Fr ACAR Marie-Sébastien, ss.cc.

Fr Marie-Sébastien ACAR, s.s.c.c.

Compendium

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Brève biographie

1850            3 novembre           Naissance à Courtrai – Flandre occidentale - Belgique ;

1868            18 janvier               1er engagement dans les Zouaves pontificaux – Mat. 6837 ;

1869            1er juin                     Nommé caporal ;

1870            27 janvier               Libéré de son engagement ;

                      8 septembre          Nouvel engagement sous le matricule 10835 ;

                                                         Participe au siège de Rome ;

1876            18 décembre         Profès comme Frère convers ;

1877                                               Mission aux îles Marquises ;

1891            10 mars                   Titulaire de la médaille Bene merenti des Zouaves pontificaux par le Pape Léon XIII ;

1896            30 mai                      Décès à Puamau – Hiva oa - Marquises ;

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Biographie

ACAR, Camille-Ernest (Frère Marie-Sébastien) (1850-1896). - Frère convers picpucien. Né le 3 novembre 1850 à Courtrai (Belgique). Il entre chez les Zouaves pontificaux le 18 janvier 1868 sous la matricule 6837. Il est nommé caporal le 21 juin 1869. Libéré de son engagement le 27 janvier 1870. Se réengage le 8 septembre 1870 sous le matricule 10835. Il participe au siège de Rome en 1870. Il entre au noviciat de la Congrégation des Sacrés-Cœurs, sous le nom de Frère Marie-Sébastien, et fait sa profession le 18 décembre 1876 ; part en 1877 aux îles Marquises et est nommé dans une école de 160 enfants pour l’instruction et l’éducation. Y travaille dix-neuf ans comme catéchiste et instituteur. Le 10 mars 1891, la médaille “Bene merenti” des zouaves pontificaux lui est attribuée par le Pape Léon XIII. Meurt à Puamau, Hiva Oa, le 30 mai 1896 « d’embarras gastrique, accompagné de fièvre chronique ».

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Carnet du personnel missionnaire du Vicariat apostolique de Tahiti

Néant

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1850 - Acte de Naissance – Courtrai - Belgique

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1896 - Acte de Décès – District de Puamau

N°9

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Du 30 Mai 1896

Décès de Acar Marie Sébastien

46 ans

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ACTE DE DÉCÈS – District de Puamau

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L’an mil huit cent quatre-vingt-seize et le trente du mois de Mai à sept heures du matin

Par-devant nous, soussigné, Forgue Charles officier de l’état-civil de la commune de Puamau

ONT COMPARU :

Tauaiti Siméon profession de catéchiste domicilié à Puamau âgé de vingt six ans

Et Kiko Hippolyte profession de cultivateur domicilié à Puamau âgé de trente six ans, non parents du décédé

Qui nous ont déclaré le décès de Acar Marie Sébastien profession de père de la Confrérie de Picpus domicilié à Puamau âgé de quarante six ans, célibataire.

fils de Jean Acar et de Louise Hetlère né à Courtray (Belgique), décédé à Puamau le trente du mois de Mai à cinq heures du matin an mil huit cent quatre-vingt-seize.

En foi de quoi, après nous être assuré du décès, nous avons dressé le présent acte que lecture faite, nous avons signé avec les témoins.

Les Témoins,                                                                                                                L’Officier de l’état civil,

[suivent les trois signatures]

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1891 – Dans les mers du Sud de Robert Louis STEVENSON

À l’occasion de son voyage et de son passage dans l’archipel des Marquises en 1888…, Robert Louis Stevenson à l’occasion de rencontre le Frère Michel Acar. Dans son livre « Dans les mers du Sud » il parle à plusieurs reprises de lui. En voici les extraits principaux [Les extraits ci-dessous sont tiré de l’édition « Folio » de 1995 traduction de M.L. des Garets.] :

Chapitre VII – Hatiheu [p.67] Suivant mes projets, j’allai d’abord visiter l’école des garçons, car Hatiheu est l’Université des îles du Nord. Le bourdonnement de la leçon vint au-devant de nous. Près de la porte, où soufflait un courant d’air plus frais, se tenait le frère lai ; assis autour de lui, serrés en demi-cercle, une soixantaine d’enfants, aux figures foncées, écarquillaient les yeux ; et, au fond de la pièce dénudée, se voyaient des bancs et des tableaux noirs couverts de chiffres à la craie. Le frère se leva pour [p.68] nous saluer, d’un air humble. « Il était là depuis trente ans » - nous dit-il, montrant du doigt ses cheveux blancs, comme un enfant intimidé tire son tablier. « Et point de résultats, Monsieur ! presque pas de résultats ! » Il désigna ses élèves : « Vous voyez là, Monsieur, toute la jeunesse de Nuku-hiva et de Ua-pu. C’est tout ce qu’il en reste entre l’âge de 6 et 15 ans ; et pourtant, il y a que peut d’année encore, nous en avions plus de 120 venant de Nuku-hiva seulement. Oui, Monsieur, cela se dépérit ! » Des prières, de la lecture et de l’écriture, puis encore des prières et de l’arithmétique, et encore des prières pour terminer, tel semblait être le cours mélancolique des choses. Tous les insulaires ont un goût naturel pour l’arithmétique. À Hawaï, ils font de grands progrès en mathématiques. Dans le village de Majuro, et généralement dans le groupe Marshall, toute la population s’asseoit en rond autour du négociant quand il pèse le copra, et chacun relève les comptes sur sa propre ardoise et vérifie le total. Le négociant, remarquant leurs aptitudes, introduisit des fractions ; ils n’en connaissaient pas les règles ; ils furent d’abord très embarassés ; mais peu à peu, par un pur effort de pensée, ils arrivèrent à la solution et s’en vinrent, l’un après l’autre, assurer au commerçant qu’il ne s’était pas trompé. Peu d’Européens en eussent fait autant. Les études à Hatiheu sont donc moins fastidieuses pour les Polynésiens qu’un étranger aurait pu le croire, et cependant, combien arides encore ! Je demandai au frère lai s’il leur racontait des contes ? et il me regarda avec étonnement ; s’il ne leur enseignait pas l’histoire et il me dit : « Oh, oui, un peu d’histoire sainte – du Nouveau Testament » ; et il recommança ses lamentations sur le peu de résultats qu’il obtenanit. Je n’eus pas le cœur de poursuivre mes questions ; je ne pus que lui dire que ce [p.69] devait être bien décourageant, et je résistai à l’envie de lui dire que c’était aussi bien naturel ! Il leva les yeux : « Mes jours sont comptés – dit-il – le ciel m’attend ! » Le ciel me pardonne, mais je me sentis plein de colère contre le vieillard et sa trop facile consolation ; car pensez à ce qu’il était à même de faire ! Les enfants de 6 à 15 ans sont enlevés à leurs foyers par le Gouvernement, centralisés à Hatiheu, où ils reçoivent, par semaine, une portion d’alimentation déterminée, et sauf pendant un mois par an, sont soumis complètement à l’influence des prêtres.

