Dédicace de la Cathédrale

23 décembre 1875 : Dédicace de la Cathédrale par Mgr Tepano JAUSSEN

Consécration et inauguration de la Cathédrale de Papeete

Recension de la célébration dans la revue des Pères des Sacrés-Cœurs de Picpus

À l’occasion de la dédicace du nouvel autel de la Cathédrale, nous vous proposons de relire la recension des festivités qui ont entourées l’inauguration de la Cathédrale de Papeete en 1875, parue dans les Annales des Pères des Sacrés-Cœurs en 1876.

"Les fêtes que nous de nommer excitent ordinairement un grand enthousiasme religieux dans nos pays catholiques, sans exceptér les populations au sein desquelles la foi et la piété ont le plus sensiblement diminué. C’est que l’Église a su rehausser ces choses par la pompe des plus majestueuses solennités. De là on peut conjecturer l’effet produit par des cérémonies de ce genre chez un peuple en partie nouvellement converti. C’est du reste ce que va prouver le récit que nous allons faire, combinant la relation du Messager de Tahiti avec une lettre de M. Lacombe, étudiant ecclésiastique attaché à la mission de cet archipel.

Pour bien comprendre les faits que nous voulons rapporter, il faut savoir que la ville de Papeete, capitale des îles Tahiti, est habitée par une population composée des éléments les plus disparates. Depuis que le gouvernement français a établi son protectorat dans ce pays, beaucoup de nos compatriotes y ont fixé demeure, les uns comme membres de l’administration ou en raison du service militaire, les autres pour leur commerce, sans parler de ceux qui sont venus y partager les travaux missionnaires. Un certain nombre d’étrangers de nationalités diverses y résident également. Il serait difficile, on le conçoit, qu’une telle agglomération produisit une paroisse fervente. Pour ce qui est des indigènes, il s’en faut bien pour que tous est déjà ouvert les yeux à la lumière de la vraie foi. À côté de bons catéchumènes et de pieux catholiques, on voit, comme partout ailleurs, des incrédules et des indifférents. Ajoutons que la secte protestante implantée dans la pays avant l’arrivée des missionnaires y occupe une grande partie du terrain.

Pour faciliter les progrès de son œuvre de régénération spirituelle et morale, Mgr Jaussen, évêque d’Axieri et vicaire apostolique dans ces parages, avait conçu depuis longtemps l’heureuse idée de faire construire à Papeete une église qui, sans être un monument de premier ordre, eût cependant des proportions suffisantes pour donner aux insulaires une haute idée de notre sainte Religion, en même temps qu’elle témoignerait à leurs yeux de la croyance catholique de cette France dont les enfants venaient lui apporter le double bienfait de la foi et de la civilisation.

Cette œuvre, commencée depuis longtemps avec le concours du gouvernement et traversée par de nombreuses difficultés, vient enfin d’être conduite à bon terme et couronnée par les belles fêtes dont nous allons parler.

Commençons par dire que les derniers préparatifs ont été assez pénibles. Malgré le zèle de Mgr d’Axieri, l’activité infatigable du R.P. Collette, Provincial et Curé, et la bonne volonté de l’administration  gouvernementale, il semblait impossible que tout fût prêt à Noël, époque présumée de l’inauguration. On commençait à désespérer, lorsqu’on apprit que le 19 décembre était le jour décidément fixé pour la bénédiction des cloches, laquelle devait ouvrir la série des belles fêtes que tout le monde attendait. Ce fut une agréable surprise.

Déjà le gros œuvre était achevé, les échafaudages avaient disparu et l’on voyait les autels se dresser sous les voutes de l’édifice ; mais il restait encore bien à faire pour compléter la décoration intérieure. Le R.P. Collette fit donc un appel à la générosité de ses paroissiens. Sa voix fut entendue. Une sœur de Saint Joseph de Cluny, accompagnée d’une enfant, alla recueillir les dons à domicile. Le produit de cette quête dépassa toute espérance et montra la sympathie générale de la population à l’égard du nouveau temple. Français et Anglais catholiques et protestants, tous voulurent concourir à son ornementation.

Tout fût donc prêt pour le dimanche 19 décembre, jour fixé pour la bénédiction des cloches. À côté de l’église, sous la voûte de verdure que forme un arbre gigantesque, on avait dressé une estrade sur laquelle on suspendit les trois cloches splendidement décorées et disposées convenablement pour la cérémonie.

