde et ce sera très bien ainsi.

M. l'abbé, vous avez à faire un travail énorme avec les chrétiens. N'allez pas à l'extérieur faire "votre" loi. Venez en aide aux couples en détresse, aux enfants mal-aimés, allez visiter des couples chrétiens séparés, venez en aide à l’adolescent en rupture avec ses parent parce qu’il est homosexuel... parlez avec les homosexuels (il ne faut pas aller loin : le Professeur Van Meerbeeck, Docteur en médecine, Neuropsychiatre et Psychanalyste, professeur à l'Université Catholique de Louvain, a affirmé à la télévision belge que 70 % des prêtres sont homosexuels peu ou prou)... Faites du bien à ceux qui vous donnent leur confiance... N'empêchez pas les non-chrétiens à construire leur propre bonheur... Je pense que l'Evangile que vous annoncerez alors sera bien plus beau à leurs yeux…

Pour terminer cette lettre, je vous invite à lire le petit passage biblique que propose les Vêpres de ce jour : 1 Jean 3 : 17-18

Celui qui a de quoi vivre en ce monde, s'il voit son frère dans le besoin sans se laisser attendrir, comment l'amour de Dieu pourrait-il demeurer en lui ?Mes enfants, nous devons aimer, non pas avec des paroles et des discours, mais par des actes et en vérité. (Clin d’œil de celui qui nous aime infiniment)

Thierry Peltier

© Mediapart - 2013

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