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1891 – Bref du pape Léon XIII - Décoration pontificale – 10 mars

../../../../../../../Users/Christophe/Desktop/États Pontificaux - Médaille Benemerenti commémorative des Zouaves Pontificaux, en bronze, ruban non monté. Diamètre : 29 mm. Rome, 1891.

Note - Instituée par bref de Léon XIII du 10 mars 1891, pour récompenser les anciens Zouaves Pontificaux, cette médaille leur fut remise, accompagnée d'un brevet signé du général de Charrette, lors d'une cérémonie à la Basse-Motte, le 27 juin 1891. Son ruban reprenait les couleurs inversées de la croix de Mentana.

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1893 – Annales de la Propagation de la Foi – T. 65 – p.318

OCÉANIE

Décoration pontificale accordée à un missionnaire

Par un Bref daté du 10 mars 1891, Sa Sainteté le Pape Léon XIII a ordonné qu'une médaille fût frappée pour les Zouaves pontificaux, qui ont eu I'honneur de défendre le pouvoir temporel à Rome.

Une de ces médailles est allée jusqu'en Océanie, se reposer sur la poitrine d’un jeune zouave, caporal de la 4è compagnie du 2è bataillon, nommé Frère Marie-Sébastien Acar, originaire de Courtrai (Belgique), Frère coadjuteur de la Congrégation des S. Sacrés Cœurs de Picpus, depuis l’année 1877.

Il y eut grande fête, à cette occasion : l’affluence fut considérable. Dans une chaleureuse allocution, Mgr le Vicaire apostolique fit passer dans tous les cœurs son affection pour le Père commun des fidèles. La messe finie, on se dirige vers l’école, car notre zouave est aujourd'hui maître d'école à Puamau, et ses classes ont compté jusqu'à deux cents élèves. Au milieu de la plus vaste salle, missionnaires, chefs de district, gendarmes, Européens, Indigènes, élèves, prennent place autour de l’humble religieux. Mgr Martin attache la décoration sur la poitrine du Frère et l'embrasse avec effusion. Un modeste repas réunit ensuite de nombreux convives et le héros de la fête débita une pièce de vers en l'honneur de Léon XIII.

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1894 – Annales des Sacrés Cœurs – p.394-396

Iles Marquises. – Une fête itime à Atuona. À l’occasion de sa fête patronale,- écrit Une le Frère Sébastien, Mgr Rogatien-Joseph Martin avait invité. à Atuona, lieude sa résidence, plusieurs missionnaires et un certain nombre d'indigènes.

« Deux missionnaires étaient restés au confessional pendant l'après-midi de la veille et une grande partie de la nuit pour entendre les pénitents.

L’église, décorée avec goût, avait pris sa plus riche parure.

À 8 heures, messe pontificale. Les assistants de l'évêque étaient : le vénérable Père Orens, deux fois jubilaire et doyen des missionnaires, les RR.PP. Olivier, diacre et Jean Berchmans, sous-diacre, le R.P. Materne, cérémoniaire, enfin quatre catéchistes, servants. Telle était l'affluence de nos chrétiens à l'église que

« Mateo », le suisse de la cathédrale, un superbe tatoué, avait peine à se frayer passage à travers la foule. On remarquait dans l'assistance les autorités civiles et plusieurs colons. Au dehors, des protestants, des païens mêmes assiégeaient les fenêtres en curieux. Pendant toute la messe, I'orgue alterna avec les voix des Sœurs de Saint-Joseph et de leurs élèves.

Sa Grandeur prononça, après l'évangile, une vive et touchante allocution qui fit couler de douces larmes. Il s'attacha tour à tour à mettre en relief les vertus de Joseph, fils de Jacob, intendant de Pharaon et celles du juste Joseph, époux de Marie, devenu l'intendant de Jésus.au ciel et le canal de grâces pour tous ceux qui s'adressent à lui avec foi et confiance. Si Pharaon se reposait de tout soin temporel sur son fidèle ministre, Jésus au ciel accorde un crédit spécial au juste Joseph pour toutes les faveurs spirituelles et il semble nous dire en nous montrant son Père nourricier : allez à Joseph ! il a tout pouvoir sur mes biens, tout pouvoir sur mon cœur.

Qu'êtes-vous venus faire si nombreux, continue Monseigneur, en cette fête Saint-Joseph. Étaler de riches habits ? Assister en simples spectateurs à une messe pontificale ? Non, mes enfants ; vous avez un but plus noble. Vous êtes venus prier Saint-Joseph afin d'obtenir pour votre évêque les grâces dont il a besoin comme pasteur des âmes ; vous êtes venus pour recevoir Jésus dans votre cœur et procurer ainsi à votre père en Dieu, au jour de sa fête, joie et consolation. C'est une attention dont je vous remercie, mes chers enfants.

À la communion, en effet, une couronne de 170 personnes s'approchèrent de la table sainte pour participer au banquet des anges et goûter la manne céleste ; et pendant ce temps des voix exercées redisaient le délicieux dialogue de « I'ange et l'âme ».