Dans l’après-midi, toute la population de Tahiti et des districts environnants se trouvait réunie dans l’attente de ce grand événement. M. Le chef de la colonie avec toutes les notabilités du pays s’était rendus à l’invitation qu’ils avaient reçue ; des places d’honneur avaient été réservées pour les parrains et marraines ou leurs représentants dont nous avons donné les noms plus haut.

À 3 heures, Mgr d’Axieri, assisté des RR.P.. Collette et Duval, sort de la nouvelle église et se dirige vers l’estrade pour y procéder à la cérémonie du baptême que tout le monde suivit avec intérêt, mêlé de curiosité et de religieuse attention. L’enthousiasme fut à son comble lorsqu’on entendit pour la première fois le son joyeux de ces voix argentines consacrées désormais au culte divin. Bientôt après une pluie tombait du ciel sur la tête des assistants : les gouttes de cette agréable rosée n’étaient autre chose que des dragées et des bonbons.

Quant la cérémonie fut terminée, les portes de la nouvelle église s’ouvrirent à deux battants et la foule empressée se précipita dans son enceinte. « On admirait, écrit M. Lacombe, le bel intérieur de l’édifice, ses colonnes, ses voûtes élevées et gracieusement découpées, ses vitraux aux vives couleurs, la magnifique verrière qui domine le maître-autel représentant N.-D. du Sacré-Cœur et notre bien-aimé Pontife, prosterné à ses pieds lui offrant son bâton pastoral. La chair et le maître-autel satisfont surtout les regards des connaisseurs » !

Les travaux de décoration furent repris le lendemain  et poussés avec vigueur. Les ouvriers prolongeant leur journée jusqu’à 10 heures du soir, et le R.P. Collette ne se couchant que vers minuit. Il n’y avait en effet pas de temps à perdre, car la consécration devait avoir lieu le jeudi suivant, 23 décembre.

Ce jour étant arrivé, dès 6 heures et demie du matin, le son des cloches convoquait à la grande cérémonie les heureux habitants de Papeete. Mgr d’Axieri ne tarda pas à paraître ayant pour assistant les RR.PP. Duval et Georges. D’après les règles de la liturgie, personne, à l’exception de l’Évêque et de son clergé, n’aurait dû pénétrer dans l’église avant la fin de la consécration ; mais comment contenir l’empressement de cette foule compacte qui assiégeait les abords du temple ? Comment faire agréer à cette multitude composée d’éléments si divers les motifs de cette réserve ? Le Prélat crut bien interpréter les intentions de la sainte Église en tolérant ce que d’ailleurs il lui eût été difficile d’empêcher. Il eut soin cependant de bien faire observer qu’il accordait un privilège ; et pour utiliser cette concession, il interrompit à diverses reprises les rites sacrés pour en donner une courte explication. Les paroles prononcées en français puis traduite en kanaque furent écoutées avec une religieuse attention. Ce qui flattait surtout les indigènes, c’est l’insistance avec laquelle sa Grandeur en appelait aux connaissances bibliques de ses auditeurs au cours de ces explications. La cérémonie se prolongea jusqu’à 11 heures et fût terminées par l’oblation du saint sacrifice de la Messe.

Le lendemain était la veille de Noël, cet intervalle fut employé à parer les autels et disposer les places.

Le grand jour s’étant levé, les cloches sonnèrent à huit heures du matin, et bientôt l’assistance afflua non moins nombreuse que les jours précédents. Tout se passa néanmoins avec ordre. Un piquet de soldats formait une double haie au milieu de la grande nef, lorsqu’un son rapide de clairon annonça l’arrivée des chefs de l’administration. MM. Le Commandant, l’Ordonnateur et le Chef de la justice prirent les places qui leur étaient réservées dans le sanctuaire ; les autres officiers de la colonie les suivirent et se rangèrent après eux. Mgr d’Axieri vint ensuite siéger sur le trône qui lui était préparé. Sa Grandeur était revêtu de sa Cappa magna et entourée de ses assistants. La messe fut célébrée par le R.P. Collette ; les PP. Duval et Georges faisaient l’office de diacre et de sous-diacre.

La musique de la ville invitée par l’administration se tenait au bas de la nef. Elle exécuta un morceau religieux tandis que l’officiant commençait la célébration des saints mystères.

Après l’évangile, le R.P. Collette monta en chair et prononça d’une voix forte et animée un discours qui fut écouté avec une religieuse attention. Une satisfaction manifeste se peignait sur tous les visages. Qui sait si cette parole évangélique n’aura pas été pour plusieurs de nos frères égarés, une précieuse semence de salut ?

La messe fût ensuite achevée pendant que l’orgue entremêla ses sons graves et harmonieux avec les accords de la musique de la ville. Au moment de l’élévation le clairon se fit entendre, les soldats ployèrent le genou devant le Dieu des armées et tous les fronts s’inclinèrent en sa présence.