Quelque temps après, un compliment a été lu à Sa Grandeur, au nom de tous les membres de la mission, par le R.P. Olivier, où étaient exposés, entre autres choses, les résultats consolants obtenus depuis que Mgr Martin a été nommé chef spirituel des Marquises, résultats dus à son zèle prudent et éclairé, à son activité infatigable pour le salut des âmes, à sa parole pleine d'onction, à sa charité pour les malades et surtout pour ses chers lépreux. Monseigneur répondit par quelques mots de remerciement, mais il déclina les éloges à son adresse et ajouta que s'il y avait progrès et résurrection spirituelle parmi les indigènes ce n'est pas tant le fruit de ses efforts que le résultat du dévouement de ses missionnaires et de ses collaborateurs dans la vigne du Seigneur II les exhorta en terminant à persévérer dans cette voie de dévouemento de labeurs et de sacrifices ».

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1894 – À travers l’Archipel marquisien – Mission catholique (1)

[Mission catholique – 1894 – p.360-361]

À TRAVERS L’ARCHIPEL MARQUISIEN

(Océanie française)

Relation du Frère Marie-Sébastien Acar

Religieux de la Congrégation des SS. Cœurs de Picpus, maître d’école à Puamau, île Hivaoa.

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L’île d’Hivaoa ou Dominique, dont il est question dans cette missive, mesure une superficie de quatre cents kilomètres carrés.

Nos lecteurs suivront avec intérêt le Frère Acar dans sa pittoresque excursion à travers cette terre boisée et fertile, la plus riche et la plus peuplée des douze îles qui composent l’archipel français des Marquises.

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Désirant compléter les détails déjà donnés sur notre chère Mission des Iles Marquises et tout spécialement sur l’île Hivaoa où je suis depuis près de vingt ans, permettez-moi de vous entretenir quelques instants de mon voyage de Puamau à Atuona, distant de quarante kilomètres.

Par une belle matinée de janvier, je me mettais en route avec le R.P. Jean Berchmans pour aller prendre part à la retraite annuelle. Le R.P. Olivier Gimbert, venu de Fatuiva, se joignit bientôt à nous et, après vingt minutes de marche, nous arrivions au pied de la montagne Tatinopetaï (la trappe des oiseaux). Nous fîmes là une petite halte pendant laquelle le P. Jean voulut absolument faire le croquis de mon humble personne. Certes, mon accoutrement singulier justifiait assez pareille fantaisie : figurez-vous, en effet, une paire de guêtres sans boutons ni coutures, taillées dans une paire de bas noirs ; un pantalon blanc serré dans ces guêtres de nouvelle marque ; une chemise à carreaux bleus et blancs ; un paquet de provisions suspendu sur l’épaule au bout d’un bâton ; comme couronnement, un chapeau en pandanus à large bord ; et dites-moi s’il n’y avait pas là de quoi tenter un crayon d’artiste ?…

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Trois kilomètres d’une route phénoménale, creusée ou même collée par les indigènes aux flancs de la montagne, nous amènent tout ruisselants de sueur jusqu’au point culminant, d’où nos yeux contemplent avec ravissement ma chère baie de Puamau (voir la gravure page 353). Capricieuse, elle s’offre et se soustrait tour à tour aux humides caresses des flots ; je la vois s’ouvrir, s’élargir, se déployer, se rapprocher et s’enfuir en se confondant brusquement avec la ligne brisée de la côte d’Hivaoa.

Nous marchons dès ce moment sur la crête de la montagne, qui n’a plus maintenant qu’une brasse de largeur. Nous franchissons ainsi sous une pluie torrentielle l’endroit le plus étroit de l’île, ayant à nos pieds de chaque côté l’Océan mugissant et qui s’efforce de séparer les deux terres. Mais bientôt un passage nous donne des inquiétudes : c’est la montée de la Savonnerie, où l’on glisse en tout temps, mais surtout lorsqu’il a plu. Nous nous en tirons sans accident, et nous arrivons tout heureux au Pic des Fées ou Demeure des esprits.

Il y a là une vieille masure, peut-être bien un débris de temple que nous avons décoré du beau titre ronflant d’Hotel du comte de Flandre, tenu par les fées ! (Voir la grav. p.361.) Quelques vieux païens y apportent de temps à autre de la nourriture, et quand on en trouve là, on en profite, naturellement…

Cette fois-ci, il n’y avait rien. Les fées étaient sans doute en voyage, mais elles avaient eu soin de laisser un planton à la porte de l’hôtellerie ; nous fûmes reçu par un énorme rat qui fit volte-face, nous salua de sa longue queue et disparut dans son trou. Nous nous attablâmes cependant, car c’est le seul endroit où l’on puisse trouver une goutte d’eau entre Puamau et Atuona.

Trois kilomètres plus loin, nous atteignîmes enfin le plateau de Haamau : la route devient belle, unie et spacieuse. Vers le milieu de ce plateau, à droite de la route, se dresse un paépaé (pavé sacré), naguère enncore destiné aux sacrifices humains.

Il y a des paépaé dans toutes les vallées ; celles où la population est dense en ont fait jusqu’à trois. Ils sont construits en pierres sèches juxtaposées. Ces pierres ont été taillées avec des outils eux-mêmes en pierre dure : travail de patience et de longue haleine. Elles ont en moyenne un mètre 50 de longueur sur 0,60 de largeur et 0,25 d’épaisseur. De forme rectangulaire, ces paépaé mesurent de 30 à 40 mètres de longueur sur 10 mètres de largeur et 1 mètre 50 de haut !

Avant l’occupation française, le paépaé qui nous occupe se trouvait au milieu d’un village habité par de féroces cannibales. Malheur à l’imprudent qui s’aventurait alors dans cette partie de la montagne. Il était sûr d’être cuit au four et croqué à belles dents, car retranchés dans l’ornière, au centre de ce plateau, les terribles Marquisiens s’y croyaient inexpugnables, et ne faisaient grâce à personne.

Le F. Frézal faillit un jour s’en convaincre. Obligé de franchir la fameuse montagne pour aller à Hanaiapa, il avait à peine répondu aux questions que tout Kanaque adresse au voyageur : « Où vas-tu ? D’ou viens-tu ? » qu’un grand diable de tatoué s’élance à sa poursuite, un poignard à la main. En bon Auvergnat, le Frère se met à jouer du bâton : « - Qu’y a-t-il dans ton sac ? » rugit le brigand. « - Du biscuit, du tabac et mon habit. » « - Donne-moi le biscuit et le tabac. » « -Tiens, dit le Frère, en lui jetant le biscuit et le tabac, et laisse-moi la paix. » « - Je veux ta veste. » Pour toute réponse le Frère lui montre son gourdin noueux en disant : « -Suis-moi jusqu’à Hanaiapa et nous verrons. » Le sauvage n’insista pas, et le bon Frère de s’enfuir.

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Les meurtres et les scènes de sauvagerie qui suivirent cet incident obligèrent le Gouvernement français à tenter un nouvel effort pour soumettre les rebelles. Le contre-amiral Du Petit-Thouars fut chargé de cette expédition.

Il commença par consulter le vicaire apostolique, Mgr Dordillon, lui demanda un frère pour guide, et gravit la montagne à la tête de six cents hommes, sous un épais brouillard. C’était le 21 juin 1880. Tous les sauvages dormaient ivres d’eau-de-vie de coco, le fusil chargé entre les jambes ; l’attaque fut si secrète et si prompte que les guerriers n’eurent même pas le temps d’user de leurs armes, ils se réveillèrent tous solidement garrottés et furent conduits avec leurs femmes et leurs enfants sur les navires de guerre qui les attendaient en rade d’Hanaiapa. Les petites filles furent confiées aux Sœurs de Saint-Joseph de Cluny ; les petits garçons à l’école de la Mission, les hommes et les femmes, après deux années de captivités, furent renvoyés dans leur île, un peu intimidés mais non pas convertis.

Tout dernièrement encore on parlait de deux individus qui auraient disparu dans la montagne.

L’expédition terminée, l’amiral en porta aussitôt la nouvelle au Vicaire apostolique et lui demanda un Te Deum pour l’heureuse issue de l’entreprise, qui n’avait pas coûté une goutte de sang !

Marins, soldats et indigènent s’y rendirent de tous les points de l’archipel : l’amiral s’y trouvait à la tête de son État-major. Il savait rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. En effet, au moment où l’escadre appareillait pour revoir la patrie, le noble marin voulut laisser aux missionnaires un éclatant témoignage de sa reconnaissance et de sa haute estime :

« Mon révérend Père, dit-il, en s’adressant au R.P. Provincial, je repars pour la France, car, grâce à Dieu et à vous, je n’ai que faire ici maintenant : ma mission est remplie et heureusement terminée ! Je n’ai fait que suivre vos conseils : tout est rentré dans l’ordre. Merci à vous, mon Père, et merci à vos confrères si dévoués. Je pars convaincu que nous ne nous reverrons plus ici-bas : mais priez pour moi, et au revoir là-haut ! »

Il a dit vrai. Notre bon Père Provincial a été fidèle au rendez-vous : il est partit en même temps que lui pour le ciel.

Je venais de faire le récit de ces événements à mes deux compagnons lorsque nous arrivâmes à Atuona, lieu de notre retraite. Chacun eût souhaité d’y rester longtemps. Mais le missionnaire ne doit se reposer jamais.

(À suivre)

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1894 – À travers l’Archipel marquisien – Mission catholique (2)

[Mission catholique – 1894 – p.368-370]

À TRAVERS L’ARCHIPEL MARQUISIEN

(Océanie française)

Relation du Frère Marie-Sébastien Acar

Religieux de la Congrégation des SS. Cœurs de Picpus, maître d’école à Puamau, île Hivaoa.

(Suite et fin !)

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Pour le retour nous décidâmes, le P. Jean et moi, de suivre le chemin de ceinture. Notre première étape fut la vallée d’Hanapaïa dont nous avons parlé. C’est la merveille du pays. Ce qui regarde le plus les regards du voyageur, c’est la « tête de nègre » qui émerge des eaux à l’entrée même de la baie (voir la gravure ci-dessous). On voit, en effet, un énorme rocher repésentant le type le plus accompli du nègre de l’Afrique équatoriale : nez écrasé, cheveux crépus, lèvres pâteuses, rien n’y manque. Nous le contemplons un instant du haut de la montagne et nous nous acheminons en toute hâte vers l’enclos de la mission ; nous arrivons trop tard, il est entouré d’eau ; la haute mer en a fait une île. « Ohé ! crions-nous à maître Rat, gardien de notre enclos, à l’aide, s’il vous plait ! »

Un fort gaillard, nullement en peine de ses habits mais tatoué des pieds à la tête, s’élance dans les eaux. Il me prend dans ses bras (voir la gravure page 370) et me dépose bientôt après de l’autre côté du rivage, en s’exclamant tout essouflé : « Frère, que tu es lourd ! » comme si c’était ma faute.

Je cours à la chapelle, et tandis que le P. Jean subit une même opération, la cloche met en émoi tous les habitants du village ; il était déjà nuit, on récite la prière, on fait un peu de catéchisme, une courte instruction et tout le monde est convoqué pour le lendemain matin.

Privés de missionnaires depuis plusieurs années, les fidèles vinrent nombreux pour nous saluer et assister à la sainte Messe. Nous eussions bien voulu passer toute la journée au milieu de cette population, mais l’heure avancée nous obligent à nous remettre en marche, car il nous fallait faire trente-trois kilomètres à pied, et le lendemain était un dimanche.