Au dernier évangile, Mgr d’Axieri donna la bénédiction solennelle. Le Commandant se retira avec toute sa suite, et les places qu’ils laissèrent vacantes furent aussitôt remplies par de nombreux fidèles, pour lesquels une autre cérémonie allait bientôt commencer.

C’était la messe paroissiale qui fut célébrée pontificalement par Mgr d’Axieri. Au son bruyant de la fanfare succéda le chant grave et majestueux de la messe royale de Dumont. Les néophytes se retrouvaient en famille. Les frères de Plöermel et leurs enfants exécutèrent l’Introït, le Kyrie, le Gloria avec beaucoup d’ensemble.

Après l’évangile, Mgr Jaussen monta en chaire, et lut solennellement son instruction pastorale concernant le jubilé. Cette lecture, écoutée avec un pieux respect, fut suivie d’une touchante allocution et de la bénédiction épiscopale.

Les derniers chants de la messe furent exécutés en partie par les élèves des Sœurs et en partie par des artistes indigènes. Le tout fut terminé par un cantique d’action de grâces que les Kanaques ne se lassent point de répéter.

La matinée avait donc été bien remplie, et l’on aurait pu croire que c’en était assez. Bien des catholiques français eussent été de cet avis ; mais la ferveur des chrétiens de Papeete ne se trouvait point satisfaite. À 4 heures, il y eut chant des Vêpres, et à 7 heures, le salut du Saint Sacrement. Cette dernière cérémonie fut aussi suivie que les précédentes. On y avait déployé toute la pompe possible : l’autel était resplendissant. Une excellente instruction du R.P. Georges vint mettre le comble au bonheur des pieux assistants ; et lorsque Mgr d’Axieri eut donné la bénédiction solennelle du Très Saint Sacrement, tout le monde se retira le cœur rempli d’une joie douce et pure, sans même songer à se plaindre de la fatigue que ces nombreux exercice pouvaient occasionner.

Nous terminerons ce récit par la description suivante extraite du messager de Tahiti :

« L’église de Papeete a quarante mètre de longueur et quatorze de largeur. Le plan a été dressé par M. de la Taille et retouché par M. Sourian. Les fondations furent jetée en béton sur un banc de corail plus vaste que l’édifice, sous le gouvernement de M. de Jouslard. Les travaux furent poussés, sous celui de M. Girard, avec l’activité que permettaient les ressources financières. Enfin sous le gouvernement de M. Gilbert-Pierre une impulsion plus grande encore fut donnée, et la construction a pu être achevée avec le concours de tous.

L’extérieur est simple, mais satisfaisant. Le clocher attire toujours le regard. Les marins parlent tous de la surprise qu’ils éprouvent en le contemplant de la mer.

La construction entière a été faite par les ouvriers de la colonie. Les portes sont dues au ciseau des Mangaréviens. L’intérieur de l’église se compose de trois nefs, séparées par des colonnes un peu aveltes, qui devaient être en fonte au lieu d’être en bois. Les ouvertures sont en pleine ogive et laissent pénétrer une lumière qui n’est pas excessive. Les voûtes sont ogivales. La chaire, ornée des quatre évangélistes et les trois autels avec statuettes, sont en beau bois de chêne et biens appropriés au style de l’église. Toute cette boiserie est sortie des ateliers des célèbres MM. Goyers de Louvain (Belgique). Le grand autel remplit parfaitement le fond de l’abside. Il est surmonté d’une verrière exécutée par M. Lobain de Tours.

Les deux autels des nefs latérales avaient d’abord peu d’apparat, mais ils font bon effet, surmontés de statues et deux tableaux, dont l’un, représentant la Saint Famille, est dû à la générosité de Mme Bruat, et l’autre à celle de Mlle Dieudonnée, de Louvain. Elle a elle-même exécuté cette copie de Rubens pour notre église, à la prière de l’évêque d’Axieri. Longtemps ce tableau, qui représente Jésus en croix au moment où Longin lui perce le cœur, a été déposé à Atue, attendant la destination de la donatrice. Les indigènes ont l’habitude de s’asseoir devant cette toile et de contempler longuement et avec saisissement cette scène émouvante.

En résumé, l’intérieur et l’extérieur de l’église de Papeete satisfont le regard. On y entre et on y rentre. Qui donc n’a pas fait plusieurs fois ces évolutions, et toujours avec un plaisir nouveau ? » "

© Annales des Sacrés-Cœurs - 1876

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