Cette pensée nous fait hâter le pas, nous saluons sans nous arrêter une petite léproserie où personne ne répond à notre appel, nous traversons la vallée de Hanatekuuna où nous refaisons nos forces épuisées, et à la sortie du village nous considérons d’un œil curieux le plus célèbre paépaé (pavé sacré) de tout l’archipel, parfaitement conservé et encore orné d’une idole grotesque et de trois ou quatre vieux tambours sacrés, (voir la gravure page 369). On se sent frissonner malgré soi, quand on songe que ces paépaés ont été si longtemps rougis de sang humain et que, sans aucun doute, ces tambours servaient avant notre arrivée à étouffer les cris desespérées de la victime que le prêtre païen sacrifiait sur cet autel.

Dix kilomètres plus loin, nous arrivons en face de la léproserie de Hanatavaï dont les habitants nous paraissent assez résignés.

Les parents fournissent la nourriture, le missionnaire apporte des hameçons, du fil, des aiguilles, des habits. Tandis qu’ils le peuvent, ils s’amusent eux-mêmes à cultiver le tabac, la banane, la canne à sucre, l’ananas… Tout cela leur plait, les empêche de s’ennuyer et de penser à leur mal. Du reste, ils ont eu un bel exemple de résignation chrétienne dans un des leurs dont la mort a été aussi agréable devant Dieu que sa vie avait été édifiante pour les hommes. Il faut vous dire son histoire : Petero était son nom. Son frère, m’a-t-on raconté, fut pris, mis au four et mangé par les sauvages de l’île de Tahuata, il y a quelque trente ans. Resté seul avec sa sœur Victoire, Petero se fit le pêcheur attitré de la mission, comme celle-ci en était l’humble et fidèle servante. Ils vivaient, heureux, honoré de l’estime et de l’affection des missionnaires, lorsque Dieu voulu les éprouver. Petero devint lépreux. Dans l’enclos de la mission, on lui construisit une maisonnette en planches où il se séquestra de lui-même. Sa sœur le soignait, le missionnaire le consolait. Pour lui, il attendait sans se plaindre l’heureux moment de sa dissolution : lorsqu’un membre se détachait de son corps, c’était, disait-il, une pierre de moins à la muraille qui retenait son âme captive. Aux jours des grandes cérémonies, entre deux offices, de peur d’être un objet de dégoût pour les fidèles, il se trainait à l’église pour y recevoir le Divin Consolateur et satisfaire les pieux désirs de son âme. Tout mutilé qu’il était, il se disait heureux, et il devait l’être.

Un jour, cependant, le médecin donna ordre de le reléguer à la léproserie. C’était un arrêt de mort ! Petero le comprit et si résigna. Sa bonne sœur toute éplorée le prit alors dans ses bras, le plaça comme elle put sur ses faibles épaules, et, après mille difficultés, elle le déposa à Hanatavaï, où elle continua à lui apporter un peu de nourriture fraiche tous les deux ou trois jours. Toutefois Petero déclinait sensiblement ; il ne parlait plus que du Ciel, et un jour il dit d’un ton convaincu :

« - Mon exil touche à sa fin ; faites creuser ma tombe ; qu’on apporte mon cercueil. »

C’est une coutume aux Marquises de faire préparer son cercueil, dès qu’on est atteint de quelque maladie grave. Celui de Petero était prêt depuis trois ans.

« - Et puis, - continua-t-il ; - qu’on aille chercher le missionnaire. »

Celui-ci était absent. Le jeudi suivant, jour de congé pour mes écoliers de Puamau, je partis pour la léproserie.

« - Le P. Dominique est-il arrivé ? » me demanda le pauvre malade.

« - Non, mais le P. Adrien va venir à Ekeani. À propos, lui dis-je, où est votre chapelet à gros grains que le P. Olivier vous a donné ? »

« - Il est là, suspendu derrière ma natte, car les Kaoha oe Maria (Ave Maria) ne peuvent plus glisser entre mes doigts ; je n’en ai plus, et mes yeux s’obscurcissent. Seules mes lèvres peuvent encore murmurer la prière que le cœur m‘inspire. »

Le dimanche suivant, le P. Adrien alla le visiter.

«  - Comment va notre pauvre Petero ? fit-il, tout ému, Que désire-t-il ? »

« - Que vous célébriez une dernière fête avant son départ » répondit le pauvre lépreux.

« - Une fête ? et laquelle, mon bon ami ? »

« - La fête de l’Extrême-Onction. Je n’attends plus que cela ; pour le reste, je suis en règle. »

« - La fête de l’Extrême-Onction ! Oui, Petero, nous la célébrerons de grand cœur ; ce sera pour demain ! »

Le lendemain de grand matin, Victoire se trouvait auprès de son frère pour les préparatifs de la grande fête. Comme un pied du lépreux était déjà en putréfaction et répendait une odeur insupportable : « Coupe ceci, dit-il tranquillement à sa sœur,  le Père serait peut-être incommodé » et le talon disparut.

Le Père arriva et célébra la fête que Petero semblait attendre pour monter au ciel. Il lui fit les adieux les plus touchants.

« - Maintenant je suis presque guéri, dit le malade d’un air radieux…  Ne te désole pas, dit-il à sa sœur, je ne regrette rien. Je n’ai plus besoin de toi, car c’est fini. Va seulement te reposer pour ne pas tomber malade. Adieu, ma sœur ! au revoir là-haut ! »

Sur ses instances elle se retira ; mais à peine était-elle rentrée à la mission qu’un exprès lui annonçait que Petero était mort.

Le soir, à neuf heures, lorsque tous les enfants de l’école furent endormis, je quittai moi-même Puamau, muni de quelques outils, et, accompagné d’un enfant, j’allais rendre les derniers devoirs au lépreux.

Je le contemplais tout ému. Les bras en croix, le chapelet au cou, Petero semblait encore prier ; son visage avait le calme et la sérénité d’un bienheureux ; mais ce qui me surprit le plus, c’est que l’infection avait complètement disparu : beaucoup de personnes en firent aussi la remarque. Je le mis en bière avec toute la vénération possible, et j’allais fermer le cercueil lorsque Victoire me pria d’attendre pour lui permettre de pleurer encore celui qu’elle avait si charitablement soigné.

Me tourant vers l’assistance, je crus bon d’appeler l’attention sur cette fin prédestinée, et d’appuyer sur le dogme si consolant de la résurrection, que plusieurs ici refusent d’admettre. J’interrogeai donc la pauvre sœur sur ses espérances, et voici ce qu’elle me répondit :

« Je crois que cet enfant qui vient de mourir ressuscitera au dernier jour. Mais puisque Dieu lui a envoyé son missionnaire pour le consoler par la fête de l’Extrême-Onction, puisque les vers ont respectés ses plaies et que l’odeur de la lèpre a cessé, n’est-il pas manifeste que le Seigneur a introduit son âme dans son paradis, en attendant qu’il la réunisse à son corps glorifé, à la grande fête de la résurrection générale. »

Il était minuit lorsque nous rentrâmes à la mission. Victoire resta encore à la léproserie jusqu’àprès l’enterrement de son frère. Quelques jours plus tard, j’y revenais pour planter sur la tombe de Petero une croix avec l’épitaphe suivante :

   MOE                                                                                                                                 ICI

        ANA                                                                                                                            REPOSE

I NEI                                                                                                                                    

  A PETERO TOIA                                                                                                             PIERRE TOIA

  TU AE                                                                                                                               QUI

             IA PAO                                                                                                                 RESSUSCITERA

   TE                                                                                                                                      À

        AOMUAMA NEI.                                                                                                    LA FIN DU MONDE

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Je reviens à notre voyage. À peine sortis de la léproserie, nous voyons le ciel se couvrir de nuages et vingt minutes après nous sommes gratifiés d’une pluie torrentielle. Trempés jusqu’aux os, nous n’en continuons pas moins notre route, car c’est samedi, et que diraient nos gens de Puamau si nous leur faisions manquer la messe demain ? Mais à Motuna, le ciel s’ouvre de nouveau ; impossible d’avancer. Assurément c’était bien le cas de murmurer, si jamais le murmure était permis. Eh bien ! c’était tout juste le moment de la grâce. En effet, tandis que, sous un figuier, nous laissions passer le gros de l’orage, une pauvre femme, elle aussi, se réfugiait au même endroit. Hélas ! c’était une Samaritaine. Nous lui parlâmes du Divin Maître, de sa loi sainte, du bonheur du ciel, de la nécessité d’être chrétien… Nos exhortations tombaient sur une terre préparée par la rosée céleste. Elle promit de changer de vie, et, ce qui est plus précieux encore, elle a été fidèle à sa promesse : devenant apôtre à son tour, elle nous amena son mari, qui depuis assiste régulièrement au catéchisme, ne demandant qu’à devenir un bon chrétien.

La pluie cessant, nous reprîmes notre chemin en louant Dieu ; mais il était nuit depuis longtemps, lorsque nous arrivâmes à Puamau, où personne ne nous attendait plus.

FIN

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1895 – Annales des Sacrés Cœurs – p.168-171

Puamau, îIe Hiwaoa. - Extrait d’une lettre du Fr. Sébastien Acar, catéchiste ; 25 novembre 1894. Le R.P. Jean-de-la-Croix Fernandez prépare, en ce moment, quelques catéchumènes au sacrement de baptême et quelques néophytes au sacrement de mariage. Les instructions se font le soir, entre 7 et 9 heures. L’autre jour, on traitait du dogme de l'Irnmaculée-Conception. Plusieurs assistants avaient peine à saisir et par suite à admettre l’nseignement de notre Foi sur ce sujet, car, disaient-ils, si Marie est fille d'Adam aussi bien que nous, comment peut-elle avoir échappé à la loi universelle du péché ?..... Un jeune homme aspirant cathéchiste se lève alors, visiblement ému : « Ah çà ! leur dit-il avec une énergie qui sentait l'indignation, si le gouverneur de Tahiti, qui a autorité sur plusieurs archipels, voulait se payer la satisfaction de dispenser un indigène de l'impôt personnel, quel est celui de ses subordonnés qui oserait réclamer contre cette exemption ? Eh bien ! si Dieu, le Créateur et le Maitre de toutes choses, veut exempter une créature de l'impôt commun, c'est-à-dire du péché, n'en-a-t-il pas le droit ? Or, c'est ce qu'il a fait pour Marie ; donc, rien de plus simple que I'Immaculee-Conception !... » Et tous de s'incliner, Ies uns un peu confus, les autres tout joyeux. Ignace avait frappé juste et fort.

Mes écoliers, eux, ne sont pas si terribles en arguments. Moi-même j'ai souvent autant de souci et plus de peine à leur trouver la nourriture qu'à leur donner l'instruction. Il faut d'abord vivre, et je vous assure que ce n'est pas toujours fête chez moi lorsque arrive I'heure du diner. Quand il n'y a rien à mettre dans la marmite, je range mon bataillon sur deux files, et, par le flanc droit, marche ! nous allons chercher à la montagne ce qui manque à mon cellier. Un de ces quatre matins, je dirigeais ma troupe vers une petite vallée voisine, actuellement inhabitée. Nous allions cueillir des cocos que rn'avaient signalés d'anciens élèves. Cueillir des cocos tombés à terre est chose bien agréable sans doute, mais il faut grimper à une hauteur de 20 à 25 mètres et que la brise nous balance dans la direction des quatre points cardinaux, le charme fait place à l'inquiétude et l'on n'est franchement rassuré que I'on se retrouve sur ses pieds. Après avoir abattu les fruits dont nous avions besoin, nous allâmes nous installer au milieu des broussailles pour y préparer notre maigre repas. Tout à coup, une poule sauvage, l'imprudente ! s'avise de visiter mon camp. Aussitôt les gamins de courir, en se fautilant après elle dans Ies « brousses », comme une invasion de perdrix dans un champ de blé ; ils poussent des cris stridents à fendre les nues ; l'infortunée volatile perd la tête et s'abat à mes côtés. Six, mon bouledogue, dresse les oreilles, s'élance et poursuit la pauvre bête caquetante jusque dans un buisson, d'où un espiègle la retire demi-morte mais non soumise. Celui-ci lui coupe la tête' la plume, l'éventre, la farcit d'une pierre rougie au feu, I'enveloppe de feuilles d'arbre-à-pain, et la place sur le brasier à côté de nos maïorés. Mais s'il y a des poules, dirent mes petits canaques, il doit aussi y avoir des œufs. Je ne fus pas longtemps à les attendre. Dix minutes après, un enfant m'en apportait, une grosse demi-douzaine que je donnai ordre de préparer de suite en omelette. Sans poële, sans farine, sans graisse, je gage que vous auriez trouvé la chose un peu difficile, vu qu'une omelette ne fut jamais cuite sur la main. Mes élèves ne s'embarassent pas pour si peu. Ils coupent un bambou de trois à quatre centimètres de diamètre, sur une longueur de vingt-centimètres environ : ils y versent le contenu des œufs, le ferment hermétiquement et le placent tout simplement sur le feu. Au bout de cinq minutes, le bambou éclate et avertit les gourmets que I'omelette est à point..... Les fruits à pain épluchés, la poule retirée de son enveloppe carbonisée, les foorchettes du père Adam se mirent à fonctionner lestement autour de notre table champêtre : I'eau de coco nous servait de boisson. Pendant que les mâchoires vont bon train, je demande à I'un des convives, Hippolyte, âgé de vingt-cinq ans, si l'aventure de la poule ne lui rappelle pas quelque histoire moins plaisante… « Tout juste, répondit-il, il me souvient qu'à l'âge de dix ans j’assistai à une scène que jamais de ma vie je n'oublierai. Les habitants de telle vallée avaient dressé une embuscade contre les gens de la vallée voisine. Un pauvre homme se trouva pris. Je le vis saigner. On le mit au four comme la poule que nous mangeons, et quand il fut bien cuit, les cannibales s'en disputèrent les membres et les entrailles. La vallée insultée prépara sa vengeance : on allait venir aux mains lorsque les Français débarquèrent et firent tout rentrer dans I'ordre. Yous savez le reste ».

Depuis cette époque (1881), iI faut le reconnaitre, un grand bien s'est opéré parmi nos pauvres sauvages. Si tous les instincts de leurs ancêtres n'ont pas encore complètement cédé aux persévérants efforts de nos missionnaires, l'amélioration est néanmoins bien sensible, et au milieu de leurs larmes, nos Pères trouveront encore des sujets d'espérance et de consolation.

Le deuxième dimanche d'octobre, continue le Frère Acar, dix écoliers s'approchèrent pour la première fois de la sainte Table. La fête fut des plus touchantes. Mgr Martin vint exprès d'Atuona pour la présider. Il ouvrit la cérémonie par la confirmation des jeunes communiants, et sa parole onctueuse leur redit une fois de plus la grandeur de l'acte qu'ils allaient faire. Après la messe, un copieux repas, préparé à la cuisine canaque, permit à chaque invité de manger à sa faim.

Dans la journée, nous allâmes visiter un de mes anciens élèves, devenu lépreux, qui habite une petite case solitaire. Dès qu'il nous aperçut, il sortit de sa hutte pour nous témoigner la joie qu'il avait de nous voir. Ayant remarqué une boite au bras du Père Léonard, et apprenant que c'était un appareil photographique, il voulut qu'on lui prit son portrait ! Mon Dieu, que c'était navrant de le voir poser, appuyé sur les moignons de ses mains et de ses pieds ensanglantés ! Ce jeune homme de vingt-cinq ans à peine, avait le visage d'une vieille sorcière ; sa peau était écaillée comme la carapace d'une tortue, et ses oreilles tellement allongées qu’elles retombaient jusque sur ses épaules ! Je n'ai jamais rien vu de plus triste ni de plus repoussant. Quand le Père eut satisfait à son désir, je lui remis un petit paquet de bœuf cuit que je lui apportais comme le pain bénit de la douce fête du matin. Je lui portai encore des biscuits, du sucre et des allumettes, mais une douzaine de jours après, il quittait cette vallée de larmes, et j’aime à penser que le long martyre de ses dernières années lui aura ouvert toutes grandes les portes de l’éternelle et bienheureuse cité.

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1896 – Annales des Sacrés Cœurs – p.379-380

NECROLOGIE

Le Frère Sébastien Acar.

La mission des iles Marquises vient de faire une perte sensible dans la personne d'un des catéchistes les plus dévoués, décédé à Puamau (ile Hiwaoa ou La Dominique). En faisant part, de cette nouvelle à la communauté, le T.R. Père Supérieur général a rappelé, en termes émus, la vie apostolique et là pieuse mort du bon religieux et a prescrit des prières spéciales, en dehors des prières prescrites par les saintes règles. Voici la lettre par laquelle Mgr Martin annonce la triste nouvelle aux Pères de la mission :

V.C.J.S.

Puamau, le 30 mai 1896.

Mon Révérend Père,

C'est près des restes inanimés du cher Frère Sébastien Acar que j’ai la douleur de vous écrire, au milieu des des larmes et des Ave Maria des chrétiens.

La fièvre, qui le tenait depuis un mois, ne présentait aucun caractère alarmant. Hier encore, dans la soirée, personne ne pensait à un tel dénouement. Venu ici pour une fête de baptêmes et de confirmations, je ne m'attendais pas à assister à un deuil de famille.

C'est avec toute sa connaissance, et je dirai avec toute sa foi de Belge, de zouave et de missionnaire, qu'il reçut hier ma bénédiction. À mon souhait de prompte guérison, il ajouta : « Si Dieu le veut ». Avec sa délicatesse ordinaire, il me remercia de lui avoir envoyé le F. Boniface pour le soigner.

De fait, Dieu lui a fait une grande grâce en lui envoyant pour l'assister corporellement et spirituellement, pendant toute sa maladie, le R.P. Fernandez et le F. Boniface. J’étais sur le point de dire que Dieu lui devait cette grâce, en retour d'une vie si pleine de dévouement.

À l'exemple de Tobie, quoique jeune encore, il n'avait pas les sentiments de la jeunesse. Déjà de nobles ardeurs le remplissaient : nihil puerile gessit in opere. À 17 ans, il prenait le fusil, mettait le sac au dos, et s'enrôlait dans cette petite armée de saints et de héros, qui devait à Rome défendre la plus grande comme la plus trahie des causes. Il était à la porte Pia au milieu de la mêlée, ne demandant qu'à verser son sang, son sang généreux de 17 ans, quand le doux Pie IX ordonna de rendre les armes.

Quelque temps après, notre ardent jeune homme, qui ne pouvait plus être soldat du Pape, et pour lequel cependant, le dévouement était un besoin, voulut être soldat de Dieu sur les plages lointaines. Il entra dans la Congrégation des Sacrés-Cœurs dans le but d'être missionnaire chez les indigènes de l'Océanie. Missionnaire et apôtre, oui, il l'a été depuis vingt ans aux Marquises, dans les modestes mais fructueuses fonctions de frère convers et d'instituteur. Instituteur aux Marquises avec des enfants aussi grossiers et aussi corrompus, avec un cœur aussi sensible et aussi zélé que celui du frère Acar, je serais tenté de dire que c'est un martyre de vingt ans. Je ne cacherai même pas une pensée qui me hante depuis cette nuit : c'est, que ce cher Frère a bien pu s'offrir comme victime à Dieu pour la conversion de nos Kanaks. De fait, cette maladie et cette mort sont bien étonnantes.

Voici une des dernières paroles du défunt, parole d'un vrai religieux. Je lui demandai hier si son lit était bon : « Trop bon, rne dit-il du ton le plus pénétré, c'est une honte pour moi d'être sur le coton, tandis que Votre Grandeur couche sur la paille. »

La fièvre était très forte ce matin vers quatre heures. Je lui administrai l'Extrême-Onction, et lui appliquai l'indulgence de la bonne mort. À cinq heures, sans la moindre agonie, il rendait son âme à son créateur, pendant que je finissais les prières des agonisants, attendant pour ainsi dire une obédience : proficiscere anima christiana.

Il est là étendu sans vie ; on dirait qu'il dort tranquillement : la croix dans les mains, le scapulaire de la Congrégation et la médaille militaire pontificale sur la poitrine.

Le Frère Marie-Sébastien Acar était né à Courtrai (Belgique), en 1850, il avait fait profession en 1876.

Prions pour lui.

Agréez...

+ Rogatien-Joseph MARTIN

évêque d’Uranopolis, Vicaire apostolique

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1903 – Les français, zouaves pontificaux – p.81

10835 – ACAR, Camille, né à Hazebrouck, Nord. – Z. P., 8 septembre 1870. – Siège de Rome. - +

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1920 – Régiment des zouaves pontificaux – p.181 et 410

6837 – ACAR Corneille, né à Courtrai (Belgique), 5 novembre 1850. – Z. P., 18 janvier 1868 ; cap., 21 juin 1869. Libéré, 27 janvier 1870. Réeng., matricule 10835, 8 septembre 1870. – Siège de Rome, 1870. – Entré au noviciat de la Congrégation des Sacrés-Cœurs, sous le nom de Frère Marie-Sébastien, fit sa profession le 18 décembre 1876, et l’année suivante arrivait aux Iles Marquises (Océanie), dans une école de 160 enfants pour l’instruction et l’éducation. - + a Guamau (Iles Marquises), 30 mai 1896, d’embarras gastrique, accompagné de fièvre chronique.

10835 – ACAR Camille (voir matricule 6837).

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1975 - Bio-bliographie du Père Patrick O’Reilly –  p.2

ACAR, Camille-Ernest (Frère Marie-Sébastien) 1850-1896. - Frère convers picpucien. Né le 3 novembre 1850 à Courtrai (Belgique). Profession, comme Frère, en 1876 ; part en 1877 aux îles Marquises. Y travaille dix-neuf ans comme catéchiste et instituteur. Meurt à Puamau, Hiva Oa, le 30 mai 1896.

Bibliographie. – Étant maître d'école à Puamau, il écrivit une relation intitulée : À travers l'archipel Marquisien qui parut dans les Missions Catholiques, de 1894. Une notice le concernant dans les Annales des Sacrés-Cœurs, 1896, pp.379-380.

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Carnet du personnel missionnaire

Néant

Biographie (O'Reilly)

ACAR Camille Ernest (Fr Marie Sébastien, s.s.c.c.)

ACAR, Camille-Ernest (Frère Marie-Sébastien) (1850-1896). - Frère convers picpucien. Né le 3 novembre 1850 à Courtrai (Belgique). Il entre chez les Zouaves pontificaux le 18 janvier 1868 sous la matricule 6837. Il est nommé caporal le 21 juin 1869. Libéré le 27 janvier 1870. Se réengage le 8 septembre 1870 sous le matricule 10835. Il participe au siège de Rome en 1870. Il entre au noviciat de la Congrégation des Sacrés-Cœurs, sous le nom de Frère Marie-Sébastien, et fait sa profession le 18 décembre 1876 ; part en 1877 aux îles Marquises et est nommé dans une école de 160 enfants pour l’instruction et l’éducation. Y travaille dix-neuf ans comme catéchiste et instituteur. Le 10 mars 1891, la médaille des zouaves pontificaux lui est attribuée par le Pape Léon XIII. Meurt à Puamau, Hiva Oa, le 30 mai 1896 « d’embarras gastrique, acompagné de fièvre chronique ».

Bibliographie. – Étant maître d'école à Puamau, il écrivit une relation intitulée : À travers l'archipel Marquisien qui parut dans les Missions Catholiques, de 1894. Une notice le concernant dans les Annales des Sacrés-Cœurs, 1896, p.379-380.

Ses écrits

Livres

Néant

Revues

À travers l’Archipel marquisien  - Missions catholiques – T.26 – 1894 – pp.360-361 et 368-370 ;

Puamau, île Hiwaoa – Annales des Sacrés Cœurs – 1895 – p.168 ;

Une fête intime – Annales des Sacrés Cœurs – 1894 – p.391 ;

 